Pour la première fois, une équipe européenne, à laquelle participe le service d'astrophysique (SAp) du Dapnia, vient de dévoiler la répartition dans notre Galaxie de l'antimatière [1], une forme miroir étonnante de la matière. C'est grâce au spectrographe SPI [4] placé à bord du satellite Integral qu'a pu être constituée la carte complète de certains rayons gamma caractéristiques de l'annihilation matière-antimatière. Cette carte révèle que notre Galaxie produit en permanence plus de 16 milliards de tonnes de particules d'antimatière par seconde, principalement en son centre (pour 80%) mais également le long de son disque équatorial (pour 20%). Cette antimatière est constituée de positons (anti-électrons) [2]. L'étude européenne a pu démontrer que l'antimatière du disque provenait probablement de la désintégration de matière radioactive produite par les étoiles massives. En revanche la source d'antimatière du centre reste encore un épais mystère. Ces résultats sont publiés dans la revue Astronomy & Astrophysics.
L'antimatière dans le monde ordinaire est extrêmement rare car elle forme avec la matière un couple étrange. Particule et antiparticule réalisent en permanence l'équivalence de la masse et de l'énergie selon la relation E=mc2 de la théorie de la Relativité. Mettez les en présence et elles s'annihilent mutuellement en énergie.
Concentrez suffisamment d'énergie en un point et vous verrez, en véritable génération spontanée, apparaitre une paire, deux particules symétriques, la "vraie" et l"anti". Annihilation et création de paires sont les deux manifestations de l'antimatière dans notre monde de matière. La création de paires est une façon "naturelle" de faire apparaitre de l'antimatière au sein de la matière ordinaire. Mais une "antiparticule" ne peut exister de façon stable car dès qu'elle rencontre la particule de matière opposée, elle s'annihile en énergie. L'antimatière est ainsi continuellement produite et détruite dans notre Univers proche. Dans le cas du positon [2], l'anti-particule de l'électron, la désintégration mutuelle produit une quantité d'énergie bien précise. L'ensemble de la masse des deux particules est transformée en énergie, sous forme de deux photons ou particule de lumière ayant chacun une énergie de 511 keV [3]. L'annihilation "positon-électron" se traduit donc par un excès de lumière, à une énergie très précise de 511 keV, appelé aussi "raie d'annihilation".
Un des objectifs majeurs de l'expérience SPI à bord du satellite INTEGRAL était de fournir pour la première fois une carte complète de la Galaxie à cette énergie d'annihilation. Jusqu'ici, seule une vision partielle du centre de la Galaxie avait été obtenue dans les année 1990 par l'instrument OSSE du satellite NASA/Compton CGRO. La carte obtenue permet une description très précise de la répartition des "anti-électrons" dans la Galaxie. La majorité est produite vers le centre dans une région exactement axée sur le centre géométrique de la Galaxie, dont le coeur couvre 8.1 degrés en longitude (axe horizontal) et 7.2 degrés en latitude (axe vertical), soit une dimension de 3 800 par 3 400 années-lumière à la distance du centre galactique. Ces dimensions sont de 30 à 40% plus importantes que celles préalablement déterminées par l'expérience OSSE/CGRO. Les données d'Iintegral ne confirment pas non plus le léger excès vers les latitudes positives rapporté par cette expérience antérieure.
L'autre contribution vient du disque galactique dont l'image complète est fourni par Integral. La contribution du disque au flux total observé n'est que 40% (pour 60% au centre) et, en raison de l'effet de la distance, la luminosité réelle est encore plus faible, environ 20% pour le disque contre 80% pour le centre.
La carte de l'antimatière de la Galaxie. Sur cette carte figure la répartition des rayons gamma d'énergie 511 keV qui sont produits lors de l'annihilation obtenue par l'instrument SPI à bord du satellite Integral etreprésente la première vue complète de la Galaxie à cette énergie bien particulière (cliquer sur l'image pour agrandir) (crédits ESA/Integral/SPI)
Cette carte précise de l'émission à 511 keV a permis aux scientifiques de remonter aux sources des anti-électrons produits dans le disque. En comparant avec la distribution des étoiles, la source la plus probable semble les éléments radioactifs de l'aluminium (26Al) et du titane (44Ti) qui qui sont produits en abondance par certaines étoiles massives et qui se désintègrent en produisant des anti-électrons.
