Les détecteurs de nouvelle génération de l'expérience de recherche de matière noire Edelweiss viennent de livrer leurs premiers résultats. Remarquablement fiables et robustes, ils permettent une excellente suppression de signaux parasites. A peine installés et pas encore au complet, ces nouveaux détecteurs permettent déjà à l'expérience d'être 10 fois plus sensible qu'auparavant dans sa capacité à mesurer une interaction de « wimp»1 , particule massive interagissant faiblement, candidate à la matière noire.
Ce saut de sensibilité permet à l'expérience de rejoindre le « peloton de tête » mondial des expériences cherchant à détecter ces nouvelles particules. Ces premiers résultats viennent d'être soumis à publication dans la revue Physics Letter B
Article soumis à à Phys Lett. B en ligne
En 2010 la masse utile de détecteurs sera triplée pour améliorer encore le potentiel de découverte.
L'ensemble des observations cosmologiques actuelles converge vers l'existence d'une matière dite « noire » ou « sombre » car invisible mais suffisamment abondante pour modifier la dynamique de l'Univers à grande échelle. La nature de « masse invisible » est totalement inconnue mais l'existence des wimps, des particules élémentaires massives interagissant faiblement, constitue une hypothèse particulièrement intéressante. En effet, la matière noire pourrait être formée d'un gaz de ces particules remplissant tout l'Univers. « La matière noire est tellement abondante qu'elle modifie fortement les mouvements à grande échelle dans le Cosmos, comme par exemple la rotation des bras des galaxies comme notre Voie lactée », déclare Philippe Chomaz, le directeur de l'Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) du CEA. « Sa masse ainsi estimée est 5 fois plus grande que celle de la matière connue. Cette masse manquante dans l'Univers, est l'une des grandes questions auxquelles les physiciens et astrophysiciens devront répondre au XXIe siècle ».
Plusieurs extensions du modèle standard de la physique des particules, qui vont faire l'objet de tests au LHC, prédisent l'existence de ces particules avec un pouvoir d'interaction avec la matière excessivement faible analogue à celui d'une particule dont la taille serait un milliard de fois plus petit que les noyaux atomiques pourtant déjà infiniment petits car de l'ordre du millionième de millionième de centimètre. Ces particules seraient donc si petites qu'elles pourraient se faufiler sans encombre au travers de tous les atomes de la Terre ; et seule une très faible proportion d'entre elles auraient des chances d'interagir avec la matière qui nous entoure. Les recherches de wimps se font donc sous terre car ainsi les détecteurs sont protégés au maximum des autres rayonnements cosmiques tout en gardant toutes leurs chances d'observer le passage d'un wimp.
Les expériences de détection directe, comme Edelweiss, se donnent comme objectif de découvrir une de ces particules qui aurait interagi dans des détecteurs spécialement conçus pour mesurer ces infimes collisions. Si le nombre des wimps traversant la Terre à chaque seconde est suffisamment grand pour expliquer la matière sombre qui semble remplir notre galaxie, si la masse des détecteurs est suffisamment grande pour augmenter nos chances d'observer de telles interactions et si les physiciens sont suffisamment patients pour attendre qu'un wimp daigne interagir dans leur appareillage alors nous pouvons espérer découvrir les secrets de la matière noire. Une course mondiale à la détection des wimps est engagée depuis plusieurs années, et quelques expériences commencent à avoir une chance de les découvrir.
Les équipes de l'expérience Edelweiss, située au Laboratoire souterrain de Modane (laboratoire mixte CEA-CNRS), œuvrent depuis les années 90 pour développer des détecteurs en germanium fonctionnant à ultra-basse température (à 20 millidegrés du zéro absolu), capables de séparer le signal produit par les interactions des wimps des parasites dus à la radioactivité naturelle. Le dispositif de l'expérience Edelweiss-II, en service depuis 2006, est constitué d'un cryostat - dit à dilution - exceptionnellement performant, d'un ensemble de blindages en plomb et polyéthylène, et de scintillateurs permettant de protéger au maximum les détecteurs contre la radioactivité ambiante. Initialement française (CEA/Irfu et Iramis ; CNRS/IN2P3), la collaboration s'est élargie au niveau européen et comprend aujourd'hui des laboratoires d'Allemagne, de Russie et du Royaume-Uni.
