Trou noir ou galaxie, qui donne naissance à l'autre ? Beaucoup des grandes galaxies de l'Univers possèdent un trou noir supermassif en leur centre. Mais qui vient en premier ? Ce trou noir qui dévore frénétiquement la matière qui l'entoure ou l'immense galaxie qui l'héberge ? Une équipe européenne conduite par David Elbaz du Service d'Astrophysique du CEA-IRFU, vient de découvrir une interaction spectaculaire entre un quasar et une galaxie grâce a des observations réalisées avec la caméra VISIR construite au CEA-Irfu et installée sur le Very Large Telescope de l'Observatoire Européen Austral (ESO) au Chili. Un jet issu du quasar déclenche une forte formation d'étoiles dans la galaxie (voir l'animation). Un nouveau scénario semble donc émerger : les trous noirs pourraient « construire » la galaxie qui les héberge. Cette surprenante découverte est publiée dans la revue Astronomy & Astrophysics du 30 novembre 2009.
La plupart des galaxies de l'univers local contient en son centre un trou noir supermassif, une concentration de masse pouvant atteindre plusieurs centaines de millions de fois la masse du Soleil. Contrairement à celui de taille plus modeste qui est situé au centre de notre Galaxie,la Voie Lactée, et qui parait relativement inactif, ces trous noirs supermassifs sont particulièrement spectaculaires. Ils avalent des quantités prodigieuses de matière et en rejetent une fraction sous forme de puissants jets de matière. Le processus génère alors la libération d'une énorme quantité d'énergie sur tout le spectre électromagnétique.
« La question actuelle la plus débattue est de savoir qui vient en premier de l'œuf et de la poule, de la galaxie ou de son trou noir central" explique David Elbaz. "Notre étude suggère que les trous noirs supermassifs peuvent provoquer de véritables flambées de formation d'étoiles, voire la naissance de galaxies entières. Cette interaction quasar-galaxie pourrait aussi expliquer pourquoi les galaxies abritant les trous noirs les plus massifs sont aussi celles qui ont le plus d'étoiles ».
C'est en observant attentivement un objet très particulier, le quasar HE0450-2958, situé à environ 3,2 milliards d'années-lumière de la Terre, que les équipes sont parvenues à ces étonnantes conclusions. Le terme "Quasar" pour "Quasi-star" (appelés aussi "QSO" pour "Quasi-Stellar Objects") désigne un noyau actif de galaxie particulièrement spectaculaire : son cœur brille d'un éclat tellement intense qu'il éclipse la luminosité de la galaxie qui l'héberge. En son centre, un trou noir supermassif est en train d'engloutir de grandes quantités de matière. Seul problème, dans le cas du quasar HE0450-2958, aucune galaxie hôte n'a pu être détectée à ce jour. Il s'agirait donc d'un cas unique de « quasar nu ». Pensant que la galaxie hôte pouvait se cacher derrière une grande quantité de poussières, les astrophysiciens ont utilisé la caméra en infrarouge moyen VISIR, réalisée par le CEA-Irfu, qui équipe le Very Large Telescope (VLT) de l'ESO (Observatoire Européen Austral). Ce qu'ils ont pu observer est finalement bien éloigné de l'hypothèse initiale, mais bien plus surprenant : aucun nuage de poussière n'a pu être détecté autour du quasar. En revanche, ils ont découvert que la galaxie la plus proche du quasar produisait des étoiles à un rythme effréné.
Image de la région du quasar HE0450-2958 situé à environ 3,2 milliards d'année-lumière de la Terre.
A gauche, l'image en lumière visible obtenue par la caméra ACS du télescope spatial Hubble ne révèle aucune trace de galaxie autour du quasar mais une galaxie compagnon très proche. A droite, les contours, délimitant l'intensité de la lumière infrarouge (à 8.9 microns) mesurée par la caméra VISIR au foyer du télescope VLT (Chili), sont superposés sur l'image visible. L'émission infrarouge importante de la galaxie compagnon, située dans la direction du jet du quasar, est le signe d'une formation d'étoiles importante induite par le quasar. Crédit CEA/SAp
Aucune trace d'étoiles n'apparaît dans le voisinage immédiat du quasar, mais la galaxie « compagnon » située très proche du quasar, apparait très lumineuse en infrarouge, signe d'un grand nombre d'étoiles très jeunes et lumineuses. Au sein de cette galaxie, les étoiles se forment à un taux de près de 350 masses solaires par an, soit à un rythme cent fois supérieur à celui que l'on trouve dans une galaxie typique de l'univers local.
