Des physiciens, ingénieurs et techniciens de l'Irfu mettent au point la prochaine génération de détecteurs de traces de type Micromegas. Les futures expériences de Compass au Cern et de Clas12 au Jefferson Lab, apportent de nouvelles contraintes de fonctionnement dont certaines sont telles que les détecteurs actuels ne peuvent les supporter tout en gardant leurs performances. Des tests de détecteurs comportant de nouvelles caractéristiques ont été réalisés sous faisceau au Cern. Les deux objectifs de ces tests ont été atteints : d'une part une réduction des taux de décharges, facteur limitant pour les expériences à haut flux comme Compass et d'autre part la vérification du bon fonctionnement dans des champs magnétiques intenses, nécessité pour les détecteurs gazeux du futur spectromètre Clas12. Plus généralement le développement de la technologie Micromegas est partie intégrante de la stratégie de l'Irfu avec la création récente d'un atelier de fabrication de ces détecteurs.
Compte tenu des problématiques communes, les deux groupes Compass et Clas ont partagé leur savoir-faire en menant une campagne expérimentale au Cern fin octobre 2009, avec le concours de la collaboration RD511.
. Un faisceau de pions chargés ou de muons de 150 GeV, d’une intensité pouvant atteindre 106 particules par déversement, a été utilisé. Les détecteurs étaient placés à l’intérieur d’un dipôle de 1,4 T dont le champ magnétique était transverse au champ électrique des détecteurs comme dans la configuration du dispositif Clas12.
Les détecteurs sont issus de la nouvelle technologie de fabrication Micromegas dite bulk. Des mesures de taux de décharges ont été effectuées à plusieurs valeurs de champ magnétique dans le domaine de fonctionnement de l’aimant.
Le principe de fonctionnement d’un détecteur Micromegas est rappelé sur la figure 2. Une particule ionisante traversant le détecteur ionise d’abord le gaz dans l’espace de dérive entre l’électrode de dérive et la micro-grille. Les électrons primaires issus de cette ionisation migrent vers l’espace d’amplification situé entre la micro-grille et les électrodes de lecture (pistes). Les électrons primaires sont alors multipliés par un effet d’avalanche dû au fort champ électrique puis collectés par les pistes donnant ainsi lieu à un signal électrique. Une limite de fonctionnement associée à ce type de détecteur est liée aux décharges électriques (claquages) pouvant avoir lieu dans l’espace d’amplification. Ces décharges conduisent à un aveuglement temporaire du détecteur de l’ordre de la milliseconde. A long terme, elles peuvent l’endommager et dégrader ses performances. Le taux de décharges augmente avec la tension de la micro-grille et donc le gain de la zone d’amplification. Un compromis doit alors être trouvé entre ce taux de décharges et un gain suffisant pour assurer une bonne efficacité de détection.
Pour la collaboration Compass, qui utilise déjà avec succès des détecteurs Micromegas, il s’agit de réduire le taux de décharges en vue d’une prochaine augmentation de la luminosité des faisceaux. Les prochains détecteurs devront être capables de fonctionner à des flux de particules de 5 MHz/cm², soit environ 10 fois plus élevés que ce qui a été accompli jusqu'à maintenant. De plus ils devront opérer dans des environnements très ionisants, ce qui induit des taux de décharges notables.
La première solution étudiée consiste en l’application de matériaux résistifs sur les pistes qui devrait diminuer localement la différence de potentiel entre la micro-grille et les pistes réduisant ainsi fortement l’amplitude des décharges. La seconde est l’ajout d’un étage de pré-amplification constitué par une feuille de GEM (Gas Electron Multiplier) placée entre l’électrode de dérive et la micro-grille qui permet l’utilisation d’un champ d’amplification moins élevé que celui d’un Micromegas seul et donc l’obtention d’une probabilité de décharge plus faible.
