Une collaboration internationale de chercheurs (Oxford, AWE, CEA, LULI, Observatoire de Paris, Université du Michigan, Université de York et STFC Rutherford Appleton Laboratory) a réussi pour la première fois à générer en laboratoire l'analogue d'un choc violent qui est produit quand de la matière tombe à très grande vitesse sur la surface d'étoiles extrêmement denses appelées naines blanches. Comprendre la physique de ces objets astrophysiques est crucial car ils sont considérés comme les progéniteurs possibles des supernovae thermonucléaires, des supernovae utilisés dans la cosmologie pour mesurer l'accélération de l'expansion de l'univers liée à l'énergie sombre. Pour effectuer cette expérience d'astrophysique, les scientifiques ont utilisé le laser de puissance Orion, basé à Aldermaston (Royaume-Uni) pour bombarder une cible de taille millimétrique et produire un flux de plasma chaud pour une durée extrêmement courte (moins de 100 nanosecondes) [1].
Des travaux théoriques récents ont montré, à l'aide de lois d'échelle adaptées, que cette expérience à très petite échelle est équivalente à son homologue cosmique ce qui en fait une réplique valable. Les lasers de puissance peuvent donc être utilisés comme des microscopes pour explorer, au cours de quelques nanosecondes, les processus de rayonnement de haute énergie venant de régions largement non résolues par les télescopes les plus puissants. L'expérience Orion, qui est la première expérience académique sur cette installation, confirme que ces chocs d'accrétion, qui jusqu'ici ne pouvaient pas être accessibles au laboratoire il y a quelques années à l'échelle exacte, peuvent maintenant y être produits couramment. Ces résultats sont publiés dans Nature Communications du 13 juin 2016.
L'expérience Orion [2] a été réalisée pour reproduire les processus qui se déroulent dans les systèmes binaires contenant une naine blanche très magnétisée capturant de la matière d'une petite étoile compagnon. Ces systèmes, appelés Variables Cataclysmiques Magnétiques (MCVS), fournissent un moyen unique pour étudier les processus d'accrétion dans les régimes astrophysiques extrêmes. En raison du très fort (B> 10MG) champ magnétique, la matière capturée par la naine blanche est canalisée dans une région très étroite au-dessus du pôle magnétique de la naine blanche, appelée une colonne d'accrétion avec des dimensions de 100 à 1000 km. Le rayonnement issu de ces objets provient principalement de cette zone située près de la surface de la naine blanche où se produit un choc d'accrétion. Comprendre la physique de cette région est primordiale car elle est la clé pour déduire les propriétés des naines blanches et donc les conditions initiales de l'explosion des supernovae.
Vision d'artiste d'une variable cataclysmique magnétique. Dans ces systèmes, une « naine blanche », étoile extrêmement dense, aspire par gravitation la matière d’une seconde étoile voisine. Cette matière accrétée produit un rayonnement très énergétique lorsqu’elle atteint le pôle de l’étoile dense. Crédits Animea/F. Durillon
En utilisant des lois d'échelle spécifiques couplant le rayonnement et l'hydrodynamique, les scientifiques ont pu déterminer que pour atteindre un équivalent dans le laboratoire d'une colonne d'accrétion, il suffisait que tous les paramètres soient décalés de la bonne quantité dans le domaine espace-temps. Ce qui se passe dans une colonne d'accrétion de 1000 km en une seconde est alors équivalent à ce qui se passe dans quelques millimètres pendant quelques nanosecondes, à condition que suffisamment d'énergie soit injectée par un laser.
Dans l'expérience réelle, un tir laser d'énergie 2 kJ (kilo Joule) sur une durée d'une nanoseconde a été focalisé sur une cible de diamètre 600-micromètres pour produire un plasma chaud à une vitesse de 200 km/s. Au lieu d'un champ magnétique, le plasma a été collimaté par un tube en matière plastique de 3 millimètres de long, se terminant par un obstacle en acier. Le plasma, le tube et l'obstacle sont les analogues en laboratoire respectivement de la matière en chute, de la collimation magnétique et de la surface de la naine blanche dans le cas astrophysique.
