08 juin 2020
Des puces sur une échelle : fin de la production pour ALICE-MFT
Des puces sur une échelle : fin de la production pour ALICE-MFT

Figure 1: Commissioning en laboratoire du détecteur MFT totalement assemblé (© Collaboration MFT)

Après plus de quatre ans de travail de recherche et développement, conception et fabrication, le MFT (Muon Forward Tracker), un nouveau détecteur qui va équiper l’expérience ALICE au LHC, voit sa construction finalisée et en cours de commissioning au Cern. Dans le but de limiter autant que possible la quantité de matière traversée par les particules, la fabrication de ce détecteur a nécessité le développement de nombreuses techniques et procédures innovantes, en particulier dans l’intégration de capteurs silicium sur des circuits hybrides flexibles appelés échelles dont l’Irfu a eu la responsabilité au sein du projet. Pour fabriquer ces 500 échelles du MFT, deux années ont été nécessaires et une très longue séquence d’opérations a fait l’objet de nombreuses études sous la responsabilité de l’équipe de l’Antenne Irfu au Cern. La production de ces échelles vient de se terminer avec succès et c’est donc le temps d’en faire un court bilan.

 

Plus de 1000 capteurs silicium, correspondant à une surface d’un demi mètre carré, assemblés en presque 500 circuits intégrés, collés sur les deux faces de 10 demi-disques, le tout monté dans un tonneau de 4 mètres de long et qui doit être positionné dans l’expérience ALICE au dixième de millimètre près. Ceci a été le challenge du détecteur MFT (figure 1), conçu dans le cadre des upgrades de l’expérience ALICE au LHC dans le but de mieux comprendre un état très exotique de la matière qu’on appelle le plasma de quarks et gluons. Depuis plus de cinq ans, l’Irfu et une douzaine d’instituts de recherche en Europe, Asie et Amérique du Sud, ont travaillé pour construire ce trajectographe de haute précision qui sera placé en face de l’absorbeur de hadrons de l’expérience ALICE (figure 2). Il permettra, couplé à l’actuel spectromètre à muons, de détecter des paires de muons provenant des collisions de particules (protons et ions plomb) avec une résolution spatiale de 5 micromètres et de reconstruire le vertex d’où ces paires de muons proviennent.

L’élément de base du détecteur MFT est appelé échelle (ou ladder) : il s’agit d’un système intégré hybride formé d’un circuit imprimé flexible (ou FPC, Flexible Printed Circuit) sur lequel sont collés et interconnectés des capteurs silicium (chips ou puces). Puisque ces échelles sont ensuite collées sur des disques de diamètre croissant, leur longueur est variable, de 2 à 5 puces chacune.

 
Des puces sur une échelle : fin de la production pour ALICE-MFT

Figure 2 : Schéma de l'upgrade du détecteur Alice

Des puces sur une échelle : fin de la production pour ALICE-MFT

Figure 3 : Machine numérique d’assemblage (ALICIA) située en salle blanche au CERN (© Ph. Stroppa/CEA)

Fabriquer une échelle : la recette du succès

Comme dans toute recette de cuisine, avant de se mettre aux fourneaux il faut préparer les ingrédients. Dans ce cas il n’y en a que deux : des puces et des circuits imprimés flexibles.

Le capteur du MFT, appelé ALPIDE a été conçu par une équipe internationale pilotée par le CERN dont faisait partie l’Irfu. C’est une fine lamelle de silicium d’une surface de 4.5 cm², d’une épaisseur de 50 µm, fragile comme du verre, dans laquelle a été gravé un demi-million de pixels détecteurs ainsi que leur électronique de lecture. Fabriquées par une fonderie spécialisée en Israël, nous recevons ces puces sous forme de wafer (plaque très fine de matériau semi-conducteur monocristalin) dans lequel 46 capteurs sont prédécoupés au laser dans une entreprise coréenne. Débute alors en salle blanche la délicate opération de picking : l’objectif est de séparer chaque puce du wafer pour la déposer délicatement et dans un ordre défini dans un boitier dédié. Une puce mesure 30 mm par 15 mm, chacune dispose de sa propre identification et subit une inspection visuelle poussée à l’aide d’une loupe binoculaire afin de la débarrasser d’éventuelles poussières ou débris de silicium. Une fois prêtes dans leur boitier, les performances de chaque puce sont testées à l’aide d’une carte sonde qui déploie de fines aiguilles se connectant aux 63 plots métalliques en surface de la puce et réalise une multitude de tests électriques et électroniques afin de la qualifier.

