30 janvier 2014
Un nouveau mode de fission éclaire l’origine cosmique des terres rares

Une collaboration européenne combinant des prédictions issues de calculs de structure nucléaire avec des modèles de nucléosynthèse apporte, pour la première fois, une explication simple à l’abondance des terres rares dans le système solaire : une fission doublement asymétrique.

 

La capture rapide de neutrons est un des processus de nucléosynthèse stellaire (appelé processus r)  responsable de la formation des noyaux au-delà du fer. De nombreuses zones d’ombres demeurent encore quant aux conditions et sites astrophysiques où ce processus est susceptible de se dérouler. Deux possibilités occupent à ce jour le devant de la scène et font l’objet de débat entre les physiciens: l’explosion de supernovæ et la coalescence d’étoiles à neutrons. Dans cette dernière, le phénomène de fission nucléaire intervient de manière très importante car il permet la formation de noyaux relativement légers à partir des transactinides (noyaux plus lourds que l’actinium). En particulier, l’origine des noyaux de masse intermédiaire (comprise entre 110 et 170), appelés terres rares, n’est à ce jour pas totalement éclaircie. La compréhension de ce phénomène nécessite donc de prédire par des modèles théoriques les distributions des fragments de fission issus de noyaux extrêmement riches en neutrons, indisponibles sur Terre. Jusqu’à présent, aucun modèle de fission n’était susceptible de générer de telles prédictions systématiques.

 
Un nouveau mode de fission éclaire l’origine cosmique des terres rares

FIG. 1. Abondance en fonction de la masse atomique. Les carrés rouges (resp. bleus) correspondent aux prédictions issues de la simulation en utilisant les distributions de fragments prédites par le modèle SPY (resp. phénoménologie) et les abondances solaires sont représentées par les cercles. En dessous de la masse 140, d’autres processus autres que la fission interviennent dans la nucléosynthèse. Ces processus ne sont pas pris en compte dans ce modèle, ce qui explique le désaccord entre le calcul et les mesures.

Cependant, depuis plusieurs années, les moyens de calcul intensif permettent de réaliser des prédictions systématiques pour l’ensemble des noyaux susceptibles d’exister dans l’Univers, en particulier l’évolution de leur énergie potentielle en fonction de leur déformation. Ces informations constituent la base à partir de laquelle un nouveau modèle de fission a pu être développé dans le cadre de la collaboration Cophynu (Collaboration en physique nucléaire) entre la DAM et la DSM. Ce modèle, appelé SPY (Scission Point Yields) et qui a déjà prouvé son potentiel prédictif [voir FM de décembre 2012 et référence 1], a donc été utilisé pour prédire, de manière exhaustive et sans paramètre ajustable, les distributions de fragments obtenues à partir de tous les noyaux fissionnant impliqués dans la coalescence d’étoiles à neutrons, soit environ 1500 noyaux. Ces distributions sont ensuite utilisées dans le cadre d’un modèle astrophysique permettant de traiter l’évolution de la population nucléaire durant la coalescence de l’étoile à neutron avec son compagnon, en prenant en compte, de manière cohérente, toutes les réactions nucléaires d’intérêt.

Les abondances des noyaux obtenues à l’issue de ces calculs sont représentées sur la Figure 1 et comparées aux abondances solaires expérimentales. Sur cette figure sont aussi représentées les abondances obtenues en remplaçant les distributions de fragments fournies par SPY par celles issues d’un modèle de fission phénoménologique, ajusté dans les zones des noyaux accessibles à l’expérience, toutes choses étant égales par ailleurs. Comme on peut le constater, l’accord avec les abondances solaires dans la zone caractéristique du processus r (140

 

Les distributions fournies par le modèle SPY ont un caractère totalement singulier dans la région des progéniteurs des fragments de masses comprises entre 110 et 170, que l’on appelle les terres rares. Ce comportement, jamais observé jusqu’alors, consiste en une distribution doublement asymétrique des fragments de fission, comme l’illustre la Figure 2. Ce comportement est étonnant car tous les noyaux connus expérimentalement fissionnent de manière symétrique (donnant lieu à deux fragments de la même masse) ou simplement asymétrique (avec un fragment lourd et un fragment léger). Par ailleurs, ce comportement semble confirmé par des calculs plus microscopiques qui laissent entrevoir deux « modes » de fission asymétriques (un mode avec un fragment lourd et un fragment léger, et un mode avec un fragment très lourd avec un très léger), le mode symétrique étant inhibé par une barrière de potentiel.

 
Un nouveau mode de fission éclaire l’origine cosmique des terres rares

FIG. 2. Distribution de fragments issus de la fission de noyaux de masse 278 (avec un nombre de protons compris entre 65 et 102) prédite par le modèle SPY.

Ce travail éclaire sous un jour nouveau le problème de l’abondance des terres rares dans le système solaire. Ces éléments pourraient avoir été produits lors de collisions d’étoiles à neutrons permettant à un processus r de se produire et de créer, par fission des transactinides, les terres rares que l’on observe aujourd’hui. Cette conclusion tout à fait inattendue et se basant sur la prédiction par le modèle SPY d’un nouveau mode de fission doublement asymétrique a fait l’objet d’une récente publication dans Physical Review Letters. [voir référence 2]


Références :

  1. S. Panebianco, J-L. Sida, J-F. Lemaître, S. Hilaire, N. Dubray, H. Goutte, Physical Review C 86-6 (2012) 064601
  2. S. Goriely, J-L. Sida, J-F. Lemaître, S. Panebianco, N. Dubray, S. Hilaire, A. Bauswein, H-T. Janka, Physical Review Letters 111 (2013) 242502
 

Contact : Stefano Panebianco (Irfu) et Stéphane Hilaire (DAM, DIF)

 
#3440 - Màj : 25/10/2017

 

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