07 novembre 2022
Observer la création de la matière la plus chaude en laboratoire

Les collisions d'ions lourds aux vitesses ultra-relativistes des grands accélérateurs de particules permettent de créer un plasma de quarks et de gluons, surprenant état de la matière obéissant aux lois des fluides presque parfaits pour 10 fm/c = 3 10−23s (c'est à dire avec une petite viscosité). Bien que cet état de la matière soit l'objet d'intenses études expérimentales, l'étude de l'émergence de ce fluide dans les collisions d'ions lourds à partir des gluons pendant le premièr fm/c échappe à l'exploration directe aujourd'hui. Au sein de la collaboration Gluodynamics du Labex Physique des 2 Infinis et des Origines (P2IO), des chercheurs de l'Irfu, de l'IPhT et de l'Université de Bielefeld (Allemagne) ont mis en évidence des observables sensibles aux premiers instants (≈ fm/c) de ces collisions d'ions lourds. Les résultats théoriques indiquent que la création des dileptons porte de l'information sur l'émergence de l'hydrodynamique et la création des quarks dans le plasma Quark gluon (PQG). La collaboration a abouti à une première publication dans Physics Letters B [1] et une deuxième a été soumise à Nuclear Physics A [2].

 

 

1. Collisions d'ions lourds ultra-relativistes et plasma de quarks et de gluons


Dans les collisions d'ions lourds ultra-relativistes, un état de la matière à haute température est créé : le plasma de quarks et de gluons (PQG). Cet état de la matière se forme au-delà d'une température de 1,7 1010 degré Celsius et était par conséquent prédominant dans l'univers lors des premières microsecondes après le Big-Bang. Des mesures expérimentales ont permis de conclure que le PQG se comporte comme un fluide presque parfait 1. Le PQG est aujourd'hui étudié dans deux grands accélérateurs de particules : le "relativistic heavy-ion collider" (RHIC) au laboratoire national de Brookhaven aux Etats-Unis (collisions or-or à une énergie √ sNN = 200 GeV) et le "large hadron collider" (LHC) au CERN à Genève (collisions plomb-plomb à une énergie √ sNN = 5000 GeV). Cependant, cette image du plasma de quarks et de gluons vu comme un fluide presque parfait vivant pour 10 fm/c ne s'appuie pas exclusivement sur les résultats des expériences en cours, utilise une variété de modèles théoriques, issus de différents scenarii de formation du PQG. Pourtant, l'"état initial" des collisions d'ions lourds est précisément caractérisée grâce à l'étude de la structure du proton, qui a permis d'affirmer que le dépôt d'énergie dans la zone de collision est largement issu de la contribution des gluons (ceux-ci sont les messagers de l'interaction forte, une des quatre interactions fondamentales connues dans la physique moderne). Une illustration de la modélisation de ce dépôt d'énergie dans l'état initial est ainsi présentée figure 1. En revanche, la manière dont ces gluons évoluent pour former un fluide décrit par l'hydrodynamique, dans un laps de temps extrêmement petit de l'ordre de 1 fm/c = 3· 10−24 seconde, n'est pas du tout comprise.


1Ce fluide a la viscosité normalisée par la densité d´entropie la plus petite qui ait jamais été observée expérimentalement. Cette propriété implique que l´expansion dans le stade hydrodynamique est très peu affectée par la friction.


 

 
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Figure 1: Dépôt d'énergie dans le plan transverse d'une collision d´ions lourds par les gluons, tel que calculé à l'aide d'un modèle consensuel d'"état initial" [3]. Les unités des deux axes transverses sont données en fermimètres (1 fm = 10^?15m), l'axe vertical indique la densité d'énergie dans des unités arbitraires.

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Figure 2: Leading order Feynman diagram for dilepton production.

