28 juin 2023
GBAR rejoint l'anti-club !
GBAR rejoint l'anti-club !

La zone expérimentale de GBAR au CERN. On a figuré les directions des antiprotons (en provenance d’ELENA, au-dessus) et des positons (produits par un linac d’électrons, protégé dans le bunker à droite), ainsi que l’emplacement de la chambre de réaction et le point de détection des anti-hydrogènes. La ligne au premier plan est l’embryon de la future ligne pour les ions anti-hydrogène positifs. Elle est utilisée actuellement pour le test d’un piège à antiprotons, qui sera inséré avant la chambre de réaction cette année.

La collaboration GBAR, dans laquelle l’IRFU contribue de façon majeure, a présenté aux conférences de Moriond en mars 2023 le résultat de sa première prise de données au CERN fin 2022. Elle a pour la première fois observé la production d’atomes d’anti-hydrogène issus de l’interaction d’un faisceau d’antiprotons fournis par l’Antiproton Decelerator (AD) du CERN et décélérés à une énergie de 6 keV, avec un nuage de positronium fabriqué localement dans l’expérience. GBAR rejoint ainsi le club très select des expériences qui ont réussi la synthèse d'atomes d’anti-hydrogène !

Le but ultime de l’expérience GBAR est de mesurer l’accélération d’un atome d’anti-hydrogène dans le champ de gravité terrestre, et de la comparer à celle de la matière ordinaire. Le Principe d’Équivalence, à la base de la Relativité Générale d’Einstein, affirme que toutes les formes de matière et d’énergie se comportent de la même façon vis-à-vis de la gravité. Depuis Galilée, les expériences de chute des corps ont testé ce principe pour différents éléments chimiques de la matière ordinaire, le confirmant avec un accord de plus en plus précis. Récemment, l’expérience sur satellite MICROSCOPE l’a vérifié avec une incertitude remarquable d’une partie pour 3x1015. Mais l’action de la gravité sur l’antimatière n’a encore jamais pu être mesurée ! Plusieurs arguments indirects suggèrent que l’antimatière devrait respecter le Principe d’Équivalence, et donc devrait « tomber » vers la Terre comme la matière. Cependant la relation entre matière et antimatière est intrinsèquement quantique, et la théorie de la gravitation ne fait pas bon ménage avec la théorie quantique. Ainsi seule la mesure expérimentale peut permettre de lever ce doute. Bien entendu on attend d’abord la mesure du signe, c’est-à-dire de savoir si l’antimatière « monte » alors que la matière « tombe ». Mais même une petite différence quantitative entre l’accélération de l’antimatière et celle de la matière lors d’une chute libre constituerait une révolution pour la physique.

 

La préparation des atomes d'anti-hydrogène: une recette complexe !

Préparer un anti-atome suffisamment lent pour le voir tomber n’est pas chose facile, et la voie choisie par GBAR nécessite plusieurs étapes, dont la production d’un ion positif d'anti-hydrogène (l’équivalent antimatière d’un ion H-) et son ralentissement par des techniques d’optique quantique.

La première étape, franchie dernièrement, est de fabriquer des atomes d’anti-hydrogène à partir d’antiprotons produits par l’AD et de positons produits dans GBAR. Les antiprotons de l’AD (d’énergie 5.3 MeV) sont décélérés et conditionnés par l’anneau ELENA, et un paquet de quelques millions d’antiprotons de 100 keV est envoyé à GBAR toutes les deux minutes. Dans GBAR, un tube de glissement décélère davantage ce paquet jusqu’à une énergie ajustable allant de quelques keV à 10 keV. En parallèle, dans une autre partie de GBAR, un accélérateur linéaire (linac) envoie des électrons de 9 MeV sur une cible, où leur interaction produit des positons. Ces positons sont récupérés, et accumulés dans une série de pièges électromagnétiques. Juste avant l’arrivée du paquet d’antiprotons, les positons sont envoyés sur une couche de silice nanoporeuse, dans laquelle environ un sur cinq se lie à un électron pour ressortir sous forme de positronium (Ps). Lorsque le paquet d’antiprotons traverse le nuage de Ps, un échange de charge peut se produire : le positronium cède son positon à l'antiproton, qui devient un anti-hydrogène.

