Le pion, prédit par Yukawa en 1935 et découvert en 1947, est le premier d'une famille de particules appelées mésons, famille qui n'a pas cessé de s'agrandir depuis. Les mésons ordinaires sont composés d'un quark et d'un antiquark. La théorie de l'interaction forte prévoit également l'existence de mésons plus complexes, appelés exotiques. Activement recherchés depuis plus d'une dizaine d'années, leur existence n'a pas encore été formellement prouvée. L'expérience Compass au CERN, collaboration internationale dont fait partie une équipe du Service de physique nucléaire de l'Irfu, a mis en évidence un méson exotique lors d'une expérience préliminaire, gage de belles moissons de particules à venir. Le méson observé par les physiciens de COMPASS a une masse de 1660 MeV/c2 (Millions d'électronVolts/c2). Sa masse, quoique 12 fois plus grande que celle d'un pion, n'a rien d'extraordinaire. Ce sont ses propriétés quantiques qui ont intrigué les physiciens. Interdites pour les mésons ordinaires, ces propriétés indiquent qu'il s'agit bien d'un méson exotique. Ces résultats viennent d'être publiés dans la revue Physical Review Letters (PRL 104, 241803, 2010).
Pour rechercher les mésons exotiques, les physiciens de l'expérience COMPASS utilisent un faisceau de pions négatifs d'énergie incidente élevée, 190 GeV (Milliards d'électronVolts). Les pions du faisceau interagissent avec les noyaux des atomes de la cible (en l'occurrence du plomb) et créent de nouvelles particules. La plupart La plupart ne survivent que quelques infimes instants, avant de se transformer (les physiciens disent décroissent) en d'autres particules, qui peuvent être détectées. A cause de leur durée de vie très courte ces particules sont aussi appelées résonances. Leur existence peut toutefois être déduite et leur masse reconstruite en combinant les impulsions et masses de toutes les particules de décroissance. En effet, la célèbre relation d'Einstein reliant masse et énergie, E=mc2 nous apprend que lors d'une décroissance la masse de la résonnance initiale est intégralement transformée en énergies cinétiques et masses de ses particules de décroissance.
Les mésons sont des particules composites. Les modèles des quarks les représentent comme des états liés d'un quark et d'un antiquark. Pour expliquer la force qui lie les quarks, la théorie de l'interaction forte, ou Chromodynamique Quantique (QCD en anglais), a introduit des gluons. Or, d'après la théorie QCD un quark, un antiquark et un gluon peuvent se combiner et donner lieu à un méson particulier, dit exotique. L'objet résultant, s'il existe bien-sûr, devrait pouvoir être observé. La théorie QCD prévoit également l'existence de glueballs (littéralement boules de gluons), qui sont des mésons formés uniquement par des gluons. Les nouveaux mésons prédits par QCD ont souvent des propriétés quantiques « exotiques », interdites pour les mésons ordinaires. Ce sont ces propriétés exotiques qui permettent de les identifier.
Parmi les résonances possibles, la collaboration COMPASS a sélectionné celles qui décroissent en trois pions. La distribution des énergies du système à trois pions (ou spectre de masse), présentée sur la figure 1, montre plusieurs pics correspondant à des mésons (résonances) connus. La forme de ce spectre est donnée par la somme de toutes les résonances produites pendant les interactions successives tout au long de l'expérience. En l'absence d'autres hypothèses, le spectre de masse seul ne permet pas de bien séparer les mésons connus, et encore moins d'isoler les résonances exotiques recherchées.
Les physiciens ont également mesuré les vitesses et les angles d'émission des trois pions. Ces paramètres sont fortement influencés par les nombres quantiques des résonances crées lors de l'interaction. L'analyse des distributions angulaires, des corrélations entre pions et des modes de décroissance observés, permet ainsi de sélectionner les nombres quantiques des différentes résonances produites et de reconstituer des spectres de masse individuels. Les caractéristiques de chaque résonance - masse, largeur, intensité - peuvent alors être isolées. Bon nombre de mésons connus ont ainsi été identifiés. La figure 2 montre la distribution des énergies autour du méson (ou résonance) ordinaire, dont le nom est a2 et dont la masse est de 1320 MeV/c2. Le méson a2 apparait sur ce spectre beaucoup plus nettement que sur le spectre total de la figure 1.
L'analyse a aussi mis en évidence une nouvelle résonance (Figure 3), dont les nombres quantiques ne sont pas ceux des mésons ordinaires. Elle a une masse 1) de 1660 ± 10 MeV/c2, environ 12 fois plus élevée que celle du pion et une largeur - indiquant sa durée de vie très brève - de 269 ± 21 MeV/c2. L'intensité de la résonance, proportionnelle à sa contribution au spectre de masse total, est de 1.7 ± 0.2%. Cette résonance exotique est interprétée comme un méson hybride, constitué de 2 quarks et d'un gluon. Appelée л1(1600), elle n'avait pas encore observée avec un tel degré de certitude.
Avant d'être publié, un tel résultat doit être soigneusement examiné. Les physiciens de COMPASS ont effectué une simulation complète de l'appareillage et ont vérifié que les variations tolérées des systèmes de détection des particules n'ont pas d'influence sur le résultat final. Afin de mieux contrôler les erreurs possibles, ils ont généré des données virtuelles qu'ils ont ensuite analysées avec la même méthode que les données réelles. Les nombreux tests effectués ont tous montré que le méson hybride observé est bel et bien présent.
La résonance observée - résultat obtenu avec un faisceau de test, après seulement quatre jours de prise de données - fournit une preuve supplémentaire de l'existence des mésons hybrides, ignorés par le modèle des quarks simple, mais prédits par la théorie QCD. Ce résultat démontre surtout l'important potentiel de découverte de l'expérience COMPASS dans le domaine de la spectroscopie des mésons. En 2008 et 2009 COMPASS aura pris des données pendant environ 200 jours au total, avec un faisceau plus intense et avec un appareillage optimisé et enrichi de nouveaux détecteurs. Ces données sont actuellement en cours d'analyse. Le méson hybride л1(1600) sera t-il le premier d'une longue liste de mésons exotiques à découvrir ? La réponse ne devrait pas tarder.
1) Ne sont données ici que les erreurs statistiques. La méthode d'analyse utilisée aboutit à des incertitudes supplémentaires; ces incertitudes sont entre 2 et 3 fois plus élevées que les erreurs statistiques.
Stéphane PLATCHKOV (SPhN)
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