Les astrophysiciens ont en outre mis en évidence un pont de matière entre le quasar et sa galaxie compagnon: la matière semble s'écouler depuis le trou noir du quasar vers cette dernière à très grande vitesse. Or, ce pont se trouve à l'endroit même où le jet du quasar, flot de particules très énergétiques éjectées par le trou noir, a été détecté en ondes radio. Cette injection de matière et d'énergie dans la galaxie suggère donc que c'est le quasar lui-même qui provoque la flambée de formation d'étoiles. Dans un tel scénario, la galaxie aurait évolué à partir d'un nuage de gaz heurté par le jet énergétique émergeant du quasar.
Image composite du quasar HE0450-2958 avec l'émission lumineuse visible (en jaune, par le télescope spatial Hubble de la NASA) et infrarouge moyen (en bleu, par la caméra VISIR du VLT à l'ESO). Entre le quasar, situé au centre de l'image, et en bas à gauche, la galaxie proche, est visible le pont de lumière infrarouge et de matière qui relie le quasar à la galaxie. Voir aussi l'animation. Crédit ESO.
« Le 'quasar nu' et sa galaxie compagnon sont destinés à fusionner dans le futur », explique David Elbaz : « le quasar ne se déplace qu'à une dizaine de milliers de kilomètres/heure de la galaxie et les deux objets ne sont séparés que par 22 000 années-lumière. Que le quasar soit "nu" ou non, il finira bien par être vêtu quand il fusionnera avec la galaxie compagnon dont il aura largement contribué à former les étoiles ».
Les quasars pourraient donc déclencher la formation des galaxies qui deviennent par la suite leur hôte. Pour tester ce nouveau paradigme révolutionnaire, les astrophysiciens s'attelent désormais à chercher d'autres objets similaires. Les générations futures d'instruments comme le James Webb Space Telescope, de la NASA/ESA, auquel contribue le Service d'Astrophysique du CEA-Irfu, ou encore l'ensemble d'antennes millimétriques ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) et l'E-ELT (European Extremely Large Telescope) auquel le Service d'Astrophysique du CEA-IRFU envisage de participer, permettront de repérer de tels objets jusqu'à de bien plus grandes distances de nous. Les étudier en détail permettra alors de vérifier la connexion qui existe entre la formation des trous noirs supermassifs et la formation des galaxies dans l'univers lointain.
Contact :
« Quasar induced galaxy formation: a new paradigm?»
D. Elbaz [1] , K. Jahnke [2] , E. Pantin [1] , D. Le Borgne [3] , and G. Letawe [4]
[1] Service d’Astrophysique CEA-Irfu, Laboratoire AIM, CEA/DSM-CNRS-Université Paris Diderot
[2] Max-Planck-Institut für Astronomie, Heidelberg, Germany
[3] UPMC Univ. Paris 06, UMR7095, Institut d’Astrophysique de Paris
[4] Institut d’Astrophysique et Géophysique, Université de Liège, Belgium
publié dans la revue Astronomy & Astrophysics du 30 novembre 2009
pour une version électronique (format PDF)
- voir : le communiqué de presse CEA (30 novembre 2009)
le communiqué de presse ESO (30 novembre 2009, en anglais)
"The Quasar That Built a Galaxy" dans Science (1 décembre 2009)
- voir aussi : Une nouvelle théorie pour la formation des galaxies (22 janvier 2009)
Existe-t-il des galaxies sans étoiles ? (15 novembre 2007)
La mémoire fossile des rencontres de galaxies (11 avril 2003)
Rédaction : Jean-Marc Bonnet-Bidaud, D. Elbaz, M. Vandermersch
• Structure et évolution de l'Univers › Evolution des grandes structures et des galaxies
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
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