Télescope du Sloan Digital Sky Survey situé à l’Observatoire d’Apache Point au Nouveau Mexique aux Etats-Unis. Il permet entre autres d’étudier les quasars (crédit : Collaboration SDSS)
Plus de vingt ans après la mise en évidence de l’accélération de l’expansion de l’Univers, la nature du phénomène physique à l’origine de cette accélération, appelée « énergie noire », est toujours inconnue. Le modèle actuel de la cosmologie est basé sur la relativité générale comme théorie de la gravitation et établit une prédiction théorique pour la quantité de galaxies qui se forme à une période donnée de l’Univers. On appelle ce paramètre cosmologique le taux de croissance des structures cosmiques. Il permet de tester directement la théorie de la gravitation à l’échelle de ces grandes structures.
Pour la 1ère fois, le multi-spectrographe eBOSS monté sur le télescope du Sloan Digital Sky Survey au Nouveau-Mexique, a permis de mesurer ce paramètre à partir de la distribution des corrélations spatiales des quasars. Les quasars sont parmi les sources les plus brillantes de l’Univers et permettent de sonder une époque quasiment inexplorée par ce test cosmologique, lorsque l’Univers avait entre 3 et 7 milliards d’années. L’échantillon sur lequel l’analyse repose correspond à 2 ans de prise de données et a déjà permis de sélectionner plus de 148 000 quasars. Les mesures effectuées confirment la validité du modèle de la cosmologie basé sur la relativité générale et peuvent aussi être utilisées pour contraindre des théories alternatives de gravité.
Les résultats ont été publiés dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (P. Zarrouk et al, 2018).
La collaboration continue d’acquérir des données dont l’analyse finale est prévue pour la fin 2019 et qui doublera la taille de l’échantillon. Les cosmologistes du DPhP sont fortement impliqués dans toutes les étapes du programme eBOSS, ainsi que dans son successeur, le projet DESI situé à l’observatoire national Kitt Peak en Arizona et dont le début de la prise de données est prévu pour 2020.
Utiliser les quasars de eBOSS pour sonder une époque inexplorée
Le télescope SDSS de 2.5 mètres de diamètre situé à l’Observatoire d’Apache Point au Nouveau Mexique (Etats-Unis) et relié au multi-spectrographe eBOSS, a observé depuis 2014 un nombre sans précédent de quasars. Il a permis aux astronomes de mesurer précisément la position de plus de 148 000 quasars et de reconstruire la plus grande carte des distributions spatiales des grandes structures d’aujourd’hui à plus de 10 milliards d’années (voir fait marquant en juin 2017)
Les quasars correspondent à des noyaux actifs de galaxies et l'intense lumière qu'ils émettent provient du disque d'accrétion situé autour du trou noir super massif central. Sur la figure ci-contre, un spectre de quasar est représenté contenant plusieurs lignes correspondant à des raies d’émission par le gaz chauffé au cours du processus d'accrétion. La position de ces raies est décalée vers les grandes longueurs d’onde, on parle de décalage spectral vers le rouge ou "redshift". Il donne accès à la distance entre le quasar et l'observateur le long de la ligne de visée.
Le redshift est d’origine cosmologique et est une conséquence de l’expansion de l’univers. Plus le redshift d’un objet est élevé, plus la lumière que nous captons de cet objet a été émise il y a longtemps. On mesure les quasars de eBOSS entre les redshift 0.8 et 2.2 pour un redshift moyen de z=1.52. Ils permettent donc de sonder l’univers tel qu’il était il y a plus de 6-10 milliards d’années. Avec ce relevé spectroscopique, on construit un catalogue de quasars qui contient leur position dans le ciel (2 coordonnées angulaires et la distance entre le quasar et nous, le redshift). |
Effet des "Redshift Space Distortions" (RSD) : Lors de l'observation, deux objets (1 et 2 sur la partie gauche de l'image) qui se rapprochent sous l'attraction gravitationnelle apparaissent plus proches, le long de la ligne de visée, car la mesure des distances à partir du redshift est influencée par leur vitesse propre (partie droite de l'image).
