Quelle est la masse des neutrinos ? Pour répondre à cette question fondamentale l'expérience KATRIN a été conçue et construite par une collaboration internationale au Karlsruhe Institute of Technology. Le 11 juin 2018 un colloque international a marqué le début de la prise de données. Les premiers spectres d’électrons issus de la désintégration du tritium ont été analysés par une chaine d’analyse développée à l’Irfu. Tout est conforme aux spécifications demandées et la première longue campagne de prise de données pour la physique peut démarrer. Premiers résultats attendus en 2020.
Ce n'est que depuis deux décennies que nous savons que les neutrinos possèdent une masse non nulle. Cette percée est due à la mise en évidence des oscillations de neutrinos par les équipes internationales des professeurs Arthur McDonald et Takaaki Kajita récompensés par le prix Nobel de physique de 2015. Mais ces découvertes ne nous disent pas quelle est la masse des neutrinos ! Et cette dernière pourrait être la clef pour comprendre la nature de ces particules ainsi que les grandes structures de notre univers.
Spectre d'énergie électronique du tritium complet (gauche). KATRIN étudie la forme du spectre dans la queue de distribution représentée pour des masses de neutrinos de 0 et 1 eV (droite).
Le principe de la mesure directe de la masse des neutrinos fut énoncé par Fermi : la désintégration du tritium libère un électron et un neutrino, qui se partagent l'énergie de désintégration de 18,6 keV. Dans des cas extrêmement rares l'électron obtient la quasi-totalité de l'énergie disponible. Le neutrino, non détecté, n’emporte alors que son énergie de masse au repos, qui se soustrait alors à l’énergie de l'électron. C'est cette infime quantité d'énergie manquante dans le spectre d'énergie électronique qui est recherchée, jusqu'à un niveau de 0,2 eV, correspondant à une masse incroyablement faible de 3,6 x 10-37 kg !
La mesure directe de la masse des neutrinos est le but de l’expérience KATRIN installée au Karlsruhe Institute of Technology (KIT). La collaboration KATRIN, composée de 200 membres issus de 7 pays, relève les défis technologiques que pose la détermination de cette masse infime en laboratoire. L’Irfu y contribue via le développement d’une chaine de simulation et d’analyse des données de l’expérience ; le développement et l’implémentation d’une électronique de lecture pour les futures améliorations du détecteur ; mais aussi en ayant assuré les tests complets des grands dipôles supraconducteurs. En mai 2018, un gaz de tritium moléculaire de haute pureté a été injecté pour la première fois dans l’expérience.
Schéma de l’expérience KATRIN. La source de tritium est logée à l'intérieur d'un cryostat de 16 m de long (gauche). Les électrons sont guidés par de puissants aimants supraconducteurs vers le très grand spectromètre électrostatique (droite). Un système de pompage garantit qu'aucune molécule de tritium n'avance dans le vide extrême du spectromètre (milieu). Les électrons sont comptabilisés dans un détecteur à silicium situé à 70m de la source (extrême droite). Image : KIT.
Spectre en énergie du tritium consécutif à la première prise de données de l’expérience KATRIN. Les données (points) sont comparées au code Samak, développé au CEA/Irfu, qui modélise la désintégration ß et l’ensemble de l’instrument. La bande verte illustre les incertitudes systématiques calculées par le code Samak pour ce « run » technologique. Image : Thierry Lasserre, CEA.
Les premiers spectre ß du tritium ont été analysés par une chaine d’analyse développée en collaboration entre le CEA/Irfu et le Max-Planck für Physik et l’Université de Munich. Dès les premiers « runs » l’accord entre la modélisation de l’instrument et les données fut remarquable. Au total, une centaine de millions d’électrons ont été enregistrés. A ce stade de l’analyse, présentée à la conférence Neutrino 2018, les exigences très strictes en matière de stabilité, au niveau de 0,1%, ont été validées. Après une dernière phase d’étalonnage l’année 2019 marquera la première longue campagne de prise de données pour la physique. Premiers résultats attendus en 2020. Ils seront suivis par une recherche de l’existence de neutrinos stériles légers (m ≤ 1 eV) qui pourraient aussi altérer la forme du spectre en énergie.
En marge de ces recherches directes en laboratoire la somme des masses des trois neutrinos est aussi particulièrement bien contrainte par la cosmologie (voir par exemple ce fait marquant). La comparaison de ces mesures avec celle de KATRIN, indépendante de toute modélisation, permettra sans doute de lever le voile sur la dernière masse inconnue du modèle standard.
Contact Irfu/DPhP : Thierry Lasserre
Collaboration KATRIN : http://www.katrin.kit.edu/71.php
• Constituants élémentaires et symétries fondamentales › Physique des neutrinos
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)