Les physiciens de l'expérience Compass au CERN, dont fait partie une équipe de l'Irfu, ont observé une particule inattendue, appelée a1(1420). L'article annonçant cette découverte vient d'être publié dans Physical Review Letters [1]. D'après ses propriétés - masse et nombres quantiques - la nouvelle particule fait partie de la famille des mésons. Comme tous les membres de sa famille, le nouveau méson est une particule composite, constituée des briques réellement élémentaires que sont les quarks. Toutes les particules observées jusqu'ici pouvaient être expliquées par des combinaisons à deux ou trois quarks. Or, les caractéristiques du nouveau méson a1(1420) découvert par Compass ne sont pas compatibles avec une structure en deux quarks: c'est ce qui intrigue les scientifiques de la physique hadronique.
[1] Publication: C. Adolph et al., (COMPASS Collaboration) Physical Review Letters 115, 082001 (2015).
Figure 1: la signature expérimentale du nouveau méson a1(1420) en fonction de l'énergie totale (masse invariante) des trois pions détectés dans l'état final. La courbe en bleu indique l'intensité totale correspondante aux nombres quantiques de la nouvelle particule. La courbe en vert représente le bruit physique pouvant simuler le signal recherché. Les points montrent le signal observé. La courbe en rouge, ajustée sur les données, permet de déterminer la masse du méson, 1420 MeV/c2, ainsi que sa largeur, 153 MeV/c2.
Figure 2: le processus de production du méson a1(1420). Le pion incident effleure le proton-cible et récupère une partie de l'énergie de l'interaction. Le méson nouvellement créé décroit en un méson intermédiaire f0(980) et un pion. Le méson f0(980) décroit ensuite en deux pions.
Le processus de production du méson a1(1420)1
La découverte d'une nouvelle particule est une opération délicate et nécessite deux étapes particulièrement difficiles. Il faut d'abord créer les conditions nécessaires à sa formation. Les physiciens de Compass ont fait interagir le faisceau de pions du Cern avec une cible de protons (sous forme d'hydrogène liquide). Ils ont ensuite sélectionné uniquement des événements avec trois pions et un proton dans l'état final. De tels événements correspondent à la situation où le pion incident effleure le proton-cible et sans le casser. Le pion incident, "gonflé" pendant l'interaction, peut se transformer en méson beaucoup plus lourd, empruntant une partie de l'énergie de la réaction (Figure 2). La plupart du temps le méson plus lourd ainsi créé est connu depuis longtemps.
Il faut ensuite isoler le nouveau méson et l'identifier, ou en d'autres termes mesurer sa masse et ses nombres quantiques. C'est une opération qui consiste à chercher une petite aiguille dans une grosse meule de foin. Car le nombre de mésons possibles est très élevé. Pour être sûrs de leur résultat, les physiciens de Compass ont analysé pas moins de 88 combinaisons de nombres quantiques. Pour environ 2.5 pour mille des événements à 3 pions sélectionnés, ils ont trouvé que la combinaison masse (1420 MeV/c2), durée de vie relativement longue2 et nombres quantiques obtenus (Figure 1) ne correspondent pas à une particule connue (Figure 3). Ils ont aussi reconstitué sa décroissance, en deux mésons plus légers: un méson f0 de masse 980 MeV et un pion. Cette découverte a été rendue possible grâce à l'accumulation d'un nombre d'événements plus de 10 fois plus élevé que lors des meilleures expériences précédentes.
Si ce n'est pas un méson ordinaire à deux quarks, quelle pourrait être la structure interne de ce nouveau méson? Les spéculations théoriques basées sur la découverte de Compass vont bon train. Il est possible qu'il fasse partie des mésons constitués de deux fois deux quarks, encore appelés "tetraquarks", dont la configuration est illustrée sur la Figure 3c). Sa décroissance via le méson f0, lui-même probablement un tetraquark, donne un poids supplémentaire à cette hypothèse.
Ce n'est pas la première fois qu'un tetraquark est observé: des candidats tetraquarks plus massifs ont été proposés par l'expérience BELLE auprès du collisionneur KEK au Japon. L'un des ces candidats, appelé Z(4430), a récemment été confirmé [2] par la collaboration LHCb travaillant auprès du collisionneur LHC au CERN. Le méson a1(1420) observé par Compass est de même type, mais contenant uniquement des quarks légers. Une autre hypothèse est actuellement avancée pour expliquer sa structure: il pourrait s'agir d'un état excité de plusieurs mésons, appelé "état moléculaire". Dans ce dernier cas il contiendrait un méson K, son antiparticule le méson Kbar et un pion. La matière hadronique n'a pas fini de dévoiler ses secrets.
1 Le nombre entre parenthèses indique la masse de la particule, en MeV/c2. Dans les mêmes unités un méson pi (un pion) ne "pèse" que 140 MeV/c2.
2 La durée de vie est "relativement longue" pour un méson de masse aussi élevée; en échelle absolue elle est excessivement courte, proche de 10-23 seconde.
Publications:
[1] Publication: C. Adolph et al., (COMPASS Collaboration) Physical Review Letters 115, 082001 (2015).
[2] R. Aaij et al. (LHCb Collaboration) Physical Review Letters 112, 222002 (2014). http://home.web.cern.ch/about/updates/2014/04/lhcb-confirms-existence-exotic-hadrons
Contact: Stéphane Platchkov
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