L'écrivain Jules Verne avait rêvé d'un voyage au centre de la Terre. Aujourd'hui les astrophysiciens entreprennent un voyage encore plus spectaculaire, une descente vers le coeur du Soleil. Cette idée, longtemps considérée comme irréalisable, est en train de prendre corps grâce à une nouvelle technique "l'héliosismologie", l'écoute des vibrations du Soleil. Basés sur 1290 jours d'observations réalisés entre avril 1996 et octobre 1999 par l'expérience GOLF (Global Oscillations at Low Frequencies) à bord du satellite SoHO (Solar and Heliospheric Observatory), les derniers résultats de la recherche de vibrations particulières du Soleil, dites "ondes de gravité [1]" viennent d'être publiés par une équipe internationale dirigée par Sylvaine Turck-Chièze du Service d'Astrophysique du CEA-DAPNIA. Jamais découvertes auparavant, ces ondes se traduisent par de minuscules mouvements de seulement quelques millimètres par seconde, perdus dans le bouillonnement général de la surface du Soleil. Elles sont seules capables de nous renseigner sur la densité, la répartition de masse et la température qui règnent au centre même de la chaudière Soleil, précisément là où se déroulent les réactions nucléaires qui produisent toute l'énergie. Grâce à une stratégie très particulière, l'équipe de chercheurs a réussi à isoler plusieurs "candidats" qu'ils espèrent confirmer définitivement vers 2007, lors de la prochaine période calme du Soleil. Le centre du Soleil a commencé à livrer ses secrets.
Une exposition "Soleil, Mythes et Réalités", organisée à la Cité des Sciences de la Villette sous la présidence de Michel Cassé et avec le conseil scientifique de Sylvaine Turck-Chièze du Service d'Astrophysique du CEA-DAPNIA, se tient actuellement d'avril à janvier 2005. A cette occasion, un dossier complet sur les plus récents résultats scientifiques obtenus au CEA est disponible sur le site du Service d'Astrophysique.. |
Le satellite SoHO et ses 12 instruments en test avant le lancement en 1994, l'instrument GOLF se situe au centre du panneau gauche et continue d'observer le Soleil.
S'il ne fait pas de doutes que la longévité du Soleil est due aux réactions nucléaires centrales, ce n'est que très récemment que le coeur du Soleil est accessible à l'observation au point d'en mesurer la température centrale.
L'existence d'ondes pénétrant jusqu'au coeur du Soleil, contribue à faire du Soleil un véritable laboratoire de plasmas denses. La détection et la mesure des différentes oscillations (modes acoustiques et de gravité) est devenu désormais un moteur puissant pour renouveler notre vision des étoiles.
De statut d'étoile banale, le Soleil se place, aujourd'hui, au centre de nombreuses questions qu'adresse la physique d'aujourd'hui : connaissance des plasmas, formation des étoiles, rôle de la rotation, interaction Soleil-Terre, source de neutrinos….
Lorsque les chercheurs du service d'Astrophysique de Saclay décident de contribuer à la construction de l'instrument spatial de sismologie, GOLF à bord du satellite SoHO, dans les années 90, leur but est clair. Ils souhaitent contribuer à défricher les mystères du coeur nucléaire solaire. Ils rêvent de mesurer la température centrale par résonance spectrométrique en mesurant les fluctuations de vitesse des couches superficielles du Soleil. Ils espèrent aussi détecter les ondes de gravité, piégés dans la région radiative solaire.
Recherchées depuis plus de 30 ans, celles-ci représentent l'unique moyen de révéler la dynamique centrale, vestige de la formation du système solaire.
La quête est difficile car les mouvements dans le Soleil qui traduisent ces ondes sont infimes et les signaux attendus extrêmement faibles. Il convient d'extraire des vitesses périodiques, de seulement quelques mm/s à la surface du Soleil et ceci relève de l'exploit car des mouvements de plusieurs mètres/s sont générés en permanence dans cette région. Le Soleil est un astre bouillonnant et il se joue de lui-même en étant son propre perturbateur. Les détecteurs de GOLF, choisis pour être placés dans l'espace, sont les plus parfaits possibles mais c'est le Soleil lui-même qui est la première source d'un bruit de fond généré par les phénomènes magnétiques à sa surface. C'est pourquoi, seules la patience et l'astuce, peuvent venir à bout de ce duel du Soleil avec lui même.
Les données brutes (ici la mesure des vitesses de déplacement des couches solaires au cours du temps) ne permettent pas de deviner la richesse des oscillations solaires, mais ils montrent l'excitation aléatoire des ondes dites "de pression" ou acoustiques (cliquer pour agrandir).
Six ans après le lancement de SoHO, en 2001, la quasi-totalité des ondes de pression (dites aussi ondes acoustiques ou de mode-p) a été détectée grâce à la comparaison permanente des deux instruments sismiques GOLF et MDI qui utilisent des méthodes différentes; si les ondes sont cohérentes, elles se dégagent du bruit incohérent, lentement avec le temps.
