Sur les hauts plateaux Khomas de Namibie, trônent les 5 télescopes imageurs à effet Cherenkov de H.E.S.S.. Situés ainsi dans l’hémisphère Sud, ils sont idéalement placés pour scruter les phénomènes violents à l’œuvre dans les 300 parsecs centraux de la Voie Lactée. Leur quête? Traquer les rayons cosmiques galactiques à haute énergie, allant du Téra au Pétaélectronvolt (1012 à 1015 eV) pour comprendre leur origine. Ainsi, la mise en évidence d’un accélérateur de protons au PeV, un « PeVatron », avec l’appui de dix années de prise de données est une première historique. Ces protons sont 100 fois plus énergétiques que ceux produits par le plus performant accélérateur construit par l’homme. Plus étonnant encore, l’existence du PeVatron est très probablement liée à la présence d’un objet hors du commun : Sagittarius A*, le trou noir supermassif situé au centre de notre galaxie. Ce résultat remet aujourd’hui en question l’origine du rayonnement cosmique galactique aux plus hautes énergies, attribuées aux seuls vestiges de supernova. Il laisse également entrevoir d’importantes implications sur la physique des trous noirs en accrétion.
Intervenant : Emmanuel Moulin SPP/ Irfu / CEA
Réalisation : Alice Mounissamy – communication de l’Irfu / CEA
Aux origines du rayonnement cosmique galactique
Plus d’un siècle après la découverte des rayons cosmiques, par Victor Hess, leur source dans notre Galaxie à des énergies de l’ordre du PeV reste un mystère. Les observations menées par les télescopes Cherenkov au sol ont révélées de nombreux TeVatrons, des objets accélérant des rayons cosmiques jusqu’à des énergies de l’ordre du TeV. Mais à ce jour, aucun PeVatron, accélérateur à des énergies 1000 fois supérieures, n’a été identifié. Depuis plusieurs décennies déjà, les vestiges de supernova ont été formellement proposés comme sources potentielles du rayonnement cosmique en fournissant le contenu en énergie requis. Les observations dans la plage en énergies du GeV ont effectivement montré l’accélération de rayons cosmiques hadroniques dans les vestiges de supernova (W44, CasA,…). Tandis que les observations menées depuis plus d’une décennie avec les réseaux de télescopes au sol comme H.E.S.S., MAGIC et VERITAS ont permis de détecter plus d’une dizaine de vestiges de supernova au TeV (RXJ 1713, RCW 86, SN 1006, IC 443,…). Pourtant, aucune d’entre elles n’a les caractéristiques requises pour accélérer efficacement les rayons cosmiques au PeV. Alors qu’actuellement un consensus théorique a émergé sur la présence de quelques PeVatrons dans la Voie Lactée, aucun d’entre eux n’avait encore été révélé par les observations.
Figure 1
Le réseau de télescopes H.E.S.S. détecte indirectement les rayons gamma produits lors de l’accélération et/ou la propagation des rayons cosmiques au sein ou au voisinage des sources du rayonnement cosmique galactique. Les rayons gamma de très hautes énergies interagissent dans l’atmosphère terrestre en créant une gerbe de particules.
Les observations de H.E.S.S. en direction de la région centrale de la Voie Lactée
L’observatoire H.E.S.S. situé sur les hauts plateaux Khomas en Namibie à 1800 m d’altitude est un réseau de télescopes imageurs à effet Cherenkov au sol (Figure 1). Il est constitué de quatre télescopes de 12 m de diamètre, en opération depuis 2004 (phase 1), auxquels a été ajouté, en 2012 (phase 2), un télescope de 28 m au centre de ce réseau. L’observatoire permet de détecter des rayons gamma de très haute énergie (photons > 100 GeV). Leur détection est indirecte, le télescope capte les photons Cherenkov émis par la gerbe de particules créée par l’interaction d’un rayon gamma à son entrée dans l’atmosphère terrestre (Figure 1).
