30 novembre 2020
A la recherche des signatures d’ondes gravitationnelles

En 2016, l’annonce de la première détection directe d’ondes gravitationnelles a ouvert une nouvelle fenêtre d’observation pour sonder notre univers de manière inédite. L’observatoire spatial LISA (Laser Interferometer Space Antenna) promu par l’ESA (European Space Agency) permettra la détection directe d’ondes gravitationnelles indétectables par les interféromètres terrestres. Son lancement est prévu par l’ESA en 2034 et de nombreux travaux actuels explorent son potentiel scientifique, notamment au travers des LISA Data Challenges visant à exploiter des pseudo-données réalistes. Des chercheurs du DEDIP et du DPhN de l’Irfu ont récemment développé de nouvelles méthodes de détection d’ondes gravitationnelles inspirées de problèmes analogues en traitement d’image appliqué à l’astrophysique. Ces méthodes ont permis de répondre avec succès au dernier LISA Data Challenge.  Ces travaux, publiés dans la revue Physical Review D [1], ouvrent la voie à de nombreuses autres études et sont le fruit d’une approche transverse mêlant physique et traitement du signal. 

 

L’observatoire gravitationnel LISA 

Cet interféromètre spatial géant est constitué de trois satellites formant des bras de 2,5 millions de kilomètres (Fig. 1). Il sera mis en orbite à environ 50 millions de kilomètres de la Terre. A la différence des observatoires au sol, sensibles à de rares signaux d’ondes gravitationnelles et soumis à un bruit de mesure dominant, cet interféromètre spatial recevra en permanence un grand nombre de signaux distincts et caractérisés théoriquement à divers degrés de précision. On estime actuellement que, parmi les différentes sources d’ondes gravitationnelles, il y aurait 60 millions de systèmes binaires galactiques émettant de manière continue et 10 à 100 signaux annuels provenant de trous noirs supermassifs. 

Un des objectifs scientifiques de LISA est l’étude de la formation et de l’évolution des systèmes binaires galactiques : des naines blanches, mais aussi des étoiles à neutrons ou des trous noirs d’origine stellaires. Une vingtaine de systèmes binaires dits « de vérification » sont déjà identifiés comme sources d’ondes gravitationnelles détectables par LISA, qui devrait toutefois permettre la caractérisation de plus de 10000 systèmes binaires galactiques. Les nombreux autres systèmes non résolus formeront un fond stochastique, ou bruit de confusion. De plus, comme dans toute expérience, les données réelles seront soumises à un certain nombre de bruits et d’artefacts à prendre en compte pour optimiser le potentiel scientifique de la mission. L’analyse des données de la mission LISA comporte donc de nombreux défis, incluant entre autres la multitude des sources et types de sources à identifier, la complexité du bruit instrumental, ainsi que la nature lacunaire des données due à des périodes d’interruption d’acquisition de signal (par exemple pour maintenance). 

 
A la recherche des signatures d’ondes gravitationnelles

Figure 1 : L’observatoire spatial LISA, formé de trois satellites constituant trois interféromètres.

A la recherche des signatures d’ondes gravitationnelles

Figure 2 : Prévision d’amplitude de signal mesuré A à la fréquence f. Une dizaine de signaux issus de systèmes binaires de vérification se détachent du bruit instrumental. Haut : fenêtre d’observation complète. Bas : zoom sur la partie du signal contenant les pics d’émission dus aux systèmes binaires galactiques simulés dans les pseudo-données.

La voie de la parcimonie

Le fil conducteur des travaux d’analyse de données LISA menés à l’Irfu est une démonstration de la capacité scientifique et technique à traiter des données réelles de manière fiable et robuste. Les systèmes binaires galactiques constituent un excellent terrain d’essai. Ce type de signal est mesurable sur LISA, et sa forme est bien connue d’un point de vue théorique. Néanmoins, extraire l’information d’intérêt astrophysique de ces signaux est un défi, notamment car le signal cherché peut être enfoui dans le bruit instrumental (Fig. 2).  