Cela a permis dans un premier temps, aux équipes du CEA, d'approcher les conditions thermodynamiques de la région nucléaire et d'en déduire en particulier une mesure indirecte de l'efficacité de la réaction nucléaire principale au coeur du Soleil, la fusion "proton-proton".
Pour la première fois, il a été possible d'en déduire les flux de neutrinos, ces particules produites par milliards par chacune des réactions qui contribuent à la fusion du coeur. Les scientifiques du SAp ont pu ainsi montrer que les flux de neutrinos ne dépendent donc plus des hypothèses simplificatrices des modèles d'étoiles et peuvent se comparer directement aux neutrinos qui arrivent sur Terre et qui sont mesurés par des détecteurs comme le détecteur canadien Sudbury Neutrino Observatory (SNO). L'accord remarquable entre les prédictions du modèle dit "standard" du Soleil et les mesures de neutrinos a conduit à récompenser Raymond Davis Jr. et Masatoshi Koshiba par le prix Nobel de physique 2002. Le modèle standard du Soleil semblait triomphé, presque définitivement.
Pourtant l'intérieur du Soleil apparaît de moins en moins conforme aux hypothèses classiques, des circulations méridiennes sont mises en évidence dans la région convective, une région de cisaillement entre région radiative et convective joue un rôle essentiel dans l'organisation et l'amplification du champ magnétique, l'autre élément crucial étant la rotation différentielle de la région convective.
De même, la rotation, tel un corps solide, d'une bonne partie de la région radiative ne peut s'expliquer qu'en invoquant la présence d'un champ magnétique, empêchant une diffusion vers l'intérieur de cette région à fort cisaillement, la tachocline (voir "Découverte du satellite SoHO)" pour plus d'information).
Autant d'observations, que ne reproduit absolument pas le modèle standard du Soleil. En 2004, avec l'amélioration de la connaissance des abondances d'oxygène, carbone et azote, le modèle standard doit rendre les armes et laisser la place à des concepts plus riches.
Le champ magnétique et la rotation en sont les clés et c'est pourquoi nous commençons d'introduire le champ magnétique dans les modèles sismiques pour montrer que sa présence ne perturbe pas le bon accord entre prédictions et observations des neutrinos. En revanche, il ouvre de nouvelles frontières, l'espoir de révéler d'autres propriétés ignorées du neutrino, comme son moment magnétique, en continuant de détecter les différentes sources de neutrinos solaires avec une nouvelle génération de détecteurs et en recherchant d'éventuelles variabilités temporelles. Dans le domaine astrophysique, c'est le bilan énergétique qui est en cause, et ce sont les phénomènes de transport qui permettront d'unifier notre vision des étoiles jeunes aux supernovae.
La formation d'une étoile et l'interaction magnétique de l'étoile naissante avec son disque (cliquer pour agrandir).
Un apport fondamental dans cette percée se trouve dans la connaissance des ondes de gravité. Leur chasse est acharnée à bord du satellite SoHO. La stratégie choisie au CEA est totalement adaptée à notre connaissance de leurs propriétés mais aussi à celle déjà obtenue des propriétés moyennes du coeur nucléaire. La recherche démarrée en 1997, se poursuivra jusqu'aux dernières mesures de SoHO en 2007. Elle consiste à trouver un ensemble de composantes, compatibles avec notre connaissance du Soleil, de façon à aller jusqu'au seuil de détection atteignable avec l'instrument GOLF, c'est-à-dire des vitesses de 1 à 2 mm/s. Au SAp, les techniques d'analyse se sont perfectionnées pour utiliser celles qui sont les moins dépendantes de l'excitation aléatoire des ondes recherchées. Ensuite des analyses statistiques se sont mises en place pour estimer le degré de confiance des candidats obtenus. Dès 1997, des candidats sont apparus, ils ont même été détectés avec plus de 90% de confiance en accumulant 1200 jours d'observation. Mais le doute est encore là à cause de l'activité solaire qui a pollué l'information à partir de 1999.
L'activité magnétique solaire qui a eu son maximum aux alentours de 2001 perturbe notablement l'équilibre du Soleil et génère de violents mouvements de surface qui contribuent à masquer les très faibles fluctuations des ondes de gravité. Pourtant certains candidats modes de gravité sont toujours présents, mais leur apparence est différente de ce que la théorie simple prévoyait (des pics de durée de vie très grande et donc très stables). Ceux-ci apparaissent aujourd'hui compatibles avec une image beaucoup plus complexe de notre Soleil. Ils suggèrent un coeur central à rotation plus rapide que le reste de la région où se déroulent les réactions nucléaires (région radiative) et tournant autour d'un axe différent de ce que nous connaissons. La production de ces ondes nécessitent une structure plus complexe que prévue, soit liée à la déformation superficielle, soit liée à des variations internes de la tachocline ou d'autres phénomènes plus complexes.
