20 décembre 2023
Derniers résultats sur la structure interne du proton avec l'expérience DVCS à CLAS12
Derniers résultats sur la structure interne du proton avec l'expérience DVCS à CLAS12

Le spectromètre CLAS12installé sur l'accélérateur d'électrons CEBAF dans le hall B du laboratoire Thomas Jefferson. Le faisceau arrive par la droite de la photo.

En collaboration avec l’université de Glasgow (Écosse), des physiciens du DPhN viennent de publier des mesures d’asymétrie de spin de faisceau d’électrons pour le processus de diffusion Compton profondément virtuelle à partir de données collectées avec le spectromètre CLAS12. Cette mesure renseignera sur la position des quarks dans les protons en fonction de leur impulsion liée aux mécanismes de l’interaction forte à l’origine de la stabilité du proton [1].

Le laboratoire Thomas Jefferson (Virginie, USA) abrite l'accélérateur d’électrons « Continuous Electron Beam Accelerator Facility » (CEBAF), qui est l'un des plus intenses du monde pour l'étude des particules élémentaires constituant les protons que sont les quarks et gluons (Figure 1).

 

Figure 1: un schéma de l’accélérateur d'électrons au laboratoire Thomas Jefferson. Il est constitué de deux accélérateurs linéaires (linacs) reliés par des arcs magnétiques. Les électrons parcourent jusqu’à 5 fois chaque linac pour atteindre 11 GeV. Une fois l’énergie désirée atteinte, les électrons sont extraits pour être envoyés dans le Hall B.

 

Le faisceau issu de l’accélérateur est constitué de paquets d’électrons polarisés envoyés toutes les 4 nanosecondes sur une cible composée de protons. Les électrons interagissent avec les quarks via des photons virtuels. Les chercheurs du DPhN s’intéressent plus particulièrement à la diffusion Compton profondément virtuelle (DVCS), c’est-à-dire au processus menant à la déviation et au changement d’énergie du photon émis par un électron après l'interaction avec un quark dans le proton tout en laissant ce dernier intact (voir Figure 2). La mesure de la probabilité du DVCS en fonction de l’angle et de la perte d’énergie du photon fournit des informations sur la position des quarks dans le proton en fonction de leur impulsion permettant de mieux comprendre l’interaction forte [1][2].

 

Figure 2 : à gauche : l'électron incident émet un photon qui interagit avec un quark du proton. La trajectoire de ce photon ainsi que son énergie vont être altérées. L’énergie perdue par le photon éjecte le proton sans le casser. Ici toutes les particules sont dans le même plan. Toutefois il peut y avoir un angle entre le plan des électrons et celui formé par le photon DVCS et le proton de recul (angle Φ sur la figure de droite).

 

Après l’exploitation du spectromètre CLAS de 1997 – 2012, ce dernier a été amélioré en l’équipant de détecteurs et d’une électronique dédiée capables de suivre un taux de collisions parmi les plus élevés au monde pour un spectromètre de grande acceptance. L’Irfu a été fortement impliqué au cours des 15 dernières années au sein de la collaboration CLAS en charge de la construction et de l’exploitation du spectromètre CLAS12 qui permet d’effectuer une mesure avec la même précision que CLAS, mais en 10 fois moins de temps. Il est l’un des principaux contributeurs de l’amélioration par la réalisation du « Micromegas Vertex Tracker » (MVT) issue d’une étroite collaboration entre le DPhN et le DEDIP (voir Figure 3) [3][4]. Ce détecteur est essentiel afin de détecter le proton de recul du processus DVCS mais également pour bon nombre d’autres processus donnant des informations complémentaires sur les quarks par rapport au DVCS. Au-delà de la réalisation du MVT, l’Irfu a intensément contribué au développement logiciel qui permet de convertir les signaux électriques induits par les particules passant dans les détecteurs en information pertinente sur leur position, vitesse et nature [5]. L’Irfu a donc contribué à la fois la R&D, à la production des détecteurs Micromegas ainsi qu’à l’analyse et l’étude phénoménologique des données.