 

Des chercheurs du DEDIP et du DPhN ont développé de nouvelles méthodes inspirées de problèmes analogues en traitement d’image appliqué à l’astrophysique. Ces méthodes reposent sur la modélisation parcimonieuse des signaux, qui exploite les différences de formes entre les signaux d’intérêt physiques et le bruit instrumental. En particulier, les systèmes binaires galactiques qui seront étudiés par LISA émettent des ondes quasi-périodiques et laissent dans le signal mesuré une empreinte très différente de la structure du bruit, qui est, lui, de nature aléatoire. La parcimonie réside dans le fait de chercher aussi peu de sources quasi-périodiques que nécessaires pour interpréter les données mesurées. Ces méthodes ont le double avantage de la robustesse et du faible nombre d’hypothèses sur la forme des ondes gravitationnelles à détecter, et ont permis de répondre avec succès au dernier LISA Data Challenge (Fig. 3). Elles font l’objet d’un article publié dans Phys. Rev. D [1]. Le code associé est distribué librement sous licence GPL sur GitHub [2] dans une démarche de promotion de la science ouverte et de la reproductibilité des études scientifiques.

Cette première étude établit le bien-fondé de l’approche parcimonieuse pour le traitement des données de LISA, approche qui complète l’éventail des techniques existantes. Ces dernières reposent principalement sur la détermination de tous les paramètres physiques décrivant toutes les sources cherchées au travers du prisme d’une forme d’onde supposée parfaitement connue. L’analyse parcimonieuse, quant à elle, livre par exemple moins d’informations sur la position des sources dans le ciel mais est plus rapide. Elle se prête aussi facilement au traitement de problèmes encore ouverts, comme la gestion des périodes d’interruption dans les prises de données. Enfin, elle est robuste car elle sépare efficacement le signal du bruit instrumental sous des hypothèses très faibles sur la forme du signal recherché.  Cette forme repose le plus souvent sur un certain nombre d’hypothèses et en fonction de l’avancée de l’état de l’art théorique, la forme la plus précise du signal peut donc évoluer au cours du temps. Cette robustesse par rapport à la méconnaissance du signal est notamment pertinente pour préserver le potentiel de découverte de la mission : premier observatoire de son genre, LISA doit être capable de détecter des signaux complètement imprévus.

 
A la recherche des signatures d’ondes gravitationnelles

Figure 3 : Prévision d’amplitude de signal mesuré E représenté en fonction de sa dépendance en fréquence f (à gauche) et en temps t (à droite). Le signal temporel est exprimé en décalages Doppler (utile pour des mesures interférométriques à longueurs de bras variables). Les figures de la ligne du bas correspondent à des zooms sur des régions en fréquence ou en temps des figures de la ligne du haut. Le signal parcimonieux reconstruit (en rouge) est en très bon accord avec le signal recherché (en vert). Toutes les binaires de vérification ont été identifiées, et aucune structure de bruit n’a été identifié à tort comme signal physique.

Les perspectives offertes par ces travaux comprennent une poursuite de l’évaluation des méthodes d’analyse de données avec la participation aux LISA Data Challenges et le développement d’outils adaptés à la modélisation de complexité croissante des données (par exemple l’optimisation des périodes d’interruption de prise de données pour maintenance, la considération de bruits réalistes, l’analyse d’événements de nature plus variées au-delà des binaires galactiques, les approches par démêlage d’évènements différents, etc.). 

 

Références

[1]  A. Blelly, J. Bobin et H. Moutarde, Sparsity-based recovery of galactic-binary gravitational waves, Phys. Rev. D. 102 (2020) 10, 104053.
[2] https://github.com/GW-IRFU/gw-irfu

Contacts

Aurore Blelly et Hervé Moutarde CEA/DRF/Irfu/DPhN, Jérôme Bobin CEA/DRF/Irfu/DEDIP

 

 
#4860 - Màj : 08/12/2020

 

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