20 janvier 2006
A-t-on entrevu les premiers instants de l’Univers ?

En reproduisant des conditions comparables à celles qui régnaient dans les premiers instants de l’Univers, on s’attend à découvrir un nouvel état de la matière, le plasma de quarks et de gluons. Ces conditions extrêmes de température et de densité d’énergie sont réunies lors des interactions d’ions lourds au collisionneur Rhic à Brookhaven. L’expérience Phenix vient d’y obtenir les premiers résultats significatifs concernant la manifestation la plus attendue de l’existence de ce plasma, une production anormalement faible de la particule J/Ψ.

 

Les collisions entre noyaux lourds à haute énergie permettent d’obtenir des densités d’énergie de l’ordre de dix fois la densité nucléaire normale, et cette densité est suffisante pour permettre l’existence d’un nouvel état de la matière, appelé plasma de quarks et de gluons, dans lequel les quarks et les gluons ne sont plus confinés à l’intérieur de particules, les hadrons. C’est ce que prédit la théorie des interactions fortes, la chromodynamique quantique, ou plus précisément ce qui ressort de calculs numériques dits « sur réseau ». C’est probablement aussi par cet état que l’Univers tout entier est passé pendant ses premiers instants, jusqu’à quelques microsecondes après le Big Bang.

 
A-t-on entrevu les premiers instants de l’Univers ?

Simulation d’une collision « centrale » entre deux noyaux lourds produisant un plasma de quarks et de gluons

A-t-on entrevu les premiers instants de l’Univers ?

On détecte un J/Ψ par sa désintégration en deux particules le muon (μ-) et l’anti-muon (μ+) .Ces muons sont entre autres recherchés dans l’expérience Phenix à Brookhaven. Si un plasma de quarks et de gluons gêne la création d’un J/Ψ, on ne détectera pas les muons identifiant sa désintégration.

Dans les années 1990 au SPS du Cern, des expériences de collisions « centrales », c’est-à-dire de plein fouet, entre noyaux lourds ont permis de concentrer suffisamment d’énergie en un point pour tout juste obtenir les conditions nécessaires à la création d’un plasma de quarks et de gluons. L’indication la plus probante de l’existence d’un tel plasma fut sans doute ce qu’on a appelé la « suppression anormale de la résonance J/Ψ ». La résonance J/Ψ est en fait une particule constituée d’un quark charme (c) et de son antiquark (c). Cette particule nécessite une énergie importante pour se former en raison de la grande masse des quarks qui la composent. Au SPS comme dans d'autres accélérateurs à plus grande énergie encore, les collisions entre deux noyaux lourds permettent justement trouver de telles conditions, on s’attend donc à voir un certain nombre de J/Ψ. Mais les conditions qui prévalent lors d'une collision centrale permettent aussi la création d’un éventuel plasma de quarks et de gluons. Dans un tel plasma, la foule de quarks et de gluons de tout type est si dense que le quark charme et son antiquark rencontrent bien plus de difficultés pour se lier et former un J/Ψ. Cet effet se traduit par une diminution notable de la production de J/Ψ et c’est lui qu’on appelle suppression anormale de la résonance J/Ψ.

 

Le collisionneur Rhic, mis en service en 2000 au laboratoire national de Brookhaven (USA), permet d’étudier les collisions entre noyaux lourds jusqu’à des énergies environ 10 fois plus grandes qu’au SPS. On s’attend ainsi à ce que des températures plus élevées y soient atteintes et que la phase plasma y dure plus longtemps. Et, de fait, de nouveaux phénomènes ont été observés, comme la forte diminution de la fréquence des jets de particules emportant une grande quantité de mouvement dans des directions perpendiculaires à l’axe de la collision (voir fait marquant, novembre 2003). Cette diminution, qui peut atteindre un facteur 5 lorsque les collisions sont les plus « centrales », ne peut s’interpréter qu’en supposant l’existence éphémère d’un état très dense en quarks, qui serait un plasma de quarks et de gluons.

 
A-t-on entrevu les premiers instants de l’Univers ?

L’expérience Phenix auprès du collisionneur Rhic du laboratoire national de Brookhaven (USA).

A-t-on entrevu les premiers instants de l’Univers ?

Sur cette figure sont regroupés les résultats concernant le facteur RAB, dit de modification nucléaire, pour la production de J/Ψ dans les collisions entre noyaux A et B en fonction du nombre de nucléons mis en jeu dans celles-ci. Ce nombre de nucléons, Npart, est d’autant plus grand que la collision est plus « centrale ». Quand Npart augmente de 0 à une valeur proche de 300, atteinte pour les collisions Au + Au les plus centrales, le facteur RAB décroît de 1 jusqu’à environ 0,35. Deux tracés de prédictions théoriques accompagnent ces points expérimentaux. La première prédiction (trait plein) tient compte des effets de matière nucléaire froide, attendus en l’absence de plasma et déterminés pour être en accord avec les résultats de Phenix pour les collisions d + Au. Ce processus prédit une « suppression » dite normale du J/Ψ, moindre que celle mesurée. La seconde prédiction (tirets) suppose la dissolution du J/Ψ dans un plasma de quarks et de gluons, avec des paramètres extrapolés en énergie à partir de ceux qui rendaient compte de la suppression anormale observée au SPS. Elle aboutit à une suppression bien plus grande que la suppression mesurée.

La production de J/Ψ identifiés par leur désintégration en une paire de muons a été étudiée par Phenix. Sur la figure sont regroupés les résultats concernant le facteur, dit de modification nucléaire, RAB, pour la production de J/Ψ dans les collisions entre deux noyaux A et B en fonction du nombre de nucléons (protons et neutrons) mis en jeu dans celles-ci. Une collision entre deux noyaux sans les effets d’un plasma devrait produire des points expérimentaux (en couleur) qui se trouveraient sur la courbe en trait plein. Dans le cas où les effets du plasma seraient les plus forts comme le prédisaient Matsui et Satz dès 1986, les points expérimentaux devraient se placer sur la courbe en tirets. Les résultats de Phenix se situent entre ces deux cas extrêmes. Il semble donc que les effets du plasma sur la production de J/Ψ soient plus complexes que ceux envisagés par Matsui et Satz. D’autres modèles ont été proposés plus récemment, qui font intervenir la régénération de la particule J/Ψ quand le système se dilate après avoir atteint sa densité maximale. Cette régénération est plus probable aux énergies du Rhic qu’à celles du SPS car la production des quarks charmes constituant le J/Ψ y est plus grande. Ces modèles sont en train d’être confrontés non seulement aux résultats présentés ici mais aussi à des mesures plus détaillées.

 

Compte tenu des observations faites au SPS du Cern, les résultats concernant la production du J/Ψ aux énergies du Rhic à Brookhaven étaient très attendus. Seule l’expérience Phenix est adaptée à cette mesure et permet d’observer différents types de désintégration du J/Ψ. Les premiers résultats ont été présentés par un physicien du Service de physique nucléaire du Dapnia, lors de la dernière conférence internationale couvrant ce domaine de recherche (Quark Matter 2005, à Budapest). Le service de physique nucléaire du Dapnia a joué un rôle clé dans l’analyse de ces données.

 
#888 - Màj : 19/06/2009

 

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