 

Figure 3: le MVT en train d'être inséré dans le solénoïde de CLAS12. Il y détecte le proton de recul DVCS.

 

L’expérience dont l’Irfu est un des principaux porte-paroles a été la toute première réalisée avec le spectromètre amélioré CLAS12. En collaboration avec l’université de Glasgow, l’Irfu a isolé les quelques millions de collisions DVCS au sein de milliards de collisions réalisées lors de la prise de données. Exploitant la particularité du faisceau de Jefferson Lab d’être polarisé, une comparaison du nombre d’évènements DVCS entre une polarisation parallèle et anti-parallèle de l’électron incident quantifie la variation de la probabilité du DVCS. Cette observable est appelée asymétrie de spin de faisceau pour le DVCS. Ces nouveaux résultats ont été comparés à ceux d’un ensemble de réseaux de neurones ajustés sur toutes les données DVCS précédemment collectées. Le résultat permet d’exclure 50 % de ces réseaux de neurones, c’est-à-dire 50 % des « modèles ». L’incertitude est ainsi réduite d’un facteur 2 dans le domaine d’impulsion commun aux données CLAS et CLAS12. (Figure 4). Cependant les résultats les plus intéressants sont ceux associés à des impulsions de quarks inaccessibles avant CLAS12. Pour ces nouveaux résultats, les modèles sont en désaccord et nos mesures permettent de favoriser l’un par rapport à l’autre (voir Figure 5) en fonction de l'impulsion. Pour les quarks plus lents (xB=0.14), le modèle KM15 [6] décrit bien mieux les données alors que pour les quarks plus rapides (xB=0.26 et 0.44) les modèles GK et VGG [7] sont en bien meilleur accord. 

C’est désormais aux théoriciens d’interpréter ces résultats afin de révéler plus en profondeur l’univers interne des protons. En parallèle, les équipes de l’Irfu continuent d’analyser les données CLAS12 collectées ces dernières années et d’imaginer les expériences de demain, toujours plus innovantes, afin de contraindre encore plus les modèles théoriques. 

 

Figure 4 :  asymétrie de spin de faisceau (BSA) pour le DVCS en fonction de l’angle entre le plan des électrons et celui formé par le photon détecté et le proton de recul (voir Figure 2). En bleu, la prédiction des réseaux de neurones et l’incertitude associée qui n’inclut pas les données CLAS12 [2], en magenta, la nouvelle prédiction et incertitude obtenue en excluant les réseaux de neurones non compatibles avec les nouvelles données CLAS12.

 

Figure 5 : exemple d’asymétrie mesurée pour des impulsions de quarks (xB) uniquement accessibles avec CLAS12.

 

Bibliographie

[1] G. Christiaens et al., The CLAS collaboration, « First CLAS12 Measurement of deeply virtual Compton scattering beam-spin asymmetries in the Extended Valence Region», Phys. Rev. Lett., 130, 211902.

[2] H. Moutarde, Fait Marquant Irfu, « Peut-on entendre la forme du proton ? », https://irfu.cea.fr/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast.php?t=fait_marquant&id_ast=4643

[3] A. Acker et al., « The CLAS12 Micromegas Vertex Tracker », NIM A, Volume 957, 163423.

[4] S. Aune, F. Sabatié, Fait Marquant Irfu, « Le trajectographe de CLAS12, une success story de l’Irfu », https://irfu.cea.fr/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast.php?t=fait_marquant&id_ast=4502

[5] V. Ziegler et al., « The CLAS12 software framework and event reconstruction », NIM A, Volume 959, 163472.

[6] KM15: K. Kumeri?ki and D. Mueller, Deeply virtual Compton scattering at small xB and the access to the GPD H, Nucl. Phys. B 841 (2010) 1-58, arXiv:0904.0458

[7] VGG: Vanderhaeghen M, Guichon P A M and Guidal M 1998 Hard electroproduction of photons and mesons on the nucleon Phys. Rev. Lett. 80 5064

Contact: Maxime Defurne

 
#5200 - Màj : 11/01/2024

 

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