 

Le FPC est quant à lui un circuit imprimé flexible en polyamide, avec 2 couches d’aluminium de part et d’autre. Conçu par une équipe de l’IN2P3, il est muni sur une face des emplacements pour placer les capteurs et d’un connecteur 70 broches permettant l’alimentation des puces et la transmission de signaux à très haut débit (1.2 Go par seconde), et sur l’autre face de composants microélectroniques (résistances et capacités) qui assurent le découplage de l’alimentation électrique (analogique et digitale) des capteurs et l’adaptation d’impédance des lignes de données. Chaque FPC a une largeur constante de 16.7 mm alors que sa longueur peut varier de 99.65 mm à 190.10 mm selon le nombre de capteurs présents sur l’échelle. Les FPC sont fabriqués au CERN (seul laboratoire au monde où ce type de production est possible) à partir de feuilles d’aluminium (pour réduire la matière) lithographiées sur un substrat de polyamide, prédécoupés et percées par laser en Italie, puis détachés et inspectés au CERN pour être enfin envoyés au câblage dans une entreprise spécialisée dans la région de Nantes pour la pose des composants et du connecteur. Une fois câblés, les FPC sont de nouveau inspectés minutieusement dans le laboratoire MFT de l’Antenne Irfu au CERN afin de vérifier la qualité des soudures, la bonne position des composants, et de retirer toute substance étrangère. Le FPC est désormais prêt pour entrer en salle blanche où une série de nettoyages profonds est réalisée à l’aide de bains ultrasoniques à base d’alcool, d’eau avec lessive industrielle et d’eau déminéralisée. Les FPC sont ensuite séchés et de nouveau inspectés pour détecter le moindre défaut de métallisation, la planéité et dimension des plots d’interconnexion aux capteurs, ainsi que toute éventuelle contamination. Enfin, un masque semi-adhésif est placé sur chaque FPC pour le protéger lors des étapes de collage.

 
Des puces sur une échelle : fin de la production pour ALICE-MFT

Figure 4 : Points de colle d’un diamètre de 0.7 mm déposés sur le FPC par sérigraphie (© Collaboration MFT)

Les ingrédients sont donc prêts et la recette (enfin… l’assemblage de l’échelle) peut commencer. Ceci a lieu en salle blanche à l’aide d’une machine numérique trois-axes, appelée
ALICIA (ALICE Integrated Circuit Inspection and Assembly machine), qui positionne les puces avec une précision de 5 µm sur un support en inox spécialement usiné et percé d’un réseau de tout petits trous qui permettent, par aspiration, de garder les puces en adhérence avec le support (figure 3). Parallèlement, le FPC est positionné sur un support aspirant qui va également le maintenir parfaitement plat et dans une position très précise. Des petits points de colle bi-composant de type Araldite sont déposés sur le FPC par sérigraphie en raclant la colle sur un pochoir en inox préalablement positionné sur le FPC et muni de trous coniques. Le pochoir est immédiatement enlevé pour révéler de jolis points de colle habilement répartis pour éviter les débordements dans les trous, appelés vias, qui serviront pour l’interconnexion du FPC avec les puces (figure 4).

 

Sans attendre, le FPC maintenu par le vide sur son support est positionné en regard des puces à l’aide de pions de centrage de précision. Le poids du support du FPC permet une pression suffisante et une cale entre le FPC et les puces garantit une épaisseur finale de colle de 50 µm. L’ensemble est laissé ainsi dans ALICIA pendant 4h au minimum pour que la colle commence sa polymérisation. Quelques jours plus tard, une fois que la colle est bien polymérisée (figure 5).

 
Des puces sur une échelle : fin de la production pour ALICE-MFT

Figure 5 : Côté verso d’une échelle équipée de 4 puces. Sur la droite du FPC on peut voir le connecteur 70 broches (© collaboration MFT)

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Figure 6 : 3 fils de micropontage par via, fixés par ultrasons, d’un côté sur un plot métallisé au Nickel/Or du FPC et de l’autre sur un pad de la puce (© collaboration MFT)

Et après une inspection minutieuse de l’assemblage, la connexion entre le FPC et les puces est réalisée par micropontage électronique (wire bonding) sur les plots métallisés du FPC. Chaque micropontage est constitué de de 3 fils de 25 µm de diamètre qui passent au travers des vias du FPC pour être connectés aux 74 pads sur la surface des capteurs (figure 6). L’assemblage de l’échelle est alors complet et une dernière inspection visuelle permet de vérifier la qualité des interconnexions.

