Figure 1 : Installation du cryostat de la voie rouge du second spectrographe, sur le site du télescope Mayall. Le cryostat contient un CCD aligné, et est équipé d’un tube pulsé qui lui assure un refroidissement à 140 K, stable à 0.1K. (crédit: P.-H. Carton/Irfu).
Le Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI) est destiné à faire le relevé spectroscopique de 35 millions de galaxies et quasars à partir de 2020, pour étudier précisément les propriétés de l’énergie noire. Son installation, démarrée en 2018, est entrée récemment dans une nouvelle phase avec la réception et le montage des deux premiers spectrographes sur les 10 que comptera l’instrument. L’Irfu, partenaire du projet depuis la première heure, et responsable de la partie cryogénique des spectrographes, a réalisé cette installation avec succès. Les 8 spectrographes suivants seront installés en mai et septembre prochains sous coordination de l’équipe de l’Irfu, en partenariat avec les équipe locales.
vidéo réalisée par Victor Silva (Irfu/DIS)
DESI, un projet ambitieux pour décrypter l’énigme de l’univers sombre
DESI est en cours d’installation auprès du télescope Mayall de 4 m (Fig. 2) situé à l’observatoire national Kitt Peak en Arizona. Après le correcteur de champ monté à l’été 2018, c’est maintenant au tour des spectrographes d’être installés sur le site. A terme, ce sont 10 spectrographes qui permettront à DESI d’analyser la lumière des objets pointés par le télescope, en la décomposant en multiples longueurs d’ondes. La campagne d’observations, portant sur un tiers du ciel, débutera en 2020 et durera 5 ans. Elle devrait produire au moins 15 fois plus de spectres que les deux projets précédents, BOSS (Baryon Oscillation Spectroscopic Survey) et eBOSS (extended Baryon Oscillation Spectroscopic Survey) maintenant achevés.
La précision des mesures et le nombre élevé d’objets astrophysiques accessibles auprès de DESI – 5000 par pose - permettront de cartographier la matière visible avec une précision sans précédent, et ce à plusieurs moments du passé de l’Univers, en remontant jusqu’à il y a 11 milliards d’années. La répartition de la matière visible à ces différents moments résulte de la façon dont la matière s’est structurée dans les premiers 400 000 ans après le Big Bang, sous l’effet croisé de la gravité et de la forte pression de radiation qui régnait alors, mais aussi de l’évolution de cette structuration au cours de l’histoire ultérieure de l’Univers. Les observations de DESI permettront de mieux comprendre l’expansion accélérée de l’Univers et donc les propriétés de l’énergie noire, mais aussi l’évolution des galaxies et la matière noire, accessible à travers ses effets gravitationnels.
Les observations de DESI ont été préparées grâce à trois relevés d’images, maintenant achevés, qui ont permis de définir la liste et les coordonnées angulaires des objets dont DESI analysera la lumière afin de remonter à leur décalage spectral, apportant ainsi une information cruciale pour étudier précisément la cartographie de la matière de l’Univers. Au-delà de ses implications techniques dans le projet, l’équipe de l’Irfu engagée dans DESI joue aussi un rôle moteur dans les méthodes et la stratégie de sélection des cibles à observer : galaxies très brillantes, galaxies rouges lumineuses, galaxies à raies d’émission et quasars.
Figure 2 : Vue d’artiste montrant l’instrument DESI monté sur le télescope de 4 mètres Mayall à l’observatoire national Kitt Peak en Arizona. Les 10 spectrographes installés sous le télescope (en jaune) analyseront la lumière de 5000 objets observables simultanément à chaque pose. DESI étudiera environ 35 millions de galaxies et quasars pour établir la cartographie de l’Univers la plus profonde à ce jour (crédit : 2010 The Regents of the University of California, through the Lawrence Berkeley National Laboratory).
Figure 3 : Schéma en coupe partielle de la partie finale des caméras des spectrographes de DESI, conçue à l’Irfu. Les éléments principaux de cet ensemble sont une enceinte cryogénique portant une bride d’entrée (jaune) support de la dernière lentille de l’optique du spectrographe, un CCD (carré bleu) situé juste derrière la lentille et une machine thermique (en vert) destinée à refroidir le CCD. L’enceinte cryogénique porte également le boîtier de l’électronique de lecture du CCD (en gris au-dessus du tube) ainsi que la connectique vers le système de pompage (derrière le boîtier). L’alignement du CCD par rapport au plan focal est assuré lors de la phase de montage du cryostat à l’Irfu (crédit: P.-H. Carton/Irfu).
