Le 12 février 2022 le télescope à neutrinos ANTARES (Astronomy with a Neutrino Telescope and Abyss environmental RESearch), a mis un terme à sa prise de données débutée en 2007. Pendant 15 ans, des milliers de neutrinos, particules fugaces, témoins précieux des phénomènes cataclysmiques de l’Univers, ont été détectés à 2500 m dans les abysses méditerranéens. L’objectif : trouver dans la carte du ciel ainsi obtenue des accumulations anormales révélant les sources du rayonnement cosmique, une pluie de particules détectée, pour la première fois, il y a plus de cent ans et dont l’origine reste encore mystérieuse. L’équipe du CEA a joué un rôle prépondérant dans la réussite de ce projet, pionnier de l’astronomie multi-messager.
L’idée d’observer des sources de neutrinos avec des détecteurs sous-marins pour révéler l’origine du rayonnement cosmique date de la fin des années 60 : compte tenu de la très grande difficulté à les arrêter, la Terre est utilisée comme une cible de laquelle s’échappent des muons résultant de l’interaction des neutrinos dans l’écorce terrestre. En dépassant la vitesse de la lumière dans l’eau ils créent un cône de lumière bleutée (effet Tcherenkov), échantillonné par un réseau de photodétecteurs. L’intensité de la lumière et la direction du cône permettent de remonter aux caractéristiques du neutrino et d’établir des cartes du ciel. Les abysses permettent de filtrer les muons descendants du rayonnement cosmique et de bénéficier de l’obscurité nécessaire à l’observation de la lumière Tcherenkov. Le signal attendu est si faible que de grands volumes doivent être instrumentés. Les premières tentatives datent de mi 70 au large d’Hawaï mais sont un échec. Les pionniers se séparent alors en deux équipes, l’une en Antarctique, qui donnera IceCube dans la glace du pôle sud, et l’autre en mer Méditerranée qui donnera plusieurs projets de R&D dont seul ANTARES aboutira, en 2007, avec le déploiement de 900 modules optiques couvrant un volume équivalent au sol à 4 terrains de football, sur 350 mètres de hauteur (1/50 km3).
La collaboration ANTARES est fondée en 1996 par Jean-Jacques Aubert (CPPM, CNRS Marseille) et Luciano Moscoso du DAPNIA (prédécesseur de l’Irfu), après la séparation des groupes français du projet grec NESTOR, jugé trop ambitieux. Après les études préliminaires d’exploration des sites, de mesure de la transparence de l’eau, de la bioluminescence, du niveau sédimentation et de bio-salissure, le site est choisi à une vingtaine de kilomètres au sud de l’ile de Porquerolles, à une profondeur de 2500 m. ANTARES est conçu comme le démonstrateur d’un détecteur plus grand, de taille kilométrique. Il comporte 12 lignes verticales espacées de 70 m et comprenant 25 étages de détection séparés d’une quinzaine de mètres par un câble électro-optique porteur. Chaque étage comporte trois photomultiplicateurs, protégés de la pression par une sphère de verre, et leur électronique (fig 1). Le déploiement du câble électro-optique de 40 km reliant le détecteur à la côte varoise en 2001 a été suivi de celui de la boîte de jonction en 2002, et après différents prototypes, la première ligne complète fut déployée le 14 février 2006 (fig 2), et la dernière ligne fut connectée en mai 2008.
L’équipe de l’Irfu a très largement contribué à l’aventure d’ANTARES : les photomultiplicateurs ont été sélectionnés et testés à Saclay ; 950 modules optiques y ont été construits ; l’électronique frontale (puce ARS) et celle de lecture et d’acquisition des données y ont été mises au point, ainsi que le système de transmission des données à terre. En outre la moitié des 12 lignes du télescope ont été intégrées à Saclay tandis que l’autre moitié a été intégrée au CPPM avec l’expertise de l’Irfu. Toutes ces études constituent une base solide pour la future génération de détecteurs sous- marins (projet KM3NeT). En particulier l’Irfu a participé à l’optimisation du concept et à sa validation partielle avec une ligne instrumentée en 2013 (fig 3).
S’agissant de Science, l’équipe s’est investie dans les simulations de la réponse du détecteur aux processus attendus, ont mis en place les premières chaînes d’analyse des données et développé les algorithmes de reconstruction des muons et des gerbes de particules dans l’eau, pour ensuite les appliquer à l’analyse des premières données. Ces études ont donné lieu à la soutenance d’une dizaine de thèses.
En tant qu’infrastructure sous-marine connectée en temps réel à la côte, ANTARES a également permis aux collaborateurs des sciences de la mer d’explorer les abysses dans des conditions exceptionnelles, ce qui a conduit à de nombreuses publications sur la sismologie des grands fonds, les variations de bioluminescence et les transferts de masses d’eau de la surface vers les profondeurs, ou encore, grâce aux détecteurs acoustiques installés sur deux des lignes du télescope, la vie cachée des cétacés.
La prise de données, prévue à l’origine pour durer 10 ans, a été étendue pour saisir l’opportunité offerte par les détections récentes d’ondes gravitationnelles de faire des études multi-messagers, rejoignant ainsi le programme d’association entre ANTARES et les détections de rayonnements électromagnétiques, de la lumière visible aux rayons gamma. L’équipe de l’Irfu a fortement contribué à la mise en place d’un système d’alerte, permettant l’envoi des coordonnées célestes de la direction de provenance d’un neutrino quelques millisecondes après sa détection par ANTARES, pour déclencher la prise de vue de télescopes optiques robotisés.
Près de 15000 neutrinos ont été détectés par ANTARES (fig 4), une accumulation qui n’a pas permis de révéler la présence d’une source astrophysique au-dessus du fond irréductible dû aux neutrinos produits dans l’atmosphère aux antipodes par le rayonnement cosmique. En revanche plus de 90 articles de revue ont été publiés : au-delà de la recherche de sources astronomiques, ANTARES a repoussé les limites de nos connaissances sur l’oscillation des neutrinos, la présence de matière noire dans la galaxie, ou de particules exotiques comme les monopôles magnétiques.
Fig 4: Carte du ciel en coordonnées équatoriales. La ligne tiretée indique l’équateur galactique, et l’ellipse la région du centre galactique. Les croix bleues représentent la provenance reconstruite des muons montants et les cercles rouges celle des événements donnant lieu à des cascades de particules. Les étoiles vertes montrent des sources candidates et les carrés verts montrent la position des 13 évènements de très haute énergie vus par IceCube.
Contacts: Thierry Stolarczyk , Fabian Schussler , Bertrand Vallage
Sur le web : http://antares.in2p3.fr
Ref 1: Nuclear Instruments and Methods in Physics Research A 692 (2012) 184–187
Pour les faits marquants :
Et aussi
• Structure et évolution de l'Univers › Phénomènes cosmiques de haute énergie et astroparticules
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département d'Ingénierie des Systèmes (DIS) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)