Après analyse des données recueillies pendant la campagne de tests au Cern, on peut conclure qu’il n’existe pas de différences de comportement en termes de décharge selon la technologie de fabrication utilisée, classique ou bulk. Ceci est illustré par la figure 4 présentant les taux de décharges en fonction du gain des détecteurs. Comme attendu, l’association Micromegas-GEM s’avère promet-teuse. En effet elle permet, pour un gain fixé, de diminuer la probabilité de décharge d’au moins un ordre de grandeur par rapport à un Micromegas seul tout en gardant similaires la résolution spatiale et l’efficacité de détection. Concernant les détecteurs de type résistif, la plupart des technologies étudiées ont montré une diminution de l’amplitude des décharges et de leur occurrence. Cependant cette technologie n’est pas encore arrivée à maturité, les performances observées n’étant pas stables dans le temps. Des études plus approfondies sont en cours pour mieux comprendre et maîtriser ce type de détecteur.
En ce qui concerne le futur spectromètre Clas12, des Micromegas courbes seront utilisés. Cette géométrie cylindrique, spécification cruciale du projet, n’est possible que grâce à l’émergence de la nouvelle technologie de fabrication Micromegas dite bulk où la micro-grille est intégrée au support mécanique des pistes. Elle est développée conjointement par le Cern et l’Irfu. Ces Micromegas opéreront en présence d’un champ magnétique intense (environ 4,5 T soit 100 000 fois le champ magnétique terrestre) transversal au champ électrique de dérive des électrons, une première pour ce type d’appareillage. Il était donc nécessaire d’étudier leur comportement en termes de décharge dans cette configuration magnétique.
L’analyse des tests ont montré que le champ magnétique transverse appliqué sur les détecteurs n’a pas d’effet sur les taux de claquages, le nombre de décharges par déversement étant une fonction constante du champ magnétique à haut champ de dérive (figure 6). Cette observation peut raisonnablement être extrapolée à 4,5 T, compte tenu du fait qu’un champ magnétique transverse n’a pas d’autre effet que d’étaler la charge spatialement d’un angle nommé angle de Lorentz. Ce résultat montre donc que la configuration magnétique du projet Clas12 dans laquelle seront utilisés des détecteurs Micromegas n’est pas un facteur limitant en termes de claquage.
L’aventure technologique continue avec de nouveaux tests cette année, notamment pour étudier la dépendance du taux de décharges en fonction de l’impulsion des particules incidentes. D’un point de vue plus général, la technologie de fabrication des Micromegas est en forte expansion à l’Irfu. Elle répond aux besoins des expériences de physique nucléaire et de physique des particules, et est prometteuse d’applications dans bien d’autres domaines. Le nouvel atelier de fabrication de MPGD (MicroPattern Gaseous Detectors) au Sedi permet maintenant de réaliser des prototypes de détecteurs. Cette nouvelle entité, alliée à une organisation transverse aux programmes, Miro2, et en liaison avec RD51, va permettre d’accroître notre réactivité pour concevoir les détecteurs gazeux du futur.
L’aventure scientifique qui s’appuiera entre autres sur les détecteurs issus de cette R&D est en marche avec des propositions d’expériences déjà acceptées, au Jefferson Lab pour l’expérience Clas12 et au Cern pour Compass.
1 La collaboration RD51 a pour objectif le développement de détecteurs gazeux à micro-pistes pour la recherche fondamentale et appliquée. Elle s’appuie sur 73 universités et laboratoires de recherche venant de 25 pays.
2 Miro, MIcromegas Research Organization, est un outil organisationnel dont s’est doté l’Irfu pour harmoniser les différents développements autour des détecteurs gazeux micro-structurés.
Contacts
Brahim MORENO (SPhN/Clas)
Stepan AUNE (Sédi)
Damien NEYRET (SPhN/Compass)
• Détection des rayonnements › Détecteurs pour la physique des 2 infinis Structure de la matière nucléaire › Structure en quarks et gluons des hadrons
• Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département de Physique Nucléaire (DPhN)
• Groupe Clas • Nucleon Structure Laboratory (LSN) - The internal structure of hadrons