Pour observer la forme des particules élémentaires, les physiciens utilisent de gigantesques microscopes électroniques, les accélérateurs d'électrons. Mais quand, avec le même appareil, deux observateurs voient deux images complètement différentes du proton, on commence à se poser des questions. Pierre Guichon (SPhN) et Marc Vanderhaeghen (université de Williamsburg) proposent une explication.
Parmi les particules élémentaires, le proton joue un rôle central car il constitue, sous forme d'hydrogène, la quasi-totalité de la matière visible de l'univers. C'est aussi, grosso modo, la moitié des constituants des noyaux atomiques, l'autre moitié étant les neutrons. Il est donc bien normal qu'on s'intéresse de près à cette particule qui n'est pas si élémentaire que ça. C'est quand même un petit objet. On sait que son rayon est environ un millionième de millionième de millimètre et donc, pour l'étudier, il faut un microscope électronique à (très) fort grossissement : c'est l'accélérateur d'électrons. Actuellement il n'en existe que deux capables de fournir une image raisonnablement précise. Le vénérable Slac, en Californie et le fringuant Cebaf qui est situé au laboratoire JLab en Virginie. L'Europe, qui en son temps eut un projet ambitieux, se contente d'envoyer des physiciens travailler dans ces installations américaines.
Le proton est constitué de particules plus petites dont certaines portent une charge électrique. Quand un électron propulsé par l'accélérateur arrive dans le voisinage du proton, les charges internes de celui-ci l'attirent ou le repoussent plus ou moins selon leurs positions. Ceci perturbe la trajectoire de l'électron et avec un appareil de détection idoine, on détermine la probabilité pour qu'il soit dévié dans telle ou telle direction. On appelle cela mesurer la section efficace de diffusion. A partir de celle-ci on peut alors reconstruire la répartition des charges, ce qui donne une image « électrique » de la forme du proton. Pour que ça marche il faut que l'électron ait une grande énergie, sinon il peut être dévié alors qu'il est encore trop loin du proton pour voir sa structure interne. Une cible ponctuelle, au sens mathématique du terme, produirait le même effet, qu'on appelle « diffusion de Rutherford ». Naturellement celle-ci sert de référence pour dire si une particule est ponctuelle ou non. Le rapport entre la section efficace mesurée et la section efficace de Rutherford définit les facteurs de forme de la particule étudiée. Ils sont la signature de sa structure spatiale et pour le proton il y en a deux : l'électrique, GE, et le magnétique, GM, qui sont fonction de la variable Q2, une combinaison de l'énergie et de l'angle de diffusion de l'électron. Plus Q2 est grand, meilleure est la définition de l'image finale. Comme leur nom le suggère, GE dépend de la distribution spatiale des charges électriques tandis que GM dépend de la distribution de la magnétisation. Celle-ci est crée, comme dans un électro-aimant, par les courants électriques qui circulent à l'intérieur du proton. Ces deux facteurs de forme recèlent donc des informations fondamentales et c'est pourquoi des efforts importants ont été, et sont encore, consacrés à leur détermination expérimentale par la diffusion d'électrons de haute énergie.
La méthode de mesure repose sur l'approximation d'échange d'un seul photon. En gros l'électron incident émet un photon virtuel qui est absorbé par la particule cible. On peut alors montrer que la probabilité de diffusion est une combinaison linéaire de GE et GM. En variant l'énergie du faisceau et l'angle de diffusion à Q2 constant, on change les coefficients de cette combinaison, ce qui permet d'extraire GE et GM. Cette méthode, dite de Rosenbluth, a été la seule praticable à grand Q2 jusqu'à l'avènement des faisceaux d'électrons polarisés au JLab.