Découvertes d’un nouveau type de sources
Un des objectifs majeurs de la mission INTEGRAL est d’établir la meilleure carte actuelle de la Galaxie dans le domaine des hautes énergies (rayons X et gamma), une véritable photographie de la Voie Lactée telle que pourraient l’apprécier des yeux sensibles au rayonnement gamma. Un an après la mise en orbite d’INTEGRAL, une partie de cette cartographie générale a déjà été effectuée. Les surprises et découvertes sont au rendez-vous: une nouvelle classe d’objets, indécelables jusqu’à présent, vient d’être mis en évidence. Ils pourraient s’agir de systèmes binaires contenant une étoile à neutrons ou un trou noir profondément enfouis dans le vent de matière d’une étoile compagnon. Ces sources « enfouies », indétectées jusqu’à présent, pourraient constituer une partie importante de l’émission de la Galaxie à hautes énergies.
L’atout d’INTEGRAL : masques codés et sources variables
Jusqu’aux énergies d’environ 10 keV, le rayonnement peut être concentré par des miroirs sur de petits détecteurs ce qui permet de construire des télescopes très sensibles, tels ceux à bord du satellite XMM/Newton, capables de détecter les sources les plus faibles. En revanche, au delà de 10 keV, les photons ne peuvent plus être réfléchis car trop puissants, ils traversent facilement les miroirs. On utilise alors comme sur INTEGRAL la technique des masques codés pour reconstituer les positions. Sans concentration du rayonnement, la sensibilité est alors moins bonne et l’on s’attend naturellement à ce que toutes les sources détectées par INTEGRAL aient déjà été détectées par les télescopes X ayant effectué une cartographie du ciel (Einstein, Rosat, XMM). Mais l’atout principal d’INTEGRAL est le champ de vue du masque codé, beaucoup plus grand que celui des télescopes à miroirs. Ce grand champ de vue permet de passer beaucoup plus de temps à observer une direction quelconque du ciel et augmente donc les chances de surprendre des sources variables dans différents états d’activité particulière. Les sources de rayons gamma sont en effet souvent imprévisibles et extrêmement variables. L’émission à haute énergie (rayons X et gamma) de certains systèmes présente même un cas extrême de variabilité qui n’est pas sans rappeler celle en lumière visible des novas « classiques », d’où leur nom de novas-X. Une surveillance régulière permet de les surprendre, d’étudier leur comportement et d’alerter également la communauté scientifique pour permettre leur étude par d’autres observatoires spatiaux ou des grands télescopes au sol. Cette stratégie a dans le passé montré toutes son efficacité avec notamment la découverte des fameux « microquasars » révélés par le télescope SIGMA. En moins d’un an, INTEGRAL a déjà pu découvrir près d’une quinzaine de sources dites « transitoires », non encore répertoriées dans les catalogues.
Un programme à long terme pour une procédure bien rodée
Pour effectuer cette recherche, une stratégie bien particulière a été mis au point. Depuis la fin des phases d’étalonnage des instruments embarqués, une fraction du temps d’observation de la mission INTEGRAL est dédiée à une cartographie de notre Galaxie. Un autre objectif de ce balayage systématique du ciel est d’accumuler sur les mêmes régions, un temps de pose [1] suffisamment long pour cartographier le ciel aux énergies très précises des raies nucléaires, signatures des éléments radioactifs.
La stratégie d’observation du plan galactique consiste en une série de clichés, prise tous les 12 jours (soit 4 révolutions du satellite) pendant 3 jours (soit une révolution). Chaque cliché, de 2200 secondes chacun, est décalé le long du plan galactique de 6 degrés. Le champ de vue des instruments IBIS et SPI étant respectivement de (9°x9°) et 16°, cette technique d’observation permet d’assurer un bon recouvrement entre chaque pose. Au total, plus de 2 millions de secondes d’observation (près de trente jours complets) doivent être consacrés à ce programme.
Mosaique d’images du Plan de la Galaxie observé par l’instrument IBIS/ISGRI aux énergies de 15-40 keV (en haut à gauche). La région explorée correspond approximativement à l’image correspondante de la Galaxie en lumière visible (en bas). Les détails obtenus par INTEGRAL sont illustrés par l’image d’une large région proche du centre galactique (carré rouge) qui montre un grand nombre de sources ponctuelles (à droite). (cliquer sur les images pour agrandir). Crédit CEA/SAp/Paizis.