Au SAp, les techniques d'analyse se sont perfectionnées pour utiliser celles qui sont les moins dépendantes de l'excitation aléatoire des ondes recherchées. Ensuite des analyses statistiques se sont mises en place pour estimer le degré de confiance des candidats obtenus. Dès 1997, des candidats sont apparus, ils ont même été détectés avec plus de 90% de confiance en accumulant 1200 jours d'observation. Mais le doute est encore là à cause de l'activité solaire qui a pollué l'information à partir de 1999.
L'activité magnétique solaire qui a eu son maximum aux alentours de 2001 perturbe notablement l'équilibre du Soleil et génère de violents mouvements de surface qui contribuent à masquer les très faibles fluctuations des ondes de gravité. Pourtant certains candidats modes de gravité sont toujours présents, mais leur apparence est différente de ce que la théorie simple prévoyait (des pics de durée de vie très grande et donc très stables). Ceux-ci apparaissent aujourd'hui compatibles avec une image beaucoup plus complexe de notre Soleil. Ils suggèrent un coeur central à rotation plus rapide que le reste de la région où se déroulent les réactions nucléaires (région radiative) et tournant autour d'un axe différent de ce que nous connaissons. La production de ces ondes nécessitent une structure plus complexe que prévue, soit liée à la déformation superficielle, soit liée à des variations internes de la tachocline ou d'autres phénomènes plus complexes.
Les ondes de gravité du Soleil ont donc peut-être été détectées pour la première fois par SoHO. Les données sismiques de GOLF sont aujourd'hui compatibles avec l'observation d'un vestige central d'un Soleil jeune et très actif. Mais les scientifiques attendent désormais la prochaine période calme du Soleil, vers 2006 pour poursuivre leur étude à bord de SoHO mais aussi grâce à un nouvel instrument qui améliorerait encore notre capacité d'investigation. Celui-ci est en préparation dans un cadre international. Les principaux acteurs se situent au DAPNIA, à travers une collaboration SAp, SEDI, SIS. Le projet s'appelle GOLF-NG, il devra combattre le bruit induit par le Soleil lui-même, qui est le principal responsable de la limitation « toute relative » de détection des modes de gravité.
Publications :
Ondes de gravité
"Looking for gravity mode multiplets with the GOLF experiment aboard SoHO"
Turck-Chièze, S., Garcia, R.A., Couvidat, S., Ulrich, R.K., Bertello, L., Varadi, F., Kosovichev, A.G., Gabriel, A.H., Berthomieu, G., Brun, A.S., Lopes, I, Palle, P.L., Provost, J., Robillot, J.M. and Roca-Cortès, T.
publié dans Astrophysical Journal, vol. 604, p. 455, mars 2004 (article en format PDF, 1.88 Mo)
"A search for g-modes in the GOLF data"
Gabriel, A., Baudin, F., Boumier, P., Garcia, R. A., Turck-Chièze, S., Appourchaux, T., Bertello, L., Berthomieu, G., Charra, J., Gough, D.O., Palle, P.L., Provost, J., Renaud, C., Robillot, J.M. and Roca-Cortès, T., Thiery, S. and Ulrich, R.K.
publié dans Astronomy & Astrophysics, vol., 390, p. 1119, 2002
Neutrinos solaires
"Solar seismic models and the neutrino predictions"
Couvidat S., Turck-Chièze S., Kosovichev A.
publié dans Astrophysical Journal, vol. 599, p. 1434, décembre 2003
voir Actualités scientifiques: Les 5 ans du satellite SoHO (01/05/2001)
Fait marquant SAp : La rotation de l'interieur du Soleil (16/09/2003)
Le Soleil au SAp
voir aussi : "Le Soleil et la Terre", Les Clefs du CEA, n°49 (printemps 2004)
"Exposition Soleil, Mythes et Réalités, Cité des Sciences" (Avril 2004-Janvier 2005)
"La recherche numéro hors série N. 15" (Mars-Avril 2004)
Notes
[1] Il existe deux types d’oscillations solaires, les ondes de pression ( dites de mode-p, pour pression) et les ondes de gravité (dites de mode-g, pour gravité). Les premières sont des fluctuations de pression, analogues aux ondes sonores. Dans le Soleil, elles se traduisent des oscillations à la surface du Soleil d’environ 15 cm/s, facilement observables avec des périodes comprises entre 3 minutes et 1 heure. Elles fournissent des informations sur les couches externes du soleil (zone convective). Les ondes de gravité sont générées par des mouvements d'oscillation du gaz au coeur du Soleil (région radiative). Elles ont des périodes plus longues (au delà de 40 minutes) et se propagent vers l'extérieur. Leur amplitude, très atténuée à la surface du Soleil, de l'ordre de quelques millimètres par seconde, les rend difficilement observables.