Les caméras des spectrographes de DESI
Les spectrographes de DESI peuvent observer 5000 objets simultanément à chaque exposition sur le ciel. Pour accueillir DESI, le champ de vue du télescope Mayall a été augmenté de 1 à 7 degrés carrés pour permettre d’accueillir 5000 fibres optiques robotisées sur le plan focal de l’instrument. A chaque exposition, les fibres sont orientées en moins de 2 minutes pour pointer vers de nouvelles cibles à observer. Ces fibres conduisent la lumière vers 10 spectrographes formés chacun de 3 voies, bleue, rouge et proche infrarouge (NIR) afin de couvrir tout le domaine de longueurs d’ondes visibles. Les 500 spectres obtenus sur chaque spectrographe sont lus par trois caméras constituées chacune d’une optique de focalisation et d’un détecteur CCD refroidi dans une enceinte cryogénique (cryostat). La conception des spectrographes est le fruit d’une collaboration entre le Lawrence Berkeley National Laboratory (LNBL) aux États-Unis, l’entreprise française Winlight Optics située à Pertuis dans le Vaucluse, l’Irfu et un ensemble de laboratoires du CNRS de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Contributions de l’Irfu à l’instrument DESI
Engagé dans le projet dès ses débuts, l’Irfu est responsable de la conception, du montage et du contrôle de la partie finale des 30 caméras (ensemble lentille de champ et détecteur dans leur cryostat, Fig. 3), ainsi que de l’intégration et du positionnement précis des détecteurs CCD. Chaque cryostat possède sa propre machine thermique, un tube pulsé conçu au CEA Grenoble et commercialisé par l’entreprise Thales. Les CCD opèrent à une température de 140 K pour les voies rouges et NIR et de 163 K pour les voies bleues avec une stabilité de 0.1 K. Pour maintenir le vide à quelques 10-7 mbar, des procédures très strictes d’étuvage ont été mises en oeuvre et une pompe ionique a été ajoutée à l’enceinte à vide. L’alignement d’un CCD dans un cryostat est une opération délicate du fait des tolérances imposées par l’optique : ±15 microns de parallélisme par rapport au plan focal pour un CCD d’environ 6x6 cm2. Le montage mécanique des cryostats et l’alignement des CCD se font en salle blanche. Puis, chaque caméra est vérifiée sur un banc de test (thermique, tenue au vide, alignement ...) et des éclairements sont réalisés pour caractériser les détecteurs. Les caméras sont ensuite envoyées à l’entreprise Winlight Optics, en charge de la construction des spectrographes, pour une caractérisation complète des qualités optiques de la chaîne spectrographe-caméra par les équipes du CNRS.
Les 3 premières caméras ont été livrées à Winlight Optics et intégrées au premier spectrographe par l’équipe de l’Irfu à la fin de l’année 2016 (voir http://irfu.cea.fr/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast.php?t=fait_marquant&id_ast=3870). Depuis, 18 cryostats avec leur détecteur CCD ont été construits et testés à l’Irfu, 15 d’entre eux ont été montés et testés optiquement sur les 5 premiers spectrographes. Parmi ceux-ci, deux spectrographes et leurs 6 caméras ont été installés auprès du télescope à Kitt Peak au début de cette année et sont pleinement opérationnels. Un troisième ensemble spectrographe-caméra est en cours d’acheminement vers le site. La fin de la construction, de l’intégration et de l’installation des spectrographes et caméras sur le télescope est prévue pour la fin de l’année 2019.
Journal de bord de l’installation au Kitt Peak
L’installation des premiers cryostats auprès du télescope Mayall a été effectuée du 28 janvier au 16 février dernier par un groupe d’ingénieurs et techniciens de l’Irfu. La première semaine a été consacrée à la mise en place du système de contrôle-commande des cryostats, développé au DIS, le Département de l’ingénierie des systèmes de l’Irfu, ainsi que de la centaine de câbles nécessaires aux mesures, à l’alimentation électrique et aux liaisons informatiques. Le système de contrôle-commande est constitué de 3 baies électroniques comprenant une partie numérique et automate, et des tiroirs d’interface avec les 30 cryostats. En parallèle, les membres du DEDIP, le Département d’électronique des détecteurs et d’informatique pour la physique de l’Irfu montaient 2 groupes de pompage et installaient le circuit de refroidissement des machines thermiques pour préparer la mise en fonctionnement des cryostats.
Au cours de la seconde semaine tous les tests fonctionnels du système ont été réalisés, dont celui très important du pilotage à distance des cryostats (contrôle du vide et descente en froid) via une liaison externe sécurisée. Cette semaine a aussi été consacrée à la formation de l’équipe locale du télescope à la prise en main du système, dont elle devra assurer l’exploitation durant les 5 ans d’observation de l’instrument DESI.
Enfin, lors de la troisième semaine, les équipes de l’Irfu, du télescope et du LBNL ont procédé à l’installation proprement dite des 2 premiers spectrographes et de leurs cryostats associés (Fig. 1). En fin de mission, les deux spectrographes et leurs 6 cryostats étaient en conditions opérationnelles nominales, permettant la phase suivante des tests optiques. Ces tests, menés depuis par les équipes du LBNL et du CNRS, ont démontré d’excellentes performances optiques, en accord avec les spécifications requises (Fig. 4). Ce résultat valide le design thermo-mécanique des cryostats et les procédures de positionnement des CCD mis en place par l’Irfu.
Contacts: Pierre-Henri Carton (Dedip), Christophe Magneville (DPhP), Vanina Ruhlmann-Kleider (DPhP)
Figure 4 : Résolution spectrale du second spectrographe installé auprès du télescope Mayall, mesurée in situ. A gauche, images des spots lumineux de différentes intensités (courbes bleues) délivrés par des fibres optiques de test placées en entrée des trois voies du spectrographe. A droite, résolutions mesurées pour les trois voies (en bleu, rouge et brun). Les résolutions sont meilleures que les spécifications (pointillés) et en accord avec le modèle optique de l‘instrument (tirets) (crédit: Julien Guy/LBNL).
• Structure et évolution de l'Univers › Univers sombre
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département d'Ingénierie des Systèmes (DIS) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)
• Laboratoire d'étude mécanique et d'intégration des détecteurs (LEMID) • Laboratoire de conception, d’études et d’avant-projets (LCAP) • Laboratoire de Développement et d’Intégration de Systèmes de Contrôle (LDISC) • Laboratoire d'études et d’intégration en génie électrique (LEIGE) • Cosmologie
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