IGRJ16318-4848, un nouveau type de sources enfouies dans des cocons
Le 29 janvier 2003, les scientifiques chargés de l’inspection systématique des données notent la présence dans le champ de vue de la caméra ISGRI d’une émission ne correspondant à aucune source connue. Le lendemain le satellite est pointé vers une autre source transitoire ayant montrée un regain d’activité. Par chance dans le champ de vue du télescope, la source détectée la veille, est aussi visible et se trouve ainsi confirmée. Sa position sur le ciel est alors déterminée et rapidement communiquée à la communauté scientifique. Cette procédure d’alerte permet au Centre des Opérations Scientifiques du satellite XMM/Newton de modifier son programme et de pointer quelques jours plus tard le satellite en direction de cette nouvelle source, dénommée depuis IGRJ16318-4848 (d’après ses coordonnées). Grâce à une pose de près de 8h, offrant une limite de sensibilité bien meilleure que celle atteinte par les catalogues de sources de rayons X, l’objet est détecté par XMM/Newton dans la boite d’erreur (l’ensemble des positions les plus probables) fournie par INTEGRAL et la précision atteinte dans sa localisation permet alors de déclencher des campagnes d’observation dans les domaines radio et infrarouge.
L’analyse combinée des spectres fournies par XMM-Newton dans le domaine des rayons X et par INTEGRAL révèle une forte absorption à basse énergie et la présence de très fortes raies en émission entre 6 et 8 keV dues au fer dans divers états d’ionisation. Ces observations illustrent l’excellente complémentarité des deux satellites. Les scientifiques débattent actuellement sur la nature exacte de la source IGRJ16318-4848. Il s’agit probablement d’un système binaire X de forte masse immergé dans une enveloppe dense, un sorte de cocon absorbant de manière très efficace les photons de basse énergie (d’où le déficit d’émission observé en dessous de 5 keV par XMM/Newton). IGRJ16318-4848 pourrait être ainsi le premier représentant d’une nouvelle population de sources galactiques fortement absorbées, non détectées jusqu’alors par les cartographies de la Galaxie en rayons X .
Notes
[1] Les temps de pose en astronomie gamma sont relativement longs. Ils se comptent souvent en jours ou en semaines, contrairement à l’astronomie en lumière visible où les durées d’exposition sont exprimées en minutes ou heures. Cette différence s’explique en partie par les différences de surfaces sensibles exposées mais surtout par la forte diminution du nombre de particules de lumière (photons) émis par les astres. On estime que le nombre de photons visibles émis est en moyenne dix milliards de fois supérieur aux photons gamma et un million de fois supérieur aux photons X.
[2] Système binaire X. Dans un système binaire X, une étoile est si proche d’un astre effondré, étoile à neutrons ou trou noir, qu’elle lui cède une partie de son enveloppe. L’énergie cinétique acquise alors par la matière tombant sur l’objet compact se transforme en chaleur puis en rayonnement X et gamma. La matière spiralante forme un disque d’accrétion autour de l’objet compact et le disque, chauffé par la chute de matière, atteint des températures de l’ordre de 100 millions de degrés au bord interne (le plus proche de l’objet compact) et émet du rayonnement X et gamma.
Publications :
« First results from the INTEGRAL Galactic plane scans »
C. Winkler, N. Gehrels, V. Schönfelder, J.-P. Roques, A.W. Strong, C. Wunderer, P. Ubertini, F. Lebrun, A. Bazzano, M. Del Santo, N. Lund, N.J. Westergaard, V. Beckmann, P. Kretschmar, S. Mereghetti, 2003, numéro spécial Astronomy and Astrophysics, (astro-ph/0307220)
« First Results from the IBIS/ISGRI Data Obtained During the Galactic Plane Scan. II. The Vela Region » J. Rodriguez, M. Del Santo, F. Lebrun, G. Belanger, M. Cadolle-Bel, F. Capitanio, P. David, L. Foschini, P. Goldoni, A. Goldwurm, A. Gros, P. Laurent, A. Paizis, J. Paul, R. Terrier, S. E. Shaw, P. Ubertini, 2003,
numéro spécial Astronomy and Astrophysics (astro-ph/0307526)
« INTEGRAL Observations of Eight Persistent Neutron Star Low Mass X-ray binaries »
A. Paizis, V. Beckmann, T.J.-L. Courvoisierinst, O. Vilhu, A. Lutovinov, K. Ebisawa, D. Hannikainen, M. Chernyakova, J. A. Zurita Heras, J. Rodriguez, A.A. Zdziarski, A. Bazzano, E. Kuulkers, T. Oosterbroek, F. Frontera, A. Gimenez, P. Goldoni, A. Santangelo, G.G.C. Palumbo, 2003, numéro spécial Astronomy and Astrophysics, (astro-ph/0308038)
« INTEGRAL discovery of a bright highly obscured galactic X-ray binary source IGR J16318-4848 » R. Walter, J. Rodriguez, L. Foschini, J. de Plaa, S. Corbel, T. J.-L. Courvoisier, P. R. den Hartog, F. Lebrun, A. N. Parmar, J. A. Tomsick, P. Ubertini, 2003, numéro spécial Astronomy and Astrophysics, (astro-ph/0309536)