En revanche, la source des anti-électrons du centre de la Galaxie est toujours fortement débattue. Selon les auteurs, une partie non négligeable pourrait provenir des explosions d'étoiles dites "supernovae de Type Ia" au cours desquelles des éléments radioactifs comme le cobalt (56Co) produisent en se désintégrant de nombreux anti-électrons. Mais leur contribution pourrait être insuffisante. D'autre part, la géométrie de l'émission, une très large zone sphérique homogène autour du centre, rend de plus en plus improbable une hypothèse antérieure selon laquelle le trou noir massif au centre de la Galaxie est la source principale d'antimatière. Elle suggère au contraire que les anti-électrons du centre galactique pourraient être produits par la désintégration de particules légères de "matière noire" répartie en halo. Cette matière, de nature encore hypothétique, n'interagit pas avec la matière ordinaire. Invisible, elle ne participe que par son attraction gravitationnelle à la dynamique des galaxies et des amas de galaxies. Dans ce cas, la carte de l'annihilation produite par Integral serait aussi la première "image" indirecte de la matière noire. Contact : Stephane Schanne
Publication : "The all-sky distribution of 511 keV electron-positron annihilation emission" J. Knödlseder, P. Jean, V. Lonjou, G. Weidenspointner, N. Guessoum, W. Gillard, G. Skinner, P. von Ballmoos, G. Vedrenne, J.-P. Roques,S. Schanne, B. Teegarden, V. Schönfelder, C. Winkler
à paraitre dans la revue Astronomy and Astrophysics pour une version électronique : (fichier pdf - 1004 Ko) voir aussi: - La source d'antimatière du centre galactique (01 Novembre 2003) Liens: Le site INTEGRAL du Service d'Astrophysique Le premier anniversaire d'INTEGRAL INTEGRAL découvre le ciel gamma INTEGRAL perce le brouillard gamma
[1] Antimatière. La découverte de l'antimatière est un des plus spectaculaires succès de la Mécanique Quantique, la théorie de l'infiniment petit, développée à partir des années 1930. Le visionnaire physicien anglais Paul Dirac a eu le premier l'intuition de l'existence d'une particule de même masse que l'électron mais ayant une charge électrique positive, un électron-jumeau mais avec des caractéristiques opposées. Dès 1931, il postule alors de façon visionnaire que cette même symétrie devait être réalisée pour toutes les particules, chacune devant avoir dans la nature son anti-particule, homologue mais de charge opposée. L'anti-électron, ou positon (positron en anglais), est découvert l'année suivante, en laboratoire par Carl Anderson, puis beaucoup plus tard, en 1955, l'anti-proton par Emilio Segre et Owen Chamberlain. Tous furent couronnés par un prix Nobel. [2] Le positon est l'anti-électron, la particule d'anti-matière correspondant à l'électron. Chaque particule a en effet son anti-particule qui a des caractéristiques symétriques et a pour propriété de s'annihiler totalement au contact de la particule paire. Lors d'une rencontre "positon-électron", l'ensemble de la masse des deux particules est transformée en énergie, sous forme de deux photons ou particule de lumière ayant chacun une énergie de 511 keV. L'énergie de 511 keV (ou 8.2 10-14 Joule) est l'énergie de masse de l'électron calculée par la formule E=mc2. L'annihilation "positon-électron" se traduit donc par un excès de lumière d'énergie très précisément 511 keV, appelé aussi "raie d'annihilation". [3] Electron-volt. L'énergie des rayons X et gamma est souvent évaluée en "électron-volt (eV)". Cette unité correspond à l'énergie communiqué à un électron de charge (e) soumis à une tension de 1 Volt. En unités du système international (SI), 1 eV correspond à 1.6 10-19 Joule. Les rayons (ou photons) de lumière visible ont une énergie d'environ 2 eV, les rayons X dits "mous" de 0.1 à 10 kilo-electronvolt (keV), ceux dits "durs" au delà de 10 keV. [4] Le spectrographe SPI. Le spectrographe SPI (pour SPectromètre pour Integral) est constitué d'un plan de 19 détecteurs semi-conducteurs de Germanium formant une mosaïque hexagonale, refroidis dans un cryostat à la température de 90 degrés Kelvin (soit -180 degrés Celsius). Ces détecteurs permettent de mesurer l'énergie d'un photon incident de 1 MeV avec une précision de 0.2% (soit 2 keV),et ainsi détecter une émission gamma dans des raies fines. Il fournit une image d'une région du ciel d'environ 16 degrés de champ de vue avec une résolution spatiale (plus petit détail perceptible) de 2 degrés.(voir aussi sur le site INTEGRAL "le spectrographe SPI
")
SPI en chiffres : Masse: 1230 kg Hauteur: 2.8m Diamètre: 1.1m Surface de détection: 500 cm2 Champ de vue: 16º Résolution angulaire: 2º Gamme d'énergie: 20 keV - 8 MeV Résolution en énergie: 2 keV à 1 MeV
Rédaction: Jean-Marc Bonnet-Bidaud
• Structure et évolution de l'Univers › Phénomènes cosmiques de haute énergie et astroparticules
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu)