Une équipe commune du service de physique nucléaire (SPhN), du service d'Electronique des Détecteurs et d'Informatique (Sedi) et du Service d'Ingénierie des Systèmes (SIS) de l'Irfu a récemment conçu et testé un détecteur gazeux prototype Micromegas de 2ème génération dans le solénoïde CLAS-DVCS* du Jefferson Laboratory (Virginie, USA). Pour la première fois, il a été démontré qu'un Micromegas pouvait fonctionner dans un environnement magnétique très défavorable (4,2 T parallèle aux pistes du détecteur). Les mesures réalisées lors de ces tests sont en accord avec les simulations, et constituent donc un pas important vers l'implantation de ces détecteurs dans le futur trajectographe central de CLAS12 (amélioration de CLAS en vue de la montée en énergie de Jefferson Lab à 12 GeV en 2014).
Fig. 1 : principe de la mesure: le laser UV est atténué et focalisé, via un jeu de miroirs et de lentilles, sur l’électrode de dérive du détecteur. Les électrons arrachés dérivent dans l’espace de conversion avec un angle de Lorentz θ. Ceux provenant de la micro-grille fournissent la position du laser, et la distance entre les deux signaux permet donc de mesurer θ.
En vue de la montée en énergie de l'accélérateur d'électrons du Jefferson Laboratory, le spectromètre CLAS doit être largement modifié d'ici 2014. Le projet, dénommé CLAS12, prévoit notamment la construction d'un trajectographe central, implanté dans un champ solénoïdal de 5 T, et destiné à la détection de protons et pions de moyenne impulsion (entre 0.2 et 1.5 GeV/c).
Initialement, ce trajectographe devait être composé de détecteurs silicium, fruit d’une collaboration américano-russe, de grande surface totale (0,8 m²) et comprenant 35000 voies d’électronique. Mais afin d’améliorer la résolution angulaire, tout en diminuant la quantité de matière et le coût d’un tel équipement, le groupe CLAS du SPhN a proposé de remplacer 80% de ces silicium par des détecteurs gazeux de type Micromegas. Ceci grâce à la R&D menée au Sedi sur la nouvelle génération de Micromegas, dit « bulks ». Des simulations, basées sur les programmes Garfield et Magboltz, sont venues confirmer l’intérêt d’un tel dispositif mixte en termes de résolutions spatiale et angulaire. Il existe cependant une difficulté majeure liée à l’utilisation de détecteurs gazeux dans un champ magnétique intense. En effet les électrons, créés par le passage d’une particule chargée dans le volume du détecteur, dérivent avec un angle - dit de Lorentz - élevé par rapport à la direction du champ électrique. Dans les conditions nominales, cet angle est proche de 75°, et rend un Micromegas inutilisable. Les simulations ont montré qu’il était possible, en théorie, de ramener cet angle à moins de 20°, avec un choix judicieux de gaz et en augmentant le champ de dérive du détecteur, au prix d’une diminution de la transparence de la micro-grille. Avec un tel angle, le détecteur permettra une reconstruction des traces avec une efficacité de reconstruction supérieure à 95%.
Des prototypes Micromegas ont donc été réalisés au CERN et testés au Sédi, ainsi qu’un dispositif expérimental permettant la mesure de ces angles de Lorentz. Dans ce dispositif (Figure 1) un laser UV est focalisé sur l’électrode de dérive en mylar aluminisé du détecteur, et simule le passage d’une particule dans le détecteur en provoquant l’arrachement d’un grand nombre d’électrons des atomes d’aluminium. Ces électrons dérivent alors dans le volume gazeux du détecteur, et après amplification, sont collectés sur des pistes connectées à une électronique développée par ailleurs pour l’expérience T2K (AFTER). Une caractéristique essentielle de ce dispositif est la capacité du laser à arracher également des électrons sur la micro-grille du détecteur.
En présence d’un champ magnétique, les signaux provenant des électrons de la dérive et des électrons de la micro-grille donnent ainsi lieu à deux pics séparés sur les pistes, et la différence de position entre ces pics fournit directement une mesure de l’angle de Lorentz vu par les électrons dans l’espace de dérive. Une première campagne de mesures d’angles de Lorentz a été effectuée à Saclay où un dipôle chaud du SACM a permis de prendre des données jusqu’à 1,5 T sur un détecteur Micromegas de petites dimensions. L’accord avec la simulation s’est révélé excellent, et cette campagne a donc validé à la fois le dispositif de mesure ainsi que la pertinence de la simulation jusqu’à ces champs magnétiques de moyenne intensité.
Le même dispositif a été installé en conditions réelles, sur l’aimant solénoïdal de CLAS, dans le Hall B du Jefferson Laboratory (Figure 2). Le détecteur utilisé avait une surface active de 53x12 cm² sur un plancher de 100 microns d’épaisseur, et était équipé d’une électrode de dérive en mylar aluminisé située à quelques millimètres au dessus de la micro-grille. Les mesures ont été effectuées dans un pré-mélange argon-isobutane à 10%, dans des champs allant de 0 à 4,2T, et pour différents champs électriques de dérive (Figure 3).
On constate qu'il a été possible de faire fonctionner le détecteur jusqu'à des angles de Lorentz de 16° à 4,2 T, c'est-à-dire proche du point de fonctionnement requis par la simulation (20° à 5 T). On constate également que cette simulation reproduit de manière très satisfaisante les angles de Lorentz mesurés, particulièrement à champ magnétique intense - les programmes de simulation de la dérive des électrons dans les gaz n'avaient d'ailleurs jamais été validés à des champs aussi élevés.. Cet accord ajoute au crédit des autres prédictions de la simulation, notamment l'amélioration de la résolution spatiale du trajectographe central par l'utilisation combinée de silicium et de Micromegas. Cette première validation de la simulation est une étape importante vers la décision d'utiliser, ou non, des Micromegas pour CLAS12, décision qui interviendra au printemps lors d'une revue de projet au Jefferson Laboratory.
D’ici là, d’autres tests doivent encore être réalisés afin de compléter la validation de la simulation, comme la mesure de la résolution spatiale du détecteur, son efficacité de détection de particules au minimum d’ionisation, ou encore le taux de décharges en condition de faisceau. En outre, le banc de test à 1,5 T préalablement utilisé permettra de procéder à des études systématiques sur des petits détecteurs, comme par exemple celle de l’influence du gaz.
Enfin, les résultats présentés ici donneront lieu prochainement à une publication.
Sébastien PROCUREUR (SPhN)
Stephan AUNE (Sédi)
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