Une équipe internationale, menée par des chercheurs du Département d'Astrophysique/Laboratoire AIM du CEA-Irfu vient de mettre en évidence une nouvelle population de galaxies très lointaines, qui avaient jusqu'à présent échappé aux observations les plus profondes de l’Univers. Durant l’été 2016, à plus de 5000 mètres d’altitude sur les hauts plateaux chiliens, les antennes du grand interféromètre ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) ont scruté pendant plus de 20 heures une des régions les mieux étudiées du ciel. Ces observations y ont révélé des galaxies encore inconnues, très massives mais opaques, n’émettant que très peu de lumière visible en raison d’une grande quantité de poussières. Ces galaxies « sombres », très lointaines, qui pourraient être les progénitrices des galaxies les plus massives de l'univers, révèlent que l’ampleur de la formation des étoiles au cours des premiers milliards d’années de l’histoire cosmique pourrait avoir été jusqu'à présent largement sous estimée. Ces travaux viennent d'être publiés dans la revue Astronomy & Astrophysics.
Comprendre la formation et l’évolution des galaxies requiert des observations extrêmement profondes de l’Univers, afin de pourvoir capter la lumière en provenance des galaxies très lointaines qui se sont formées au début de l’Univers. Dans le cadre d’un large consortium international, les chercheurs du CEA ont utilisé l’interféromètre ALMA pour observer le centre d’une région du ciel dénommée « GOODS-Sud », un des champs cosmologiques les mieux explorés à l’heure actuelle. Cette région de 70 arcmin2 couvre seulement un dixième de la surface de la Lune, ce qui représente environ la surface du ciel couverte par la mine d’un crayon à papier tenu à bout de bras. Elle a déjà été observée par de nombreux télescopes spatiaux et terrestres, couvrant une large gamme de longueurs d’onde, depuis les rayons-X jusqu’aux ondes radio, avec notamment les images obtenues par les télescopes spatiaux Hubble, Herschel, Chandra et Spitzer.
Au total, ce sont plus de 20 000 galaxies qui ont été répertoriées dans cette région test du ciel, ce qui en fait un laboratoire de premier plan pour étudier l’évolution des galaxies.
A gauche : réseau des antennes de ALMA au Chili. A droite : représentation de la taille du champ GOODS-Sud, montrant les limites du champ profond Chandra (en rayons X), du champ profond et ultra profond (HUDF) Hubble (visible et infrarouge) et du champ ALMA (millimétrique). La surface couverte par ALMA est de 7x10 minutes d'arc.
ALMA, contrairement au télescope Hubble, ne détecte pas directement la lumière émise par les étoiles. Observant aux longueurs d’onde millimétriques, ALMA est sensible au rayonnement émis par les grains de poussière du milieu interstellaire qui absorbent le rayonnement des jeunes étoiles. Ainsi, des galaxies massives contenant une forte quantité de poussière peuvent être rendues opaques par celle-ci et devenir indétectables par des télescopes observant dans le visible, tandis qu’elles peuvent ressortir dans des longueurs d’onde millimétriques. La force d’ALMA vient de l’utilisation d’un réseau d’antennes, espacées les unes des autres ce qui permet d’obtenir des images de haute résolution, même aux longueurs d’onde importantes du domaine millimétrique.
Vingt galaxies ont ainsi été découvertes par ALMA dans la région GOODS-Sud. Ce sont parmi les plus massives et plus lointaines des galaxies de cette région du ciel. Quatre d’être-elles, soit 20% de l’échantillon n’étaient pas vues par le télescope Hubble : ce sont des galaxies « sombres », vues ainsi pour la première fois.
Masses de toutes les galaxies détectées dans la région GOODS-Sud (exprimées en masses solaires) en fonction du décalage spectral vers le rouge montrant leur distance. Les détections ALMA pour lesquelles la masse et le décalage spectral ont pu être déterminés sont indiquées en rouge. Ce sont parmi les plus massives. Parmi ces sources, les galaxies non détectées par le Télescope Spatial Hubble sont indiquées avec des cercles.
Pour deux des quatre galaxies détectées par ALMA mais non visibles par le télescope Hubble, une distance a pu être estimée. Il s’agit dans les deux cas des galaxies les plus lointaines de notre échantillon et nous les voyons telles qu'elles étaient il y a plus de 12 milliards d'années, soit moins de 2 milliards d'années après le Big Bang.
Pour connaître plus précisément la proportion de ces galaxies sombres qui a échappé jusqu'ici à la détection par le télescope Hubble, de nouvelles observations de champs profonds du ciel seront nécessaires. Le pourcentage donné par cette étude (20%) suggère que le nombre de ces galaxies pourrait être beaucoup plus important que prévu dans l’univers lointain et l’histoire cosmique de la formation des galaxies risque d'en être profondément modifiée.
Exemple de deux galaxies découvertes par ALMA mais invisibles pour le télescope Hubble. Les contours blancs représentent la lumière millimétrique détectée par ALMA, superposée à une image profonde de Hubble. A gauche : le rayonnement millimétrique ALMA est centré à moins de 0.4 seconde d’arc d’une galaxie proche vue par Hubble mais la résolution de ALMA permet de montrer que le flux ALMA ne coïncide pas avec cette galaxie. A droite : sur l’image, aucun flux visible n’est détecté par le satellite Hubble à la position de la source ALMA.
Contact : Maximilien Franco
Publications :
“GOODS-ALMA: 1.1 mm galaxy survey. I. Source catalog and optically dark galaxies”,
Franco et al., 2018, Astronomy & Astrophysique 620, 15
Voir aussi
- Les galaxies elliptiques lointaines refusent de former des étoiles (9 janvier 2018)
- Dessiner l'univers: les rayons X apportent une nouvelle lumière (4 octobre 2018)
- Détection de gaz froid autour de lointaines galaxies en formation (30 août 2017)
Voir : Communication du Service d'Astrophysique
Rédaction: M. Franco, E. LeFloc'h, J.M. Bonnet-Bidaud
• Structure et évolution de l'Univers › Evolution des grandes structures et des galaxies
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