De par son emplacement dans l’hémisphère sud, H.E.S.S. est idéalement placé pour observer la région centrale de notre Galaxie. Les 300 parsecs centraux ont notamment fait l’objet d’un suivi régulier pendant plus de dix ans. Cette acquisition de données de long terme fournit aujourd’hui la cartographie la plus précise jamais réalisée de cette région en rayons gamma de haute énergie. L’Irfu est impliqué depuis les débuts de l’expérience H.E.S.S., notamment à travers plusieurs thèses au SPP et pour l’analyse de données, l'électronique et le système de déclenchement des caméras.
Ainsi, une source coïncidente en position avec le trou noir massif Sagittairus A* (Figure 2, image de droite), HESS J1745-290 et une émission diffuse, ont été détectées. La luminosité en rayons gamma de l’émission diffuse est fortement corrélée aux positions des structures massives riches en gaz. Ceci suggère une origine hadronique (protons et noyaux) de l’émission détectée. Les rayons gamma sont produits par l’interaction de protons ultrarelativistes (proche de la vitesse de la lumière) dans le gaz ambiant.
Première détection d’un PeVatron en astronomie
Morphologie spatiale
Le résultat est l’aboutissement d’un travail complexe d’analyse de données expérimentales brutes pour extraire le signal en rayon gamma du bruit de fond. La détermination de la densité de protons est obtenue grâce à la mesure du flux de rayons gamma et de la connaissance de la distribution de gaz dans cette région mesurée par ailleurs. Cette distribution dépend théoriquement de la position et du taux d’injection de particules de l’accélérateur cosmique mais aussi son activité passée (injection par bouffée ou de façon continue). La densité de protons mesurée au centre galactique est environ dix fois supérieure à celle mesurée dans le voisinage du système solaire, éloigné 8500 pc. Ce résultat signe la présence d’un accélérateur de particules dans les 10 parsecs centraux de la voie lactée (en jaune sur la Figure 2, image de droite). Le profil radial (Figure 3) des rayons cosmiques implique que l’accélérateur soit localisé dans la même région que la source centrale HESS J1745-290. Les données, compatibles avec une dépendance en 1/r, indiquent une injection quasi-continue de protons sur une échelle de temps de quelques milliers d’années.
Figure 2
Représentation du nombre de rayons gamma de très haute énergie (>100 GeV) par pixel en coordonnées galactiques.
Image de gauche : la carte du ciel de H.E.S.S. dans la région du centre Galactique. L’image insérée (en bas à gauche) correspond à une source ponctuelle vue par H.E.S.S. Contour noir : Les régions d‘extraction du signal. Contours blanc : Le complexe massif de nuage de gaz.
Image de droite : zoom sur les 150 parsecs centraux. En jaune la source HESS J1745-290; en rouge, l’émission diffuse de la zone moléculaire centrale.
Figure 3
Mesure de la distribution de la densité énergétique de rayons cosmiques au-dessus de 10 TeV en fonction de la distance au centre galactique. Le profil radial mesuré jusqu’à 200 pc permet de localiser le PeVatron dans les 10 parsecs centraux de la Voie Lactée. Cette distribution est inversement proportionnelle à la distance au centre Galactique et suggère une injection quasi continue de protons relativistes sur quelques milliers d’années.
Morphologie énergétique
La grande statistique de gamma, accumulée pendant 10 ans, permet également de remonter à la distribution énergétique des protons ultrarelativistes.
La figure (flux / énergie, points rouges) montre cette distribution pour l’émission diffuse comprise dans la zone entre 15 et 45 pc (représenté par l’anneau ouvert de la Figure 2). Le meilleur ajustement aux données est obtenu pour une loi de puissance en énergie d’indice spectral 2,3 s'étendant jusqu’à plusieurs dizaines de TeV sans indication de coupure ni de cassure en énergie (c’est à dire sans changement de pente). C’est la première fois qu’un spectre de rayons gamma d’origine hadronique, en loi de puissance pure, est détecté jusqu’à 50 TeV. Les rayons gammas observés sont issus de la décroissance de pions neutres produits lors des interactions proton-proton. Ils ont typiquement une énergie 20 fois plus faibles que les protons incidents. La mesure du spectre en gamma observé renvoie donc à un spectre des protons s’étendant jusqu’à des énergies proches de 1 PeV. Le spectre de l’émission diffuse pose lui une contrainte indirecte sur une limite inférieure (coupure) en énergie dans le spectre des protons. En effet, les protons ne peuvent être infiniment accélérés. La figure 4 montre les spectres en énergie de HESS J1745-290 (points bleus) et de l’émission diffuse (points rouges).
