21 novembre 2022
ALICE au rendez-vous du RUN 3 du LHC
ALICE au rendez-vous du RUN 3 du LHC

ALICE enregistre ses premières traces dans les collisions proton-proton à 13,6 TeV lors du redémarrage du LHC.

Après trois années d'interruption pendant LS2 (Long Shutdown 2), le grand collisionneur de hadrons LHC du CERN a redémarré officiellement le 5 juillet 2022 en produisant les premières collisions de protons à l'énergie record de 13,6 TeV (milliers de milliards d'électronvolts). Ce démarrage en douceur se poursuivra dans les semaines à venir avec un accroissement progressif de l’intensité des faisceaux. La troisième période de prise de données (Run 3) se déroulera sur 4 années et apportera une statistique inégalée. ALICE était au rendez-vous des premières collisions après une jouvence très importante de son électronique, de ses systèmes de lecture et d'acquisition ainsi que l'ajout de nouveaux détecteurs. L’Irfu est depuis longtemps fortement impliqué dans le spectromètre à muons vers l’avant d’ALICE, en particulier les chambres de trajectographie MCH (Muon Chambers), et maintenant également dans le nouveau trajectographe à pixel de silicium MFT (Muon Forward Tracker).

 
La jouvence de l’expérience ALICE

Le détecteur de la collaboration ALICE, en premier lieu prévu pour les collisions d'ions lourds tels que le plomb, était limité avant LS2 notamment par le taux de lecture de 500 Hz d’un des détecteurs permettant de mesurer les trajectoires, la TPC : Time Projection Chamber. ALICE pourra porter ce taux à 50 kHz avec les collisions plomb-plomb pendant le Run 3. Cette amélioration est due au nouveau mode de fonctionnement de la TPC, au changement général de l’électronique et au remplacement du trajectographe interne en silicium (l’ITS :Inner Tracker System). La statistique accumulée améliorera largement la précision de toutes les mesures réalisées pendant les prises de données précédentes. Ce sera le cas pour les particules composées d’une paire de quark-antiquark appelées charmonia, de la famille du J/Psi et bottomonia de la famille de l’Upsilon.
L’ajout de détecteurs comme le MFT permettra d’élargir le domaine de physique à des canaux supplémentaires. Le MFT apporte une meilleure résolution sur les traces et donc sur la masse des particules détectées ainsi que sur l’extrapolation des traces muon vers le point d’interaction. Situé entre le point d’interaction et l’absorbeur muon, il permet de séparer les vertex primaires situés au point d’interaction des vertex secondaires. 

 
ALICE au rendez-vous du RUN 3 du LHC

Le détecteur ALICE avec le MFT (9) situé devant l’absorbeur muon et les chambres MCH (8).

Le projet de jouvence du détecteur ALICE a débuté en 2012 et s’est concrétisé par l’installation des différents composants pendant LS2 (fin 2018-2022). Il a porté sur tous les aspects d’ALICE: outre le changement de l’électronique sur la plupart des détecteurs et la modification et même l’ajout de détecteurs, une acquisition nouvelle et un traitement des données en ligne plus poussé ont été mis en place. De plus un nouveau contrôle et suivi des détecteurs sont installés, ce qui fait d’ALICE Run 3 une expérience très largement renouvelée. Le démarrage des prises de données était donc attendu et s’est bien déroulé, première étape apportant une confiance dans le travail effectué.

 
Vue de profil des chambres 7 à 10 de MCH où
l’on peut voir les châssis contenant les cartes SOLAR.

Le spectromètre à muons

Le spectromètre à muons est composé des chambres de trajectographie MCH, de l’identificateur de muon MID et du MFT. L’acquisition d’ALICE va opérer en mode continu, lisant l’information complète du détecteur provenant de l’interaction. Nous allons donner dans les paragraphes suivant plus de détails sur les changements effectués sur MCH et MFT pour lesquels l’Irfu a fortement contribué, de la conception, la réalisation, l’implantation à la mise en fonctionnement ainsi qu’à la coordination des projets.

Les chambres de trajectographie muon (MCH)

MCH est composé de 10 chambres de trajectographie, constituées au total de 16 quadrants pour les chambres 1 à 4 et de 140 lattes pour les autres. Ni les détecteurs ni le système de haute tension n’ont été changés ou modifiés pour le Run 3. Tout le reste l’a été : l’électronique frontale et de lecture, le système de basse tension et celui du refroidissement. Le schéma de lecture est composé de cartes frontales envoyant les données en continu par lien électronique aux cartes de lecture SOLAR qui sont connectées aux unités concentratrices CRU (Common Readout Unit) par des fibres optiques. Chaque carte frontale abrite deux puces électroniques chainées de 32 canaux chacune. Cette puce a été développée par l’équipe de San Paolo au Brésil pour MCH et TPC. Les 19 300 cartes frontales ont été produites sous la maitrise de l’IPN d’Orsay. L’INFN Cagliari avait la charge des liens électriques entre les cartes frontales et les cartes SOLAR utilisant 3000 flexibles et câbles plats. 

 
ALICE au rendez-vous du RUN 3 du LHC

Carte SOLAR développée par l’Irfu.