Tout au long de ces procédures, un contrôle qualité très approfondi est assuré : la température et l’humidité sont contrôlées, toutes les opérations et les photos prises lors de l’assemblage sont enregistrées dans des fiches de suivi et chaque échelle comporte un numéro d’identité unique permettant de remonter avec exactitude à toutes les étapes de sa production.

 

Après la fabrication, la qualification

Une fois l’échelle assemblée, elle est transférée au laboratoire MFT de l’Antenne Irfu au CERN où elle subit une batterie de tests permettant de qualifier ses performances. Dans le laboratoire, deux bancs de tests permettent de tester chaque échelle du point de vue électrique et fonctionnel. Tout d’abord l’échelle est alimentée de manière graduelle en tension analogique et digitale et sa consommation électrique est vérifiée (c’est ce qu’on appelle le « smoke test » : s’il n’y a pas de fumée c’est effectivement mieux !). Ensuite, l’échelle est connectée à un système d’acquisition développé spécifiquement pour le projet (et qui avait été utilisé pour effectuer le premier test sous faisceau d’un disque du MFT, voir le Fait Marquant associé) qui permet de tester ses fonctionnalités en termes de bruit électronique, nombre de pixels morts ou anormaux, vitesse de transmission des données numérisées (figure 7). A chaque test est associé un grade de qualification qui est fonction des performances mesurées par rapport aux spécifications attendues. A l’issue de ces tests, l’échelle est qualifiée suivant trois grades :

  • « gold » pour une échelle qui fonctionne parfaitement et dont tous les pixels et circuits répondent exactement comme attendu
  • « silver » lorsque quelques pixels ne répondent pas correctement mais leur nombre est faible et l’échelle peut être utilisée sans problème
  • « bronze » quand le nombre de pixels défectueux et trop élevé et l’échelle, bien que fonctionnelle, restera dans les spares plutôt que d’équiper le détecteur MFT

Enfin, comme dans toute recette il y a des ratés et parfois une échelle ne passe pas les tests, pour diverses raisons qui peuvent être un dommage des puces, un défaut du FPC ou une mauvaise manipulation. Dans ce cas elle est qualifiée comme « non conforme » et mise de côté.

 
Des puces sur une échelle : fin de la production pour ALICE-MFT

Figure 7 : Deux exemples de résultat issus de la qualification d’une échelle en termes de qualité de transmission des données numérisées (test appelé « diagramme de l’œil »). Les graphiques montrent la dispersion temporelle (axe horizontal) et en amplitude (axe verticale) dans la transmission de signaux numériques à la vitesse de 1.2 Gb/s. Plus le diagramme est ouvert (comme dans la figure de gauche), meilleure sera la qualité de transmission
(© Collaboration MFT)

Les 500 échelles qui équipent le détecteur MFT sont aujourd’hui toutes fabriquées, testées et qualifiées. Le développement des procédés de fabrication, d’assemblage et du contrôle qualité associé a demandé à l’équipe de l’Irfu plus de deux ans de recherche, en collaboration avec des équipes de l’IN2P3. Deux années supplémentaires ont été nécessaires pour finaliser la production et la qualification de toutes les échelles. Malgré les difficultés considérables associées à cette production à la pointe de la technologie, le taux d’échelles qualifiés gold et silver s’est maintenu autour de 91%, ce qui est un véritable succès pour le projet. Cette réussite est le fruit du travail acharné d’une équipe performante et soudée, où les difficultés techniques et organisationnelles ont toujours été surmontées dans un état d’esprit de collaboration, de confiance mutuelle mais aussi de plaisir de travailler ensemble et d’amitié. L’aventure continue pour le détecteur MFT, aujourd’hui en phase de commissioning en surface, mais aussi pour « l'équipe des échelles » qui, forte de son expérience, travaille déjà au développement de nouvelles techniques d’interconnexion entre puces et FPC, basées en particulier sur la soudure laser.

Contacts: Charlotte Riccio, Cyrille Vuillemin, Stefano Panebianco

 
#4795 - Màj : 18/06/2020

 

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