L’analyse de la morphologie spatiale et énergétique permet conjointement de conclure à la première détection robuste d’un accélérateur cosmique hadronique opérant comme un PeVatron.
Une alternative tangible aux vestiges de supernova
L’intégration de la densité d’énergie de rayons cosmiques fournit un contenu en énergie de 1049erg (1 erg ≈ 0,62 TeV). Différents objets situés dans les 10 pc centraux pourraient fournir cette énergie. Par exemple, le vestige de supernova, Sagittarius A East est exclu : il n’injecterait efficacement qu’entre 10 à 100 ans et non 1000 ans comme indiqué par les données. Un autre site potentiel d’accélération est l’amas compact d’étoiles central de taille environ 0.4 pc. Ses vents stellaires fournissent les conditions adéquates pour l’accélération de protons et pourraient fournir l’énergie requise. Ils nécessitent néanmoins la présence d’une dizaine de supernovae dans les 10 parsecs centraux, un nombre irréaliste dans cette région.
Le trou noir supermassif Sagittairus A* apparaît donc comme la source la plus plausible, les protons relativistes étant accélérés dans l’environnement proche du trou noir. Notons que le taux d’accélération de 1037-1038 erg/s, dépasse la luminosité sur l’ensemble du spectre électromagnétique de Sagittarius A* de deux à trois ordres de grandeur. Il ne constitue qu’environ 1% du taux d’accrétion actuel. Aujourd’hui modeste, Sagittarius A* a pu, par le passé, fonctionner à des taux d‘accrétion beaucoup plus élevés et ainsi avoir augmenté le taux de production de rayons cosmiques. Dans ce cas, un taux d’accélération moyen de 1039 erg/s pendant 106-107 ans serait suffisant pour expliquer le flux de rayons cosmiques galactiques autour de 1 PeV.
Cette conclusion apporte une solution aux aspects controversés et activement débattus du paradigme des vestiges de supernova comme source principale du rayonnement cosmique galactique à des énergies du PeV.
Figure 4
Spectre en rayon gamma de haute énergie de l’émission diffuse (points rouges) . Le spectre de HESS J1745-290 est donné par les points bleus. La normalisation du spectre de l’émission diffuse est multipliée par un facteur 10 par soucis de clarté.
Le meilleur ajustement aux données est représenté par la région en rouge.
Trait plein rouge : calcul numérique où les rayons gamma sont produits par la décroissance de pions neutres produits lors de l’interaction proton-proton.
L’injection de protons au TeV doit excéder 10^38 erg/s pour expliquer la luminosité du spectre en rayon gamma.
Contact :
Emmanuel Moulin ( )
Publication originale :
Acceleration of Petaelectronvolt protons in the Galactic Centre, H.E.S.S. collaboration, corresponding authors: F. Aharonian (felix.aharonian@mpi-hd.mpg.de), S. Gabici (stefano.gabici@apc.univ-paris7.fr), E. Moulin (emmanuel.moulin@cea.fr) and A. Viana (aion.viana@mpi-hd.mpg.de), Nature 16 Mars 2016
Accès à la version électronique de la publication
Voir Communiqués de presse international et français.
Web :
H.E.S.S. home page: www.mpi-hd.mpg.de/HESS/
H.E.S.S instrument: www.mpi-hd.mpg.de/HESS/pages/about/
Thèses réalisées et en cours dans le cadre de H.E.S.S. à l’Irfu :
M. Vivier, A. Viana , A. Barnacka, D. Wouters, V. Lefranc (en cours), M. Lorentz (en cours)
• Structure et évolution de l'Univers › Univers sombre
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)
• H.E.S.S.