2. Une sonde expérimentale de choix : le rayonnement de la matière


Comment pourrions-nous accéder expérimentalement à la transition entre cet état initial et la description hydrody-namique ? Pour affronter ce défi, il faut trouver une observable, c'est-à dire une grandeur physique mesurable, qui permette de caractériser cette étape de transition sans toutefois être altérée après sa création. Le rayonnement électromagnétique semble être à cet égard la sonde idéale. Même si sa production est faible, la probabilité que ce rayonnement réinteragisse avec les autres produits de la collision est faible et son transport est quasiment non-perturbé par le milieu nucléaire qu'il traverse. Cette sonde a d'ailleurs déjà été utilisée pour comprendre d'autres étapes de la collision, mais n'avait pas encore été mise en oeuvre pour l'étude de la phase de transition entre l'état initial et le régime hydrodynamique. Une équipe de chercheurs en physique expérimentale du DPhN de l'Irfu a ainsi initié une collaboration avec des théoriciens de l'hydrodynamique des collisions d'ions lourds de l'IPhT du CEA Saclay et des théoriciens de la physique des premiers instants du PQG à l'université de Bielefeld dans le cadre de la collaboration Gluodynamics. Parmis les observables électromagnétiques en concurrence, l'équipe a identifié l'étude de la production des dileptons (des paires électron-positron ou des paires muon-antimuon2) comme une sonde prometteuse des premiers instants de la collision. En effet la production des dileptons est fortement influencée par deux facteurs clés qui caractérisent la transition entre l'état initial et le régime hydrodynamique. Premièrement, le dilepton ne peut pas être directement produit par les gluons qui émergent de l'état initial. Il faut des charges électriques, les quarks, qui sont créées à partir des gluons par le biais de l'interaction forte. Sa production est illustrée dans la Figure 2. Ainsi, la production de dileptons mesure directement l'émergence des quarks dans la soupe de quarks et gluons. Le deuxième facteur important est la vitesse à laquelle le système initial hors-équilibre se "thermalise" cinématiquement vers une description hydrodynamique. Cette mise en équilibre est quantifiée par la viscosité du système η normalisée par la densité d'entropie notée. En conséquence, une mesure du taux de production des dileptons nous informe directement sur ces deux caractéristiques de la transition entre l'état initial et l'étape hydrodynamique : la création des charges et la vitesse de la transition elle-même 3.


2. Les electrons et les muons sont des particules élémentaires du modèle standard de la physique des particules, les positrons et antimuons sont les antiparticules correspondantes. Elles sont toutes des leptons chargés, c’est à dire des particules qui participent à l´interaction électromagnétique et l´intéraction faible.

3. Cette sensibilité à la vitesse de la transition est possible parce que nous pourrions estimer l'entropie finale de la collision avec la mesure de la plupart des particules à l´issue de la collision.


 

 

Les résultats pour le taux de production des dileptons indiqués dans la Figure 3 montrent la sensibilité en fonction de la valeur de la viscosité et la sensibilité à la création des charges. La production des dileptons est très différente pour les ratios viscosité sur densité d'entropie η/s=0.16 (ligne rouge) et η/s=0.32 (ligne bleue), visible en échelle logarithmique. De plus, les courbes pointillées montrent la production dans l'hypothèse où les quarks sont présents dès le début de la collision (à l'impact). Donc, la différence entre les courbes pointillées et les courbes pleines montrent l'effet de l'absence de quarks aux premiers instants de la collision. Ces résultats de simulation sont importants car, comparés aux résultats expérimentaux, ils doivent permettrent à terme de caractériser la nature de la phase de création du PQG. La collaboration a abouti à une première publication dans Physics letters B [1] et une deuxième a été soumise à Nuclear Physics A [2].

 
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Figure 3: Spectre de dileptons produits dans une collision d'ions lourds par la matière et le bruit de fond irréductible (Drell-Yan) [1]. L'ordonnée correspond au taux de production différentiel dans la masse des dileptons et la rapidité, une variable cinématique. L'abscisse est la masse invariante du dilepton produit donnée en GeV.

3. De la prédiction à la mesure


Cette mise en évidence de la forte sensibilité de cette observable à la transition entre l'état initial et le fluide presque parfait aux premiers instants des collisions d'ions lourds motive fortement son étude à l'avenir. A l'heure actuelle, il n'y a pas de mesures à cause des limitations instrumentales. Les chercheurs du DPhN ont par conséquent initié un programme expérimental visant à étudier la faisabilité de la mesure de la production des dimuons auprès du High-Luminosité-LHC, l'upgrade à venir du LHC au CERN à l'horizon de 2030. Cet effort expérimental se concentre sur l'expérience LHCb car celle-ci possède une très bonne performance de reconstruction des muons pour les impulsion en question, et permet de s'affranchir efficacement du bruit de fond réductible 4.


4. Des désintégrations des hadrons de saveur lourde (charme et ,beauté) qui produisent un dilepton peuvent être partiellement rejetées grâce au détecteur de vertex de LHCb.


Contact : Michael WINN

 

 

 

Références

  • [1] M. Coquet, X. Du, J. Y. Ollitrault, S. Schlichting and M. Winn, Phys. Lett. B 821 (2021), 136626 doi :10.1016/j.physletb.2021.136626 [arXiv :2104.07622 [nuclth]].
  • [2] M. Coquet, X. Du, J. Y. Ollitrault, S. Schlichting and M. Winn, [arXiv :2112.13876 [nucl-th]].
  • [3] B. Schenke, P. Tribedy and R. Venugopalan, Phys. Rev. Lett. 108 (2012), 252301 doi :10.1103/PhysRevLett.108.252301 [arXiv :1202.6646 [nucl-th]].


 

 
#5070 - Màj : 08/11/2022

 

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