En 2022, GBAR a fonctionné pour la première fois avec les faisceaux de positons et d’antiprotons. La prise de données est séquencée par les pulses d’antiprotons provenant d’ELENA toutes les deux minutes. Dans le mode « mixing », environ 5x107 positons sont extraits du dernier piège et envoyés sur la silice nanoporeuse, produisant un nuage d’environ 7x106 positroniums. Ce nuage est traversé par environ 3x106 antiprotons. Après la chambre de réaction, une série de déflecteurs électrostatiques écartent les antiprotons qui n'ont pas interagi et laissent les anti-hydrogènes, neutres, se propager en ligne droite jusqu’à un détecteur MCP (Multi-Channel Plate).

Le détecteur est aussi sensible à certains impacts de pions provenant d’annihilations d’antiprotons, ce qui constitue un bruit de fond. On enregistre donc aussi des données en mode « anti-p only », dans des conditions identiques pour les antiprotons mais sans injecter de positons, afin de comparer les mesures.

Fin 2022, après plusieurs mois d’ajustements, GBAR a pris des données sur 6 semaines, enregistrant environ 7000 pulses en mode « mixing » et 8500 en mode « anti-p only » . L’analyse est basée sur l’amplitude et le temps d’arrivée du signal électrique mesuré dans le détecteur. On attend que les anti-hydrogènes donnent de grands signaux, et que leur temps d’arrivée soit situé dans un intervalle compatible avec leur temps de vol à partir de leur production.

La figure ci-dessus montre pour tous les pulses la tension du plus grand signal en fonction de son temps d’arrivée. Les lignes verticales délimitent la fenêtre en temps attendue. On voit clairement un excès de grands signaux pour les pulses de mixing (en bleu) par rapport aux pulse de  "anti-p only"  (en orange). La signification statistique de cet excès est comprise entre 3 et 4 déviations standard suivant les critères de sélection utilisés.

 

Perspectives

Pour GBAR, après cette première étape essentielle, il s’agit maintenant d’augmenter le nombre d’atomes d’anti-hydrogène produits. Ceci permettra d’abord des mesures de précision sur les anti-hydrogènes eux-mêmes, en particulier un écart d'énergie entre deux niveaux atomiques bien particuliers : le décalage de Lamb. La comparaison avec la valeur connue pour l’atome d’hydrogène constitue un test de la symétrie matière-antimatière pour l’interaction électromagnétique, et toute différence, même minime, offrirait un signe de nouvelle physique.  

Suivra ensuite la production d’ions d’anti-hydrogène positif, qui nécessitera des performances encore accrues des deux faisceaux et de leur combinaison, et enfin la mise en œuvre du système optique (lasers) de refroidissement de ces ions et de photo-détachement d’un positon, pour observer enfin la chute libre d’un atome d’anti-hydrogène ultra-lent.

Plusieurs expériences en fonctionnement depuis plusieurs années à l’AD ont déjà produit des anti-hydrogènes. Certaines ont pu piéger ces atomes et effectuer des mesures de précision de leurs propriétés électromagnétiques, mais pas encore de leur comportement vis-à-vis de la gravité. La collaboration ALPHA s’est dotée d’une nouvelle installation pour cette mesure et pourrait indiquer assez tôt le signe de l’accélération, donc si l’antimatière monte au lieu de tomber ! AEgIS est aussi dans la course.

Mais à terme, la méthode envisagée par GBAR pourrait offrir une précision inégalée pour la comparaison entre antimatière et matière. En effet la vitesse des anti-hydrogènes pourrait être réduite suffisamment pour permettre d’utiliser une méthode d’interférences quantiques déjà mise en œuvre avec succès avec des neutrons ultra-lents. L’incertitude relative sur la mesure de l’accélération gravitationnelle pourrait alors être réduite à 10-3, voire mieux.

 

Plus d'informations sur le site web de GBAR

 

Contacts

Laszlo Liszkay

Bruno Mansoulié

Patrice Perez

 
#5149 - Màj : 12/11/2024

 

Retour en haut