La principale difficulté à laquelle les scientifiques ont dû faire face était en fait de voir et d'enregistrer ce qui se passe dans un temps si court. Pour ce faire, ils ont dû utiliser une autre impulsion laser très courte (500 picosecondes) capable de générer une source de rayons X qui sonde le plasma dans le tube. En mesurant la variation de la transmission des rayons X par le plasma, la densité peut alors être reconstituée par cette radiographie ultrarapide. Grâce à ce dispositif complexe, une séquence d'images a été produite montrant clairement le développement d'un choc, analogue à la structure prédite par les modèles
A gauche : Vision d'artiste de la région du pôle de la naine blanche. L'étoile est surmontée d'une colonne d'accrétion, d'une hauteur de l'ordre de 1000 kilomètres, dans laquelle la matière (plasma) vient percuter la surface de l'étoile
A droite : Dans l'expérience de laboratoire, le plasma produit par le laser est canalisé par un tube d'une longueur de quelques millimètres. Il vient percuter un obstacle en acier produisant un choc qui construit une colonne d'accrétion. La partie gauche représente la radiographie X du gaz chaud, la partie droite la simulation numérique sur ordinateur. Crédits Cross/Oxford Univ.
C'est la première fois qu'un choc d'accrétion est directement observé par radiographie à rayons X dans ces régimes. Les propriétés détaillées de la région post-choc ont été sondées alors que cette structure ne peut être résolue à l'échelle astrophysique avec des les plus grands télescopes disponibles aujourd'hui. Bien que de fortes restrictions existent encore; l'expérience Orion confirme que ces flots hydrodynamiques complexes, qui ne pouvaient être étudiés en laboratoire il y a encore quelques années, peuvent maintenant y être produits couramment. Ces travaux ont été intiés il y a quelques années sur l'installation LULI2000 (Laboratoire pour l’Utilisation des Lasers Intenses). L'étape suivante consiste à adapter la conception des cibles pour les lasers Mégajoule plus puissants (NIF et LMJ) [3], qui fournissent l'énergie laser nécessaire pour produire un régime radiatif totalement similaire aux colonnes d'accrétion des variables cataclysmiques magnétiques.
Contacts : J.M. Bonnet-Bidaud,
Publication :
“Laboratory analogue of a supersonic accretion column in a binary star system”
"Analogue de laboratoire d'une colonne d'accrétion supersonique dans un système d'étoile binaire"
J. E. Cross, G. Gregori, J. M. Foster, P. Graham, J. -M. Bonnet-Bidaud, C. Busschaert, N. Charpentier, C. N. Danson, H. W. Doyle, R. P. Drake, J. Fyrth, E. T. Gumbrell, M. Koenig, C. Krauland, C. C. Kuranz, B. Loupias, C. Michaut, M. Mouchet, S. Patankar, J. Skidmore, C. Spindloe, E. R. Tubman, N. Woolsey, R. Yurchak & É. Falize
Nature Communications, 13 juin 2016, doi:10.1038/ncomms11899, pour une version électronique : Cross_2016_Nature_Communications.pdf
Voir - Le communiqué de presse du CEA (13 juin 2016)
- Le communiqué de presse du CNRS (13 juin 2016)
- Le communiqué Atomic Weapons Establishment (AWE) (13 juin 2016)
Voir aussi : Une étoile en laboratoire - Le Monde.fr (12 sept 2016)
Voir aussi : Palpitations de naines blanches aimantées (22 June 2015)
voir la simulation numérique de la colonne d'accrétion (vidéo) |
Pour en savoir plus : "Recréer l'univers" M. Koenig & E. Falize, La Recherche, Décembre 2015, p. 34-39
Notes :
[1] 1 nanoseconde = 1 milliardième de seconde. Il y a autant de nanosecondes en une seconde qu'il y a de secondes dans environ 30 ans.
[2] L'installation laser Orion fournit une plate-forme pour les expériences de physique des plasmas. Orion offre une combinaison unique de faisceaux fournissant 10 impulsions longues (nanoseconde) et deux courtes impulsions (picoseconde). Les impulsions petawatt courtes sont deux des faisceaux de puissance les plus élevés de leur type dans le monde. 15% du temps de l'installation d'Orion est mis à disposition pour la recherche universitaire d'avant-garde.
[3] LMJ (Laser Mégajoule) installation laser de 1,4 Megajoules en cours de déploiement à Barp (Gironde, France) - NIF (National Ignition Facility), installation laser de type megajoule du Lawrence Livermore National Laboratory (California, USA).
Rédaction : J.M. Bonnet-Bidaud, E. Falize
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