Du 23 au 28 mai 2011 s'est tenue à Annecy (Haute Savoie) la dernière édition de la Conférence Quark Matter qui a regroupé 770 participants venus de tous les continents, dans l'organisation de laquelle s'est impliqué le groupe ALICE de l'Irfu. Cette série de conférences, dédiées à la physique du Plasma de Quark-Gluon (QGP), où théoriciens et expérimentateurs se retrouvent pour confronter leur travaux, est une tradition depuis plus de 20 ans. Des résultats venant de prises des données du LHC (CERN) ont été montrés et en particulier ceux venant des premières collisions avec des faisceaux de plomb à une énergie record de 1.38 TeV/nucléon, permettant d'atteindre une énergie de 2.76 TeV pour les collisions nucléon-nucléon, un ordre de grandeur supérieure à celle obtenue avec l'accélérateur RHIC de Brookhaven (USA). Les premiers résultats font état de la formation d'un QGP liquide quasi-parfait très dense, dans la prolongation de ce qui a été observé à RHIC. Au LHC, la température de ce milieu est 30% plus élevée, le volume est deux fois plus grand et la densité d'énergie est trois fois plus importante. Parmi les résultats majeurs on peut citer: le flot de hadrons plus important, la suppression des hadrons à haute impulsion transverse, l'étouffement des jets et la suppression des quarkonia, particules formées d'une paire quark-antiquark charmés. Le groupe ALICE de l'Irfu s'intéresse plus particulièrement à cette dernière thématique.
La suppression de la résonance J/Psi a été prédite dès 1986 par Matsui et Satz comme une signature de la formation du QGP. Dans ce mécanisme, les paires de quarks c-cbar sont écrantées par la densité importante des charges de couleur venant des quarks légers (u et d). Cette suppression a été observée au SPS (CERN) et au RHIC (Brookhaven) à des densités d'énergie et à des températures inférieures à celles produites lors des collisions plomb-plomb au LHC.
Après une sélection des données, garantissant le bon fonctionnement du détecteur et éliminant les interactions hors collision des deux faisceaux, la résonance J/Psi est observée dans le spectre de masse invariante des paires des muons détectés dans le spectromètre à muons d'ALICE (figure ci-contre). Une étude en fonction de la centralité de la collision a été effectuée. Dans une collision centrale (ou bille en tête) les noyaux se percutent de plein fouet, tandis que dans une collision périphérique il ne font que se frôler. Plus la collision est centrale, plus le nombre de nucléons participants est important et plus la densité d'énergie disponible pour former le QGP est grande.
Facteur de modification nucléaire du J/Psi. Les donnée d'ALICE (en rouge) sont comparés à celles de PHENIX (en bleu).
La production du J/Psi en fonction du nombre de participants de la collision dépend de la densité du milieu formé. Elle est étudiée à l'aide du facteur de modification nucléaire qui compare ce qui se passe en plomb-plomb par rapport à proton-proton. Il est important de signaler que les données proton-proton utilisés pour la normalisation ont été prises à la même énergie que celles en plomb-plomb. Si les collisions plomb-plomb étaient une simple superposition de collisions entre nucléons, nous devrions obtenir un comportement plat et égal à 1. La figure ci-contre montre ce rapport pour le J/Psi obtenu par ALICE comparé aux résultats de PHENIX (RHIC). Nous observons clairement une moins forte suppression au LHC par rapport à RHIC, alors que la densité d'énergie est plus importante.
Ce résultat pourrait être une indication que des processus de recombinaison des quarks charmés jouent un rôle et se superposent à l'écrantage de couleur. En effet, plusieurs modèles prédisent que vu le nombre important des quarks charmés produits dans une collision au LHC (une centaine dans les collisions les plus centrales) la probabilité qu'ils se recombinent lors de leur évolution dans le QGP n'est pas négligeable. Si tel était le cas, ceci serait la première observation d'un tel phénomène pour les quarks charmés.
La prochaine prise de données avec des faisceaux de plomb aura lieu en novembre 2011 avec une luminosité supérieure, ce qui permettra d'avoir une meilleure statistique. Par ailleurs, les effets dus à la matière nucléaire "froide" peuvent être étudiés à l'aide des collisions proton-plomb, où un QGP ne peut pas en principe être formé à cause du faible nombre de nucléons participants. On pourra étudier en particulier la suppression du J/Psi venant de l'absorption dans la matière nucléaire ainsi que le "shadowing" (diminution du nombre de gluons servant à produire le J/Psi). Une prise de données proton-plomb devrait avoir lieu en 2012.
Enfin, des nombreuses interactions avec les théoriciens sont en cours afin d'interpréter ces résultats.
Contact:
A. Baldisseri
• Structure de la matière nucléaire › Plasma de quarks et de gluons
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département de Physique Nucléaire (DPhN)