Un important tournant a été pris en 2007 avec le développement2 de nouveaux détecteurs dont la surface est équipée d'électrodes qui permettent de rejeter les effets de la radioactivité naturelle à la surface des détecteurs avec une efficacité inégalée au monde.« L'expérience Edelweiss avait été l'un des pionniers dans la recherche de wimps », précise Ursula Bassler, la responsable du Service de physique des particules de l'Irfu au CEA-Saclay. « Mais il y a 4 ans elle a été complètement dépassée par la concurrence en particulier américaine. Je suis heureuse que les nouvelles innovations technologiques permettent à la collaboration de rejoindre le peloton de tête dans la recherche directe de matière noire. »
Sur la figure ci-contre, pour chaque événement détecté, on mesure son taux d'ionisation (en ordonnée) et l'énergie de recul du noyau touché (en abscisse). Le fond dû à la radioactivité est attendu entre les lignes bleues, alors qu'un signal de matière noire sera situé entre les lignes rouges. Un seul « candidat » a été observé pendant la campagne de prise de données. Mais les prises de données avec ces nouveaux détecteurs ne font que commencer...
L'Irfu s'est engagé dans le développement et la fabrication de ces détecteurs, de leur électronique, des logiciels d'acquisition, dans la prise de données et dans leur analyse, ainsi que dans la direction de la collaboration.
Ces détecteurs dits « inter-digit » ou « ID » de 400 g, validés avec succès en 2008, ont été utilisés en 2009 pour une première recherche de wimps. Pendant 6 mois, les 10 détecteurs mis en œuvre ont fait preuve d'une fiabilité et d'une robustesse remarquables, et ont permis d'obtenir une sensibilité aux wimps 10 fois meilleure que précédemment, un niveau similaire à celui des meilleures expériences en compétition (fig 3).
La recherche de wimps continue avec ces 10 détecteurs, et en 2010 la masse utile de détecteurs sera triplée pour améliorer encore le potentiel de découverte.
Figure ci-contre : premiers résultats obtenus avec les détecteurs ID, en quelques mois de prise de données (courbe « Edelweiss-II 2009 »). La courbe représente la probabilité d'interaction d'une wimp avec un nucléon en fonction de la masse du wimp. Les nouveaux détecteurs (« Edelweiss-I », courbe continue rouge) ont permis de faire un gain de plus d'un ordre de grandeur dans la capacité à mesurer une interaction de wimp, par rapport aux détecteurs d'ancienne génération (« Edelweiss-I », courbe pointillée rouge). Ce saut de sensibilité permet à l'expérience de rejoindre le groupe des expériences les plus à la pointe.
" Deux ou trois expériences de part le monde viennent d'atteindre des sensibilités suffisante pour découvrir des wimps prédites par les modèles théoriques », déclare Gilles Gerbier, le porte-parole de l'expérience Edelweiss. « La compétition devient féroce car l'observation de particules de matière noire serait une découverte majeure. Avec la nouvelle technologie dont nous venons de prouver le potentiel nous sommes à nouveau dans la course. L'année à venir sera une année clef car à 200km de Modane le Cern va peut-être produire directement un wimp alors qu'au fond de notre tunnel nous allons peut-être montrer que ces particules peuplent en effet la Voie lactée, notre galaxie. »
Contacts :
Gilles GERBIER Service de Physique des particules de l'Irfu
Eric ARMENGAUD Service de Physique des Particules de l'Irfu
1: Weakly interacting massive particles : particules massives interagissant faiblement
2:Développement financé par l'ANR, l'Agence nationale pour la Recherche
• Structure et évolution de l'Univers › Univers sombre
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)