Deux des quatre « petits » télescopes avec leur miroir primaire de 12m de diamètre en position de garage. Les télescopes sont en position de « repos » et attendent le noir astronomique pour se tourner vers le ciel. L’équipe technique en profite pour finaliser la mise au point d’une des nouvelles caméras © S.Klepser (DESY)
Les quatre caméras des « petits » télescopes de l’observatoire H.E.S.S. ont vu leur électronique de lecture rajeunir de plus de 15 ans afin de rejoindre les performances du cinquième télescope, installé en 2012. Cette mise à niveau va permettre aux cinq télescopes de travailler de concert et d’optimiser l’identification des photons de hautes énergies du cosmos. L’opération de jouvence, démarrée en 2013, a permis l’installation des 4 caméras durant l’été dernier pour aboutir, en janvier 2017, à une première observation simultanée d’une première source gamma. La mise en service de ces caméras aux performances et à la fiabilité améliorées laisse présager une belle moisson de nouveaux résultats scientifiques pour H.E.S.S. qui représente 1/4 des télescopes gammas en fonctionnement dans le monde. Ce succès a aussi validé l’utilisation de la puce NECTAr, conçue par l’Irfu pour équiper une quinzaine de caméras du futur observatoire CTA dont l’installation débutera en 2018.
Après douze ans de bons et loyaux services dans l’environnement poussiéreux et hostile des hauts plateaux namibiens, quatre des cinq caméras de l’expérience H.E.S.S devaient être remplacées. Ces quatre caméras installées en 2005 par des équipes du CNRS/IN2P3 et du CEA/Irfu, ont été à l’origine de la découverte de plus de 100 objets astrophysiques qui émettent des photons de très haute énergie (au-delà de quelques dizaines de GeV), de l’élaboration de la première carte en 2004 du plan galactique (voir l’image à la fin du texte) à ces énergies, de la découverte d’une source de rayons cosmiques au PeV (1015 eV) et de bien d’autres observations.
Cependant, ces quatre caméras, basées sur une technologie déjà ancienne développée dans les années 1990 présentaient un temps mort élevé (quelques centaines de μs) qui perturbait le fonctionnement en réseau avec la caméra du grand télescope installé en 2012, donc équipé d’une électronique de faible temps mort (dizaine de μs). Le temps mort, correspond au temps de traitement d’un évènement durant lequel il est impossible d’enregistrer un nouvel évènement. Il doit être minimisé pour pouvoir traiter correctement des flux importants comme ceux détectés par le grand télescope opérant à un seuil à basse énergie. Pour faire fonctionner les 5 télescopes en réseau, il est indispensable que leur temps mort soit de même ordre de grandeur, à défaut le temps mort global sera défini par l’élément le moins performant. Le temps mort des 4 petits télescopes étant important, le grand télescope fonctionnait tout seul sans attendre les autres qui ne pouvaient pas enregistrer de signaux (car en temps mort). La réduction de ce temps mort, permettant une utilisation optimale des 5 télescopes a donc été la première motivation de la jouvence décidée en 2013
Les nouvelles caméras, sous la responsabilité du groupe de DESY-Zeuthen en Allemagne en collaboration avec des ingénieurs et physiciens du CNRS/IN2P3 du LPNHE (Paris 6), et du LLR (Ecole Polytechnique), du CEA/Irfu (Saclay) et de Leicester (Grande-Bretagne), utilisent une puce électronique, NECTAr, spécialement développée par l’Irfu pour le futur observatoire de rayons gamma de très haute énergie, nommé Cherenkov Telescope Array (CTA).
H.E.S.S. reconstruit l’énergie et la direction des photons gamma de très haute énergie en enregistrant l’émission lumineuse Tcherenkov de la cascade de particules de très hautes énergies produites lorsque ces photons pénètrent dans l’atmosphère terrestre. Pour détecter les très rares photons provenant des sources de très haute énergie, les télescopes qui captent la lumière Tcherenkov sont équipés de miroirs géants ainsi que de caméras ultra-sensibles et ultra-rapides placées à leur foyer. En effet, le temps d’exposition par image est extrêmement court afin de capturer le signal Tcherenkov rapide sans être perturbé par la pollution lumineuse issue du fond de ciel : seulement 16 ns (16 milliardièmes de secondes). Les flux de photons utilisables pour chaque image sont très faibles si bien que la construction de ce type de caméras extrêmement sensibles et rapides représente une prouesse technique.
