Le Sloan Digital Sky Survey (SDSS) publie aujourd'hui une analyse complète de la plus grande carte tridimensionnelle de l'Univers jamais créée, permettant de reconstruire l’histoire de son expansion sur une période de 11 milliards d’années.
« Avant eBOSS, on connaissait bien les 6 derniers milliards d’années de l’expansion de l’Univers » déclare Etienne Burtin (CEA-Irfu, Paris Saclay), qui a co-dirigé l’analyse des données dont les résultats sont annoncés aujourd'hui. « Désormais, ce sont plus de 11 milliards d’années de l’histoire de l’expansion qui vont nous permettre d'affiner notre connaissance de l’Univers ». Les nouveaux résultats proviennent du programme « extended Baryonic Oscillation Spectroscopic Survey » (eBOSS, P.I. Kyle Dawson, University of Utah), une collaboration internationale de plus de 100 astrophysiciens qui est l'un des grands programmes d’observation composant le SDSS. « Les laboratoires français ont pris une part majeure à la conception et à l’analyse des différentes parties du programme eBOSS », précise Christophe Yèche (CEA-Irfu, Paris Saclay), « et l’ANR et les différentes agences de financement ont apporté un soutien important ». La moisson de nouveaux résultats comporte les mesures détaillées de plus de deux millions de galaxies et quasars, ainsi que des milliers de vides cosmiques, couvrant les 11 derniers milliards d'années.
La carte mesurée par SDSS fait apparaître (en couleur) les différents objets astrophysiques utilisés pour accéder à différentes époques de l’évolution de l’Univers. Nous sommes situés au centre de cette carte et observer des objets lointains équivaut à observer l’Univers tel qu’il était dans le passé. Les vignettes à droite de la carte montrent le motif caractéristique observé dans la répartition des galaxies. La position de ce motif mesurée à différentes époques a été corrigée de l’expansion de l’Univers et donc apparaît à la même valeur dans toutes les vignettes.
Crédit: Anand Raichoor (EPFL) and SDSS.
La sphère colorée represente la carte du fond diffus cosmologique et les différentes parties du relevé SDSS sont représentés par les volumes de differentes couleurs (en cliquant sur les nombres vous obtiendrez le type d'objet astrophysique utilisé pour chaque composante du relevé et des informations supplémentaires). Credits : Cheng Zhao et Anand Raichoor (EPFL et SDSS)
Cette image illustre l'impact que les cartes de SDSS (incluant celles d’eBOSS) ont eu au cours des 20 dernières années sur notre compréhension du taux d'expansion et de la courbure actuels de l'Univers. La région grise montre l’état de nos connaissances il y a 10 ans, avant le démarrage de SDSS. La région bleue montre la meilleure mesure actuelle, qui combine SDSS et d'autres programmes. La taille décroissante des régions colorées est due à l’amélioration de la précision de mesure. L’apport de SDSS par rapport à la situation de 2010 est indiquée par la région rouge et montre l’impact majeur de ces données.
Les mesures de la courbure de l'Univers sont indiquées sur l'axe horizontal. Les résultats de SDSS, qui s'affinent autour de zéro, suggèrent que l'Univers est plat, et améliorent considérablement les contraintes d'autres expériences. L'axe vertical montre le taux d'expansion actuel de l'Univers (la constante de Hubble). Les mesures de la constante de Hubble de SDSS ainsi que d'autres études de l’Univers lointain ne concordent pas avec les mesures basées sur les galaxies de l’Univers proche, qui trouvent une valeur d’environ 74 dans ces unités, contre 68 pour le SDSS. C’est grâce aux données précises de SDSS ainsi que des autres expériences de la dernière décennie qu'il a été possible de révéler cette divergence. Crédit : Eva-Maria Mueller (Oxford) et SDSS.
Les données d’eBOSS sont si précises et couvrent un si grand intervalle de temps cosmique qu'elles sont un ingrédient incontournable pour mesurer de nombreuses propriétés fondamentales de l’Univers, comme sa courbure géométrique ou les propriétés de l’énergie noire. En les combinant avec les données du fond diffus cosmologique et des supernovae, ces données indiquent un Univers sans courbure et une énergie noire de densité constante.
La combinaison des observations d'eBOSS et des études du fonds diffus cosmologique révèle aussi des tensions dans notre vision de l'Univers. Ainsi, la mesure du taux d'expansion actuel de l'Univers (la "constante de Hubble") effectuée par l'équipe eBOSS est inférieure d'environ 10 % à la valeur trouvée à partir de distances aux galaxies proches. Vu la grande précision des données d’eBOSS, il est très peu probable que cette différence soit due au hasard, d’autant que la riche variété des objets astrophysiques mesurés par eBOSS donne de multiples moyens indépendants de tirer la même conclusion. « Les résultats de l’échantillon complet de SDSS renforcent le désaccord avec la valeur de la constante de Hubble mesurée dans l’Univers proche » précise Vanina Ruhlmann-Kleider (CEA-Irfu, Paris Saclay). Il n'y a pas d'explication largement acceptée pour cette différence entre les mesures du taux d'expansion, mais une possibilité intéressante est qu'une forme de matière ou d'énergie inconnue jusqu'alors, provenant de l'Univers primitif, ait pu laisser une trace dans son histoire ultérieure.
Au total, l'équipe eBOSS a rendu publics aujourd'hui les résultats de plus de 20 articles scientifiques. Ces articles décrivent, en plus de 500 pages, les analyses réalisées sur les dernières données d’eBOSS, marquant ainsi l'achèvement des principaux objectifs du programme de recherche entrepris il y a une dizaine d’années.
Au sein de l'équipe eBOSS, des groupes individuels dans des universités du monde entier se sont concentrés sur différents aspects de l'analyse. Pour créer la partie de la carte qui remonte à six milliards d'années, l'équipe a utilisé de grandes galaxies rouges . « Les galaxies rouges forment l’échantillon le plus fourni de SDSS et apportent ainsi les mesures les plus précises » précise Romain Paviot, doctorant au LAM (CNRS INSU/IN2P3 et Aix-Marseille Université). Pour remonter plus loin dans le temps, eBOSS a exploité, pour la première fois dans SDSS, des galaxies bleues plus jeunes et formant des étoiles. Enfin, pour cartographier l'Univers encore plus lointain, ils ont mis à profit des quasars, galaxies lumineuses éclairées par de la matière tombant sur un trou noir central supermassif. « C’est l’étude des positions des quasars et des nuages d’hydrogène neutre qui en absorbent la lumière qui permet de sonder l’Univers à 11 milliards d’années et plus » explique Christophe Balland, responsable de l’activité eBOSS au LPNHE (CNRS/IN2P3, Sorbonne Université et Université de Paris). Chacun de ces échantillons a nécessité une analyse minutieuse afin d'éliminer les contaminants et de révéler les caractéristiques de l'Univers. « Nous avons mis en place des méthodes fondées sur des simulations d’Univers pour nous assurer que les procédures d’analyse fournissent des résultats non biaisés », ajoute Alex Smith post-doctorant au CEA-Irfu.
eBOSS, et plus généralement le SDSS, laisse en héritage aux projets futurs l’énigme de l'énergie noire et l’écart entre les différentes mesures du taux d'expansion de l'Univers. Au cours de la prochaine décennie, les futurs programmes d’observation dans lesquels la France est fortement engagée, tels DESI, Euclid et LSST, pourraient résoudre l'énigme, ou peut-être révéler d'autres surprises.
Contacts : Etienne Burtin, Vanina Ruhlmann-Kleider
• Structure et évolution de l'Univers › Univers sombre
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)
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