L’Irfu a conçu les cartes SOLAR et supervisé la production des 700 cartes et des 112 châssis les accueillant. Chaque carte peut lire jusqu’à 40 cartes frontales et comprend différents éléments développés par le CERN pour les expériences du LHC: un sérialiseur des données venant des cartes frontales pour les envoyer via une fibre optique à la CRU, un composant de commande et contrôle des cartes frontales, un transmetteur/récepteur optique et 2 convertisseurs DC/DC. Les CRU sont des éléments communs à de nombreux sous-détecteurs d’ALICE et hébergent une partie du logiciel spécifique à chaque détecteur. Le logiciel embarqué de cette partie pour MCH a été développé par l’Irfu. Le regroupement en temps et en position des canaux électroniques touchés ainsi que l’ajustement de ces agrégats pour trouver la position du passage de la particule, mais aussi la recherche de traces sont réalisés sur les Event Processing Nodes (EPN). Le contrôle de la qualité des données en ligne de MCH est réalisé par différentes tâches informatiques. Il opère à différents niveaux, sur la totalité des données brutes au niveau des Front Level Processor pour repérer les erreurs éventuelles, sur une fraction des données sur les EPN, pour le suivi d’informations provenant des canaux touchés, des agrégats ou des traces afin de contrôler les performances du détecteur. Le contrôle/commande du détecteur a lui aussi été profondément remanié, servant non seulement à piloter les basses et hautes tensions, mais aussi à configurer l’électronique.

 
Le trajectographe au silicium MFT

Le MFT (Muon Forward Tracker) est un tout nouveau détecteur installé au sein de l’expérience ALICE et dont l’Irfu, en collaboration avec l’IN2P3, a assuré la coordination et une grande partie de la production (réf Fait Marquant sur la fin de la production). Il s’agit d’un détecteur de traces installé entre le point d’interaction et le MCH, juste en amont de l’absorbeur du spectromètre, et constitué de presque mille capteurs silicium de type CMOS. Les capteurs sont arrangés au sein de circuits imprimés flexibles et collés de part et d’autre de disques en fibre de carbone et mousse, tout cela pour assurer la plus grande transparence aux radiations. Le MFT comporte 5 disques double face, coaxiaux avec le tube faisceau et de diamètre croissant, qui permettent de contraindre les traces reconstruites au sein de MCH et de sélectionner celles qui proviennent du vertex primaire. L’installation du MFT dans la caverne d’ALICE a eu lieu en décembre 2020, en pleine pandémie, en particulier grâce au travail des scientifiques de l’Irfu en poste au CERN et aux membres de l’Antenne du DEDIP. 

 
ALICE au rendez-vous du RUN 3 du LHC

Photo prise lors de l’installation du détecteur MFT au sein de l’expérience ALICE

L’année 2021 a été dédiée à l’intégration du détecteur dans les systèmes centraux d’ALICE et au commissioning. Cette étape a été particulièrement cruciale car le MFT est un tout nouveau détecteur et a permis de confirmer que les performances, notamment en termes de bruit et de réponse des capteurs, qui avaient été obtenues lors de la qualification en surface après assemblage étaient aussi bonnes.
A partir de la fin 2021, lorsque le LHC a commencé sa phase de commissioning et à délivrer quelques faisceaux de test, et pendant toute la période de montée en énergie et en intensité de l’accélérateur, le MFT a été intégré à la prise des données et a pu voir ses premières traces reconstruites. 

 
ALICE au rendez-vous du RUN 3 du LHC

Distribution de la position des traces sur le plus grand disque du MFT, obtenues par l’algorithme de reconstruction à partir des signaux des capteurs silicium, lors des collisions entre faisceaux de protons du LHC à l’énergie de 13.6 TeV. On y reconnait quelques petites zones vides dues à l’absence d’alignement précis.

Ce fût un moment de grande satisfaction pour toute l’équipe projet, qui a démontré la capacité du MFT à détecter avec précision et efficacité les très nombreuses particules émises lors des collisions à haute énergie. Cependant, le détecteur MFT est encore dans une phase d’optimisation, tout comme le reste des sous-systèmes de l’expérience ALICE. En effet, les nouvelles conditions expérimentales en termes d’énergie et de taux d’interaction et d’acquisition, inédites pour le LHC et pour ALICE, nécessitent une connaissance fine de la réponse du détecteur, en particulier de son alignement, de son électronique de lecture, et de ses interactions avec le reste des système centraux. Par exemple, les paramètres des capteurs en termes de fréquence de lecture ont un impact immédiat sur le taux de données qui sont produites et qui doivent être transférées, traitées et reconstruites. Enfin, le système de contrôle et de configuration du détecteur, qui est interfacé à plusieurs bases de données utilisées pour la reconstruction, est en constante amélioration pour le rendre de plus en plus rapide et automatisé et réduire ainsi tous les temps morts pendant lesquels le détecteur n’est pas en mesure de prendre de données.

Conclusion et avenir

Le démarrage en douceur du LHC mettant en collision seulement trois paquets de protons contre trois paquets de protons (chaque paquet contient 100 milliards de protons) va se poursuivre dans les semaines à venir avec un accroissement progressif du nombre de paquets (jusqu`à 2800). La densité de protons va également être accrue en réduisant la taille des paquets pour atteindre l’intensité nominale.
ALICE et en particulier le spectromètre à muons avec le MFT a également réussi sa mise en fonctionnement. Une étape supplémentaire s’est déroulée de manière tout à fait satisfaisante en prenant des données sans champ magnétique qui serviront à l’alignement des détecteurs, en particulier ceux de MCH et MFT. Bien sûr, de nombreux ajustements et améliorations se mettent en place pour être totalement prêts pour les collisions plomb-plomb de fin d’année qui sont le but premier de l’expérience ALICE en 2022.
 

Lire la version courte

Contact: Hervé Borel

 

 
#5073 - Màj : 23/11/2022

 

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