La technique des "Redshift Space Distortions" (RSD)
A partir de ce catalogue, on est capable de reconstruire la distribution des corrélations spatiales des quasars à grande échelle. Si l'on suppose que l’Univers est homogène et isotrope à grande échelle, on s’attend à obtenir une distribution isotrope, c'est-à-dire la même dans toutes les directions.
Or, le redshift qu’on mesure à partir du spectre du quasar, i.e. la distance entre le quasar et nous, contient le déplacement dû à l’expansion de l’univers et celui dû à la vitesse propre du quasar.
La prise en compte de cette vitesse propre introduit des déformations à cette isotropie (voir cas de droite de la figure ci contre) qui sont directement liées aux vitesses propres des quasars. Ces vitesses propres sont elles-même liées à l'effondrement gravitationel dont la dynamique est gouvernée par la relativité générale. Ainsi, la distribution des quasars observés présente une anisotropie, c'est le phénomène de "Redshift Space Distortions" (RSD)
Détection des anisotropies de corrélation
Pour cela, on modélise la distribution des corrélations avec 2 composantes :
- un terme ‘monopole’ qui quantifie la partie isotrope de la distribution et dont l'augmentation provient de la prise en compte des vitesses propres des quasars
- et un terme ‘quadrupole’ qui décrit les anisotropies et dont l'amplitude est sensible au taux de croissance des structures.
La figure ci-contre présente le monopole à gauche pour les données de eBOSS (bleu), pour le modèle avec RSD (noir) et pour le modèle sans RSD (noir pointillé). A droite de la figure, le quadrupole est représenté pour les données (bleu), le modèle avec RSD (noir) et sans RSD (noir pointillé).
C’est la 1ère fois que la technique est appliquée à un échantillon de plus de 148 000 quasars permettant ainsi d’étendre les tests de relativité générale à plus grand redshift (z > 1) par rapport aux galaxies utilisées jusqu’à présent pour cette méthode (jusqu’à z~0.8).
Mesures du taux de croissance des structures en fonction du redshift. Les résultats obtenus avec les quasars de eBOSS sont représentés en bleu et la précision attendue à la fin du relevé fin 2019 est montrée en trait épais.
Les mesures de la croissance des structures faites jusqu’à présent ont utilisé des échantillons de galaxies, essentiellement à bas redshift (z<1) avec une mesure exploratoire à z~1.4. Lorsque la statistique est faible (résultats en pointillés sur la figure ci-contre), le taux de croissance des structures est habituellement mesuré en fixant la cosmologie du modèle à une certaine valeur. Cependant ces mesures ne peuvent pas être utilisées pour tester les modèles de gravité alternative.
En effet, afin d'extraire des contraintes indépendantes de la cosmologie utilisée pour évaluer les distances, la cosmologie du modèle doit être laissée libre dans l'ajustement des données. Cela permet d'extraire simultanément les paramètres cosmologiques comme le taux de croissance des structures et le taux d'expansion de l'univers. C'est dans ce cadre que s'inscrit la mesure à partir de l’échantillon de quasars de eBOSS que nous venons de réaliser et qui est représentée en bleu sur la figure ci-contre. Elle confirme la validité du modèle de la cosmologie basé sur la relativité générale qui est représenté par la courbe noire. Ces mesures sont utilisées pour contraindre des théories alternatives de gravité. C’est le cas de la théorie du Galiléon dont la prédiction pour le taux de croissance des structures est représentée en trait plein rouge. Cette théorie de gravité modifiée suppose l’existence d’un champ scalaire supplémentaire dont les couplages avec la matière pourraient expliquer l’accélération de l’expansion de l’univers sans faire appel à une constante cosmologique.
La figure montre également la précision attendue avec l’échantillon final de quasars de eBOSS (trait bleu plus épais). Les mesures de croissance des structures à grand redshift, comme la 1ère mesure effectuée avec l’échantillon quasars de eBOSS, vont ainsi apporter des nouvelles contraintes sur les modèles de gravité alternative pour une époque de l’Univers qui sera intensivement sondée par les relevés des prochaines décennies. Ces contraintes sont complémentaires de celles qui sont en train d’être apportées par les ondes gravitationnelles et qui s’annoncent aussi très prometteuses.
Contacts: Pauline Zarrouk, Etienne Burtin
• Structure et évolution de l'Univers › Univers sombre
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)
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