Les nouvelles observations conduites par notre équipe dans le domaine millimétrique suggèrent qu'une grande partie du problème est résolue au stade pré-stellaire, c'est à dire pendant la phase de contraction du coeur dense qui précède la naissance de la proto-étoile proprement dite. Notre étude de la proto-étoile très jeune IRAM 04191 dans le nuage moléculaire du Taureau fait en effet apparaître pour la première fois une échelle caractéristique (~3000-5000 UA) au delà de laquelle le moment cinétique est efficacement dissipé au cours de la contraction du coeur pré-stellaire, probablement par freinage magnétique.
fig 1 L'image en niveaux de gris à gauche représente une carte de l'émission
thermique à 1.3mm des poussières contenues dans les enveloppes de la proto-étoile
très jeune IRAM 04191, vue uniquement dans le domaine (sub)millimétrique, et de la
proto-étoile plus évoluée IRAS 04191, déjà brillante dans le domaine infrarouge.
Les contours en bleu et en rouge montrent le flot bipolaire éjecté par IRAM 04191
au cours du processus d'accrétion, tel qu'observé dans la transition moléculaire CO
(2-1). Les spectres de plusieurs transitions de la molécule CS montrés à droite sont
``auto-absorbés'' et asymétriques, avec un pic bleu plus fort que le pic rouge, ce
qui trace des mouvements d'effondrement dans l'enveloppe de la proto-étoile. Des
spectres synthétiques résultant d'une modélisation de la source avec un code de
transfert radiatif sont également montrés (en rouge). La modélisation des spectres
permet d'estimer quantitativement l'amplitude des mouvements présents dans
l'enveloppe (voir texte et Fig. 3). Cette étude a été menée avec le radiotélescope
de 30m de l'IRAM (cf. André, Motte & Bacmann 1999; Sky & Telescope, June 1999, p.
27; et Belloche et al. 2002).
fig 2: Cette figure montre les variations spatiales de la vitesse moyenne (points noirs avec barres d'erreur) mesurée sur chaque ligne de visée le long de l'axe perpendiculaire à l'axe de rotation. Ces variations suivent une courbe en forme de ``S'', qui se démarque significativement de la droite attendue dans le cas d'une rotation solide. La courbe en rouge montre le profil de vitesse du modèle d'enveloppe que nous avons retenu et qui s'ajuste le mieux aux observations. (Belloche et al. 2002)
fig 3: Propriétés cinématiques de l'enveloppe d'IRAM 04191 : profil radial de la vitesse de rotation (à gauche) et profil de la vitesse d'effondrement (à droite). Sur chaque panneau, la zone bleue correspond au domaine compatible avec les observations et la courbe noire au ``meilleur'' modèle d'enveloppe retenu. (D'après Belloche et al. 2002.) C'est la première fois que le champ de vitesse d'une proto-étoile est quantifié de manière aussi précise.
Notre nouvelle étude détaillée dans plusieurs transitions moléculaires (Belloche et al. 2002) nous a permis de confirmer que l'enveloppe d'IRAM 04191 présente bien des mouvements d'effondrement (Fig. 1) et de rotation (Fig. 2) autour d'un axe coïncidant avec l'axe du flot bipolaire. De plus, à l'aide de simulations effectuées avec un code de transfert radiatif, nous avons pu pour la première fois quantifier l'amplitude des mouvements de contraction et de rotation, et ainsi apporter des contraintes importantes aux modèles de formation de proto-étoiles. En particulier, nous avons pu montrer que la rotation s'effectue de manière différentielle4 (cf. Fig. 2).
La Figure 3 dresse un bilan quantitatif des caractéristiques cinématiques de l'enveloppe d'IRAM 04191, résultant de notre travail de modélisation des observations (cf. Belloche et al. 2002). Deux régions se distinguent clairement du point de vue cinématique : la partie interne de l'enveloppe (rayon inférieur à ~2000-4000 UA) tourne vite et s'effondre rapidement, tandis que la partie externe tourne et se contracte plus lentement. Le fait que la vitesse de rotation chute brutalement au-delà de 3500 AU, alors même que la vitesse de contraction varie peu, suggère que le moment cinétique est efficacement dissipé dans l'enveloppe externe tandis qu'il est apparemment conservé dans l'enveloppe interne. La chute de la vitesse de rotation à grand rayon peut s'expliquer par freinage magnétique, sous forme d'un transfert de moment cinétique vers le nuage ambiant à plus grande échelle par l'intermédiaire des lignes de champ magnétique. En d'autres termes, l'enveloppe interne d'IRAM 04191 semble en train de se découpler magnétiquement de son environnement et constitue sans doute le réservoir de masse effectif ( M) servant à l'élaboration de la future étoile.
En résumé, notre étude détaillée de la proto-étoile IRAM 04191 suggère qu'une fraction importante du moment cinétique initial est perdue par freinage magnétique au cours de la phase pré-stellaire. A l'issue de cette phase, le moment cinétique spécifique du système protostellaire formé n'est plus que 2 à 3 ordres de grandeur plus élevé que le moment cinétique spécifique typique de notre système solaire actuel (suivant que l'on inclut le nuage de Oort ou seulement les planètes). Il est comparable au moment cinétique spécifique d'un disque proto-planétaire typique autour d'une étoile pré-séquence principale de type ''T Tauri'' (cf. Beckwith et al. 1990). D'autres mécanismes de transfert du moment cinétique entrent alors en jeu au cours des phases protostellaires, pré-séquence principale et séquence principale pour ''résoudre'' complètement le problème :
fig 4: Moment cinétique spécifique en fonction du rayon pour un échantillon
de coeurs denses pré-stellaires (carrés vides) et proto-étoiles (symboles pleins)
du nuage du Taureau. Les valeurs typiques pour un nuage (rond vide), un disque
protoplanétaire autour d'une étoile T Tauri (ellipse pleine) et le Soleil actuel
avec son cortège de planètes (symboles étoilés) sont également représentés pour
comparaison. Cette figure illustre l'évolution des propriétés rotationnelles au
cours de la contraction de la matière depuis un nuage moléculaire jusqu'à une
étoile comme le Soleil. IRAM 04191 se trouve à la charnière entre le régime des
coeurs pré-stellaires (vitesse angulaire maintenue constante, présumément par
freinage magnétique) et celui des proto-étoiles (moment cinétique spécifique constant, car se conservant lors de l'effondrement une fois l'enveloppe
protostellaire interne découplée magnétiquement du nuage ambiant). (D'après Ohashi
et al. 1997 et Belloche et al. 2002)
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