CHASCA explore le taux de carbone-14 radioactif mesuré autour de l’an mil dans les cernes d'arbres de Patagonie argentine et d’Europe du Nord-Ouest, à la recherche d’excès, attribuables à des explosions d’étoiles en fin de vie, des supernovæ.
Le 4 juillet 1054, une nouvelle étoile apparût dans la constellation du Taureau. Plus brillante que toutes les autres étoiles du ciel, elle fut observée à l’œil nu par les astronomes chinois, de nuit pendant deux ans, et de jour durant 3 mois. Aujourd’hui, à son emplacement dans le ciel, à 6300 années-lumière de la Terre, invisible à l’œil nu, se trouve une des sources les plus lumineuses en rayons X et gamma de la Galaxie, la Nébuleuse du Crabe : les astronomes chinois consignaient donc dans leur manuscrit, 6300 ans après l’événement, le dernier souffle d’une étoile en fin de vie.
Dans une supernova, le cœur de l’étoile se contracte en un astre compact, étoile à neutrons ou trou noir, sur lequel les couches externes de l’étoile rebondissent. Elles sont alors éjectées à des milliers de kilomètres par seconde dans l’espace interstellaire. L’énergie déployée lors de cette explosion se traduit par une émission lumineuse, visible à l’œil nu si l’étoile est assez proche. Le parcours de l’éjecta dans la matière interstellaire conduit à l’émission de rayonnement gamma dans les semaines ou les mois qui suivent. Contrairement aux rayons cosmiques, les noyaux atomiques accélérés lors du cataclysme, les rayons gamma voyagent en ligne droite et permettent de remonter à l’origine de l’explosion. En arrivant sur Terre, ils sont susceptibles de produire un excès de carbone-14 (14C), qui sera enregistré dans les cernes des arbres.
Les modèles d’évolution de notre galaxie prédisent l’explosion chaque siècle d’environ trois étoiles sur les 200 milliards qu’elle abrite. L’astronomie contemporaine y recense environ 300 restes de supernova similaires à la Nébuleuse du Crabe, âgées de quelques centaines à quelques millions d’années. Malgré ces nombreuses traces avérées, les textes anciens, pour l’essentiel écrits par les astronomes chinois, relatent l’apparition de seulement sept « étoiles invitées » dans l’hémisphère nord, et aucun événement de ce type dans l’hémisphère sud. En outre, aucune supernova galactique n’a été recensée depuis la construction de la première lunette astronomique par Galilée en 1609. De nombreuses supernovæ sont donc passées inaperçues, trop lointaines ou masquées par les poussières cosmiques, ou n’ont pas été répertoriées.
Le rayonnement cosmique, une pluie de particules d’origine encore mal connue, bombarde l’atmosphère terrestre de façon continue et y crée des atomes de carbone radioactif (Carbone-14, noté 14C). Ces atomes sont absorbés par la végétation sous forme de dioxyde de carbone (CO2), au rythme des saisons, au même titre que le carbone stable. Comme le 14C se désintègre en 5000 ans, l’analyse de sa teneur résiduelle dans les végétaux permet de remonter à l’année à laquelle il a été absorbé sur environ 50000 ans. C’est le principe de la datation au carbone-14 utilisé en archéologie.
Le champ magnétique terrestre agit comme un bouclier qui protège la planète du rayonnement cosmique. Le vent solaire, une pluie de particules émises par notre étoile, perturbe cette protection naturelle et lorsque l’activité solaire est plus grande, le rayonnement cosmique peut entrer plus profondément dans l’atmosphère. L’effet le plus spectaculaire est alors l’apparition d’aurores polaires. Les variations du vent solaire engendrent des variations de production de 14C. En outre, lors d’éruptions solaires particulièrement violentes, des particules de hautes énergie peuvent être éjectées de la surface de l’astre engendrant des excès parfois significatifs. Des événements cosmiques violents, en particulier des supernovæ, peuvent émettre des rayons gamma qui eux-aussi devraient créer un excès de 14C dans l’atmosphère.
Les teneurs en 14C mesurées dépendent de la circulation atmosphérique et de l’absorption du carbone par la végétation ou les océans, qui sont intimement liés au climat et à ses fluctuations et qui peuvent varier de façon importante au cours du temps. Or, les connaissances sur la variabilité spatiale et temporelle de la production de 14C sont encore très parcellaires. Un décalage entre les taux mesurés des deux hémisphères a été décelé dès les années 1970. Il résulte probablement du fait que les échanges air-mer CO2 sont plus importants dans l'hémisphère sud, plus largement couvert par les océans. A l’échelle planétaire, seulement 16% des enregistrements réalisés sur les cernes d’arbres ont été acquis à une résolution annuelle, pourtant nécessaire pour comprendre les effets climatiques et identifier des excès anormaux. Pour l’hémisphère nord, ces séries sont assez nombreuses mais se concentrent sur certaines périodes seulement. Pour l’hémisphère sud elles sont beaucoup plus rares et les données de Patagonie de CHASCA permettent de compléter les quelques enregistrements annuels disponibles en Nouvelle-Zélande, Australie et Afrique du Sud. En outre, dans CHASCA des données de la même période, provenant des deux hémisphères, sont analysées. La caractérisation des excès dans chacun des deux hémisphères permettra de mieux comprendre le cycle du carbone.
Les mesures de 14C compléteront les données disponibles à l’échelle mondiale et contribueront à mieux définir les courbes de référence utilisées pour la datation au 14C. Les mesures de Patagonie ont un intérêt supplémentaire compte-tenu du peu d’échantillons disponibles dans l’hémisphère sud. L’analyse des excès dans la série de 14C devrait apporter des contraintes significatives sur le flux de rayons gamma de haute énergie (>10 MeV) émis lors d’une supernova, un sujet qui reste encore peu exploré et qui s’inscrit dans la thématique de recherche des origines du rayonnement cosmique. Si les données s’y prêtent, des excès en dehors des dates de Supernovæ historiques connues pourraient être détectés et interprétés comme d’autres événements cosmiques non répertoriés.
CHASCA crée un lien entre le temps cosmique des événements cataclysmiques dans la galaxie, les temps historiques des débuts de l’astronomie et le temps de l’horloge du carbone-14. Le projet a conduit au développement d’une réflexion artistique sur la poésie du temps qui passe avec l’artiste Laurent Mulot (plus d’information sur http//:mofn.org, Lawall Quilcas).
Thierry Stolarczyk ( ), IRFU/DAp (UMR 7158, Univ. Paris-Saclay, Univ. Paris-Cité, CNRS, CEA) et Valérie Daux, Christine Hatté, Kara Labidi, LSCE (UMR 8212, CEA CNRS UVSQ)
Le projet CHASCA (initialement 14Carbone et Histoire des Apparitions de Supernovæ dans le Ciel Austral), bénéficie du financement de la MITI (appel d'offres TEMPS) en 2021 et 2022, et bénéficie de recherches effectuées dans le cade de l’ANR CASIMODO qui donne accès à des bois de Notre-Dame de Paris couvrant plusieurs périodes depuis le Moyen-Âge. Il bénéficie également du soutien du CEA Paris-Saclay au travers du financement d’un contrat doctoral sur la période 2023-2026.