La masse manquante de l’univers ou matière noire non-baryonique est probablement constituée de particules qui restent à découvrir. Massives et neutres, aux interactions très faibles, elles échappent toujours à une détection qui permettrait de les identifier. Alors que les photons conventionnels sont sans masse, la matière noire pourrait être faite de particules d’un type nouveau, semblables à des photons massifs. De nouveaux résultats expérimentaux sur la recherche de matière non-baryonique sous cette forme, obtenus par une équipe de trois membres de l’Irfu viennent d’être publiés dans Physical Review Letters [1].
Nouvelles particules au delà du modèle standard
La construction d’un modèle de matière noire nécessite d’ajouter des ingrédients au modèle standard de la physique des particules. En effet, il ne décrit pas de particule ayant les propriétés requises. Une telle modification peut être par exemple l’ajout d’une symétrie entre bosons et fermions (la supersymétrie) ou l’ajout de petites dimensions supplémentaires. Ces deux hypothèse conduisent à la prédiction des fameux WIMPs, recherchés dans les laboratoires souterrains, au LHC ou en astronomie gamma. D’autres types d’extensions du modèle, inspirés par la théorie des cordes, font apparaître des symétries U(1) additionnelles, conduisant à l’ajout de particules de type photons, dont certains peuvent être massifs et se mélanger avec le photon conventionnel.
Détecter ces hypothétiques photons massifs
S’ils constituent la matière noire dans laquelle nous baignons, ces hypothétiques photons massifs agiraient de façon semblable à un potentiel électrique oscillant. Ces particules interagiraient très faiblement avec la matière conventionnelle, de telle sorte que les surfaces des matériaux conducteurs émettraient un signal électromagnétique de très faible puissance [2].
L’expérience SHUKET (acronyme pour SearcH for U(1) darK matter with an Electromagnetic Telescope) a été conçue pour rechercher ce signal ténu. Le dispositif utilise le banc de test optique pour les miroirs d’un futur réseau de télescopes au sol (CTA) au sous-sol d'un bâtiment de l'Irfu. La partie potentiellement émettrice est constituée d’une portion de sphère de 1.2 m2 en aluminium, fabriquée par la PME Kerdry, également en charge de la production de miroirs pour le réseau CTA. Cette portion de sphère de 32 m de rayon de courbure est produite comme les miroirs de CTA, où le verre a été remplacé par du métal. Au niveau de la détection, SHUKET a utilisé des appareils qui n’étaient plus utilisés par d’autres expériences (antenne cornet, amplificateurs) et a bénéficié du prêt d’un analyseur de spectre par la société Rohde & Schwartz.
120 heures de prise de données ont permis de contraindre la puissance émise par la calotte sphérique au niveau de 10-22 W/Hz entre 5 GHz et 6.8 GHz. Un signal de matière non-baryonique dans cette gamme de fréquence se manifesterait par un excès de puissance constant dans le temps dont la forme spectrale est connue et dont la fréquence dépend de la masse du photon massif. Ceci permet de rejeter les signaux parasites qui seraient observés au dessus des fluctuations du bruit de fond et qui ne présentent pas ces caractéristiques.
La figure 3 montre les résidus de la différence de puissance mesurée sur une bande de fréquence étroite entre deux prises de données : en mode ON avec le système aligné et en mode OFF avec le système désaligné. Un signal de la forme de celui dessiné sur cette figure est recherché de façon systématique dans toutes les données. L’absence d’excès significatif de puissance attribuable à la matière noire conduit à contraindre par valeurs supérieures le paramètre de mélange χ entre les photons massifs et les photons conventionnels.
Les contraintes obtenues sont présentées sous la forme de courbes d’exclusion dans la figure 4. SHUKET a exclu des paramètres de mélange de l’ordre de 5x10-11 dans une gamme de masse entre 20.8 µeV et 28.3 µeV. Les modèles inspirés de théorie des cordes prévoient des paramètres de mélange compris entre 10-11 et 10-3 [3,4], sans toutefois donner d’indication claire sur la masse du nouveau photon.
La gamme de masse visée par SHUKET est en fait motivée par un autre candidat à la matière non-baryonique : l’axion. Ce dernier propose une solution commune à la masse manquante et à l’absence de violation de CP dans les interactions fortes, considérée comme non naturelle. En effet, l’intérêt principal de SHUKET est de préparer des expériences similaires avec la calotte sphérique plongée dans un fort champ magnétique dipolaire. Un tel dispositif est en cours d’étude, il permettra de poser des contraintes inédites sur les axions.
Contacts: Pierre Brun, Laurent Chevalier
[1] Direct Searches for Hidden-Photon Dark Matter with the SHUKET Experiment, P. Brun, L. Chevalier, C. Flouzat, Phys. Rev. Lett., 122, 2019801 (2019)
[2] Searching for WISPy Cold Dark Matter with a Dish Antenna, D. Horns, J. Jaeckel, A. Lindner, A. Lobanov, J. Redondo, A. Ringwald, JCAP 4, 016 (2013)
[3] Kinetic Mixing and the Supersymmetric Gauge Hierachy, K.R. Dienes, C. Kolda, J. March-Russel, Nucl. Phys. B 492, 104 (1997)
[4] Naturally Light Hidden Photons in LARGE Volume String Compactifications, M. Goodsell, J. Jaeckel, J. Redondo, A. Ringwald, JHEP 11, 027 (2009)
• Structure et évolution de l'Univers › Univers sombre Constituants élémentaires et symétries fondamentales
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)