Comment la température de l’atmosphère du Soleil peut-elle atteindre jusqu’à un million de degrés, alors que celle de la surface de l’étoile est d’environ 6 000°C ? En simulant l’évolution d’une partie de l’intérieur et de l’extérieur du Soleil, des chercheurs du Centre de physique théorique (CNRS/École Polytechnique) et du Service d’Astrophysique-Laboratoire AIM (CNRS/CEA/Université Paris Diderot) ont identifié les mécanismes apportant l’énergie capable de chauffer l’atmosphère solaire. Selon leur étude, une couche située sous la surface du Soleil, qui se comporte comme une casserole en ébullition, crée un champ magnétique à petite échelle comme réserve d’énergie qui, une fois sorti de l’étoile, chauffe les couches successives de l’atmosphère solaire via des réseaux de racines et de branches magnétiques [1], telle une mangrove. Ce chauffage de l’atmosphère, nécessaire à la création du vent solaire qui remplit l’héliosphère, pourrait concerner de nombreuses autres étoiles. Ce résultat parait dans la revue Nature du 11 juin 2015.
La température du Soleil, qui atteint environ 15 millions de degrés en son cœur, décroit progressivement pour chuter à 6 000 degrés à sa « surface ». Elle devrait alors logiquement continuer à décroitre dans l’atmosphère. Pourtant, elle atteint environ 10 000 degrés dans la chromosphère et plus d’un million de degrés dans la couronne. Quelle est la source d’énergie capable de fournir et de maintenir l’atmosphère à de telles températures ? Une question qui représente un des grands problèmes de l’astrophysique depuis environ un siècle, d’autant plus importante qu’elle est associée à la source du vent solaire qui parvient jusqu'à la Terre.
S’il paraissait acquis qu’une partie de l’énergie de l’intérieur du Soleil parvenait à atteindre ces couches externes, le mécanisme restait mystérieux. Ces chercheurs se sont concentrés sur le champ magnétique à petite échelle, d’aspect « poivre et sel » en dehors des taches.
A gauche. La surface solaire et son champ magnétique majoritairement « poivre et sel », en dehors des régions des grandes taches solaires, à partir des données du satellite SDO de la NASA © SDO/NASA / Tahar Amari-Centre de physique théorique et S. Habbal / M. Druckmüller.
A droite : Zoom sur une petite portion de la surface du Soleil modélisée et illustrant la température des cellules de granulation obtenue à la surface d’une fine couche de plasma en ébullition (chaud/clair au centre des cellules et froid/sombre au bord) située sous la surface du soleil et responsable de la création du champ magnétique de petite échelle en surface. © Tahar Amari / Centre de physique théorique
Des modèles numériques performants et les calculateurs du Centre de physique théorique (CNRS/École Polytechnique) et de l’Idris du CNRS ont permis d’effectuer une simulation pendant quelques heures à partir d’un modèle constitué de plusieurs couches, l’une interne et les autres atmosphériques. Les chercheurs ont alors constaté que la fine couche sous la surface du Soleil se comporte en fait comme une « casserole » de petite épaisseur contenant un plasma [2], en ébullition, chauffée par le bas et formant des « bulles » associées à des granules. Ce plasma en ébullition est alors responsable d’un phénomène dynamo qui amplifie et maintient le champ magnétique : ce dernier, en sortant vers la surface, prend une apparence poivre et sel et forme des concentrations moins nombreuses, de plus grosse taille, de durée de vie plus longue et baptisées « méso-taches » solaires, le tout concordant avec les observations.
En haut : la surface du Soleil selon les données de la mission spatiale IRIS de la NASA, avec en fond la structure dynamique de l’atmosphère chauffée © IRIS/NASA.
En bas : modélisation de l’atmosphère solaire montrant à haute résolution la formation de courants électriques importants qui s’élèvent telles des flammes. © Tahar Amari / Centre de physique théorique.
Les scientifiques ont également découvert qu’une organisation semblable à une mangrove apparait autour des méso-taches solaires : des « racines chromosphériques » enchevêtrées plongent entre les granules, entourant des « troncs d’arbres magnétiques » qui s’élèvent dans la couronne et sont associés au champ magnétique à plus grande échelle.
Leurs calculs ont montré que, dans la chromosphère, le chauffage de l’atmosphère est assuré par de multiples micro-éruptions survenant dans les racines de la mangrove porteuses de courant électriques très importants, au rythme des « bulles » issues du plasma en ébullition. Ils ont également découvert que des évènements éruptifs plus importants et moins nombreux existent au voisinage des méso-taches mais ne permettent pas de chauffer la couronne plus haute et à plus grande échelle.
Modèle complet illustrant la fine couche de plasma en ébullition, proche de la surface solaire, responsable de la génération du champ magnétique poivre et sel en surface (bleu-rouge), qui, en émergeant, crée toute une « végétation » rappelant une mangrove, et permettant le chauffage des divers couches de l’atmosphère solaire. © Tahar Amari / Centre de physique théorique.
Cette dynamique éruptive engendre alors des ondes « magnétiques » le long des troncs, un peu comme un son sur une corde pincée, en se propageant le long de celle-ci. Ces ondes transportent alors l’énergie vers la couronne plus haute et leur dissipation progressive chauffe celle-ci. Leurs calculs montrent aussi qu’en retombant vers la surface, la matière éjectée forme des tornades, elles-mêmes observées. Des jets de plasma fins, proches de ces arbres, sont également produits et représentent les spicules découverts récemment. Autant de phénomènes, observés jusqu’ici individuellement et non expliqués, qui sont divers canaux d’énergie issus du plasma bouillonnant, et non la source unique invoquée.
Les chercheurs ont constaté que le flux d’énergie de leurs mécanismes correspond à celui requis par toutes les études pour maintenir le plasma de l’atmosphère solaire à sa température : 4 500 W/m2 dans la chromosphère et 300 W/m2 dans la couronne.
Contact : Jean-Jacques Aly
Publication :
« Small scale dynamo magnetism drives the heating of the solar atmosphere » Tahar Amari, Jean-François Luciani et Jean-Jacques Aly publié dans la revue Nature du 11 juin 2015 (cliquer pour une version numérique)
voir : le communiqué de presse commun CNRS-CEA (10 juin 2015)
voir aussi : "Jouer sur la corde solaire" (19 octobre 2014)
Notes :
[1] Les lignes de champ magnétique s’organisent en forme de racines et de branches.
[2] Un plasma, souvent appelé le quatrième état de la matière, représente ici un fluide conducteur d’électricité.
Rédaction : T. Amari, DCOM CEA, J.M. Bonnet-Bidaud
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