La technologie des caméras pour l’astronomie gamma a énormément évolué au cours des dix ans de fonctionnement des premières caméras de H.E.S.S. Le développement de l’internet a accéléré le développement de technologies de communication rapides disponibles commercialement de façon standard : lignes à débit élevé, commutateurs, software plus efficaces pour les transmissions de messages. Les puces électroniques et les CPUs sont devenues plus denses, plus petites, plus rapides et capables d’accomplir des tâches encore plus complexes. Parallèlement à cela, les équipes ont commencé à concevoir les prototypes de caméras pour la prochaine génération de réseaux de télescopes, en particulier pour CTA dont la construction doit démarrer en 2018. Une caméra pour les télescopes de taille moyenne de CTA est en cours de développement par une collaboration d’une quinzaine de laboratoires français, espagnols et allemand, dont l’Irfu qui a initié la construction de cette caméra. Il a également fourni la puce NECTAr (développée à l’Irfu/SEDI) qui réalise la capture et l’enregistrement des signaux ultrarapides issus des photodétecteurs pour les convertir en signaux numériques.
La puce NECTAr (ci dessus) est une évolution, plus performante et intégrant plus de fonction, de la puce SAM, utilisée par les cartes de lecture de la caméra du télescope CT5, qui, en 2012, grâce à son miroir de 28m de diamètre, a étendu la sensibilité de H.E.S.S. aux basses énergies (qui ramène la limite basse énergie de 100 GeV à 30 GeV). Les concepteurs des nouvelles caméras de H.E.S.S. ont donc saisi au bond la chance d’utiliser cette nouvelle puce ce qui constituait également une opportunité unique de valider la nouvelle technologie proposée pour CTA. Les caméras de H.E.S.S. sont constituées d’un assemblage de modules, comprenant seize photodétecteurs et leur électronique associée. Une puce NECTAr est associée à chaque photodétecteur, comme on peut le voir sur la ci contre, qui montre un module en cours d’assemblage. Environ 4000 puces NECTAr ont été fournies par l’Irfu pour l’opération de jouvence.
Carte du ciel aux très hautes énergies du voisinage de l’AGN Markarian 421 vu par les nouvelles caméras de H.E.S.S.
L’installation de ces nouvelles caméras sur le site de H.E.S.S. s’est achevée en septembre 2016. La route est longue entre l’arrivée des caméras sur site et leur mise en service. Il faut optimiser le software, établir les connexions et une longue liste de problèmes, difficiles à anticiper au cours des tests en laboratoire et souvent très terre-à-terre - comme des interférences induites par les barrières anti-singes protégeant le site - doivent être résolus. Cependant, les progrès furent rapides et vers Noël 2016, le système s’avérait disponible pour les observations.
Le 4 janvier 2017, une alerte de nos collègues de la collaboration HAWC (the High Altitude Water Cerenkov Observatory) provoquée par un sursaut du noyau actif de galaxie (AGN) Markarian 421, a conduit la collaboration H.E.S.S. à pointer ses télescopes vers cette source et à réaliser la première observation de source gamma en utilisant les nouvelles caméras.
Bien que la source Markarian 421, une galaxie active située à 360 millions d'années-lumière, bien connue pour être une des sources gamma les plus brillante lors de ses sursauts soit plus facilement observable depuis l’hémisphère nord, car située dans la constellation de la Grande Ourse, H.E.S.S. a pointé ses télescopes dans sa direction.
Et voici ce qui a été observé :
Images stéréoscopiques de la lumière Tcherenkov issue de photon gamma candidats dans les nouvelles caméras de H.E.S.S. |
L’enregistrement simultané des images des particules incidentes par les 4 télescopes rénovés s’est déroulé sans heurts et la source a finalement été détectée démontrant un fonctionnement correct des nouvelles caméras en mode stéréoscopique. Elles font la démonstration, en environnement réel, que les puces NECTAr sont capables d’enregistrer des signaux exploitables pour l’astronomie à l’échelle du Teraélectronvolt. Et surtout, elles permettent d’envisager avec optimisme les dernières années de prise de données de H.E.S.S., avec un temps mort réduit de deux ordres de grandeur et une lecture de données basée sur Ethernet et plus flexible, qui améliorera les performances à la fois aux hautes et basses énergies et permettront sans aucun doute une moisson de nouvelles découvertes.
Contacts :
Jean-François Glicenstein (SPP), Eric Delagnes (Sedi)
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