Alors que les supernovae de type Ia sont considérées comme des explosions très symétriques, l’explosion dans un système binaire serré composé de deux naines blanches révise ce paradigme. Une équipe internationale (Japon, Canada, France), dont une chercheuse du Département d’Astrophysique/Laboratoire AIM du CEA Paris-Saclay, publie une étude dans la revue The Astrophysical Journal qui révèle que les structures asymétriques distinctives d’une telle supernova laissent des empreintes post-mortem dans la morphologie de la matière éjectée. Ces signatures morphologiques perdurent et sont observables dans une phase avancée des restes de supernova. Ces résultats ouvrent la possibilité d’identifier et de caractériser le scénario d’explosion de ce type de supernovae.
Les supernovae de type Ia (SN Ia) résultent de l’explosion d’une naine blanche composée de carbone et d’oxygène dans un système binaire. S’appuyant sur leur relative homogénéité, elles sont utilisées comme « chandelles standard » pour estimer les distances des galaxies dans l’Univers et montrer que l’expansion de l’Univers s’accélère. Cependant, il n’y a actuellement pas de consensus établi sur la façon dont elles explosent et sur la nature du compagnon dans le système binaire.
Le déclenchement de l’explosion d’une SN Ia provient d’un transfert de masse de l’étoile compagnon vers la naine blanche dans un système binaire. Mais il peut aussi, plus radicalement, résulter de la fusion de deux naines blanches. Deux principaux mécanismes d’explosion sont actuellement considérés : une déflagration suivie de la détonation du cœur, ou une double détonation. Dans les deux cas, la destruction de la naine blanche est complète.
Morphologie de la supernova Ia D6 50 secondes après l’explosion : le cône de matière (centre gauche de l’image) est généré par la présence de la naine blanche compagnon ; la déformation de la couche externe (en bas de l’image) est due à la première détonation en surface.
De quel système binaire parle-t-on et de quelle nature est l’étoile compagnon ? Est-ce un système « simplement dégénéré » composé d’une naine blanche et d’une étoile en phase de fusion de l’hydrogène ou de l’hélium, ou un système « doublement dégénéré » composé de deux naines blanches ?
Les tentatives d’identification de compagnons survivants dans les restes de supernova historiques sont restées sans succès. Mais en 2018, le satellite GAIA a découvert trois naines blanches de très grande vitesse dans notre Galaxie qui ont été interprétées comme des survivantes de supernova de type Ia ! En effet, dans le cas de deux naines blanches en orbite serrée sur le chemin de fusionner, un transfert de masse instable peut provoquer l’explosion de la naine blanche la plus massive, laissant la naine blanche compagnon s’échapper à une vitesse très rapide du système. Ce modèle récent d’explosion est appelé « Dynamically driven, double-degenerate, double detonation », ou D6 en abrégé.
Cette découverte a motivé de nombreux travaux pour examiner les conditions et les propriétés d'une telle explosion « D6 » de la SN Ia. Ce système binaire doublement serré dégénéré et à double détonation est prometteur ; il permet d’expliquer un certain nombre de propriétés des SN Ia qui ne sont pas reproduites par un système simplement dégénéré.
Coupe en densité, selon chaque axe (x, y, z), d’un reste de SN Ia D6 de 1 à 500 ans illustrant la présence de structures asymétriques, dont le cône généré par la présence de la naine blanche compagnon. La petite croix jaune représente le centre de l’explosion, la croix blanche représente la naine blanche survivante qui a été éjectée à grande vitesse.
C’est dans ce contexte que l’équipe de chercheurs a modélisé numériquement en 3D l’évolution hydrodynamique d’une supernova D6, de son explosion jusqu’à sa phase de reste de supernova mature de plusieurs milliers d’années.
Le code de simulations numériques 3D utilisé, le code RAMSES, a été développé au département d’Astrophysique/UMR AIM, ainsi que son adaptation au suivi de l’évolution et de la physique des restes de supernova. Cette dernière version avait initialement permis d’étudier l’impact de l’accélération de particules sur l’évolution de la morphologie de restes de supernova et sur leur émission multi-longueur d’onde.
Une grille co-mobile permet de suivre l’expansion de la matière éjectée et la résolution de la grille est encore augmentée par le raffinement de maillage adaptatif de RAMSES afin de suivre les structures générées par les chocs.
La proximité du compagnon produit des structures asymétriques distinctives de la supernova D6 que l’on retrouve sous la forme de plusieurs signatures morphologiques dans les restes de supernova ouvrant un potentiel d’identification et de caractérisation du scénario d’explosion de la supernova :
- Une protrusion des éjecta située à l’opposé du lieu de la détonation initiale externe dans la couche d’hélium, qui se dissipe après plusieurs centaines d’années.
- Un pic de densité au cœur des éjecta, résultant de la seconde détonation
- Un décentrage de la matière éjectée par rapport au point d’explosion de la supernova généré par la vitesse initiale de la naine blanche dans le système binaire
- Un important cône « d’ombre » généré par la présence du compagnon qui se traduit par une zone moins dense entourée d’un anneau plus dense riche en instabilités hydrodynamiques. C’est cette signature qui est la plus marquée et la plus durable dans l’évolution du reste de supernova.
La prochaine étape consistera à produire les cartes d’émission en rayons X d’un reste de supernova Ia D6 pour les confronter aux observations existantes, ainsi que les spectres associés à haute résolution spectrale qui seront accessibles avec le futur grand observatoire en rayons X Athena.
Matériel additionnel :
- images 3D interactives sur Sketchfab : ici et la
- Films sur l’évolution:
Voir aussi : Communiqué de presse canadien, communiqué de presse japonais
Contacts CEA: Anne Decourchelle
Publication:
“The double detonation of a double degenerate system, from Type Ia supernova explosion to its supernova remnant ” , Gilles Ferrand, Ataru Tanikawa, Donald C. Warren, Shigehiro Nagataki, Samar Safi-Harb and Anne Decourchelle, The Astrophysical Journal, 2022, 930, 92 (DOI: 10.3847/1538-4357/ac5c58)
https://arxiv.org/abs/2202.04268
Rédaction : Anne Decourchelle
• Structure et évolution de l'Univers › Phénomènes cosmiques de haute énergie et astroparticules
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
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