Des simulations numériques réalisées par une équipe d'astrophysiciens du laboratoire AIM-CEA Saclay (Université Paris Diderot, CEA, CNRS) et de l'observatoire de Nice montrent, à partir des observations effectuées avec la mission Cassini, comment certaines petites lunes de Saturne se forment encore actuellement à partir de la matière des anneaux de Saturne, plusieurs milliards d'années après la fin de la formation des planètes et satellites du Système solaire. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature du 10 juin 2010 .
La mission CASSINI (NASA), en orbite autour de Saturne depuis 2004, observe à haute résolution la planète Saturne, ses satellites et son système d'anneaux. Les spectaculaires anneaux denses de Saturne ont été découverts dès 1610 par l'astronome italien Galilée. Ils s'étendent de 70 000 km à 138 000 km de la planète (soit un peu moins de la moitié de la distance Terre-Lune) et sont d'une incroyable finesse, moins de quelques dizaines de mètres d'épaisseur. Situés juste à l'extérieur de la ceinture principale d'anneaux, une myriade de petits satellites - Pan, Atlas, Prométhée, Pandore, Janus, Epiméthée - orbitent bien au-delà, des anneaux principaux, entre 138 000 km et 150 000 km et sont donc bien distincts de ce système d'anneaux. Grâce à la qualité des images de Cassini et malgré la petite taille des satellites (seulement quelques kilomètres de diamètre), leurs formes étonnantes ont été révélées. Ils sont souvent de forme allongée qui les fait parfois ressembler à des "soucoupes volantes".
Ces images ont totalement surpris les scientifiques car cette myriade de micro-satellites est actuellement relativement proche de Saturne. Ils sont situés dans une zone où l'interaction avec les anneaux devrait les faire "migrer" rapidement vers l'exterieur, doublant leur distance à Saturne tous les dix millions d'années. D'autre part, ils restent très brillants, d'une couleur très proche de celle des anneaux, qui sont eux constitués de glace d'eau très réfléchissante ; or ils devraient subir le bombardement météoritique qui noircit les surfaces de corps du Système solaire.
Tout semble donc suggérer que ces petites lunes de Saturne sont beaucoup plus jeunes que prévu. L'ensemble des autres satellites naturels des planètes du Système solaire - comme la Lune satellite de la Terre, ou le gros satelllite de Saturne, Titan - se sont formés eux il y a plusieurs milliards d'années et leur processus de formation est depuis longtemps achevé. Quelle a été l'évolution des micro-satellites et pourquoi apparaissent-ils si différents ?
C'est grâce à des simulations numériques modélisant l'évolution fluide des anneaux et la couplant aux processus de formation des satellites, que les chercheurs ont pu éclaircir ce mystère. Ils ont montré que les petits satellites de Saturne sont en fait constitués du matériau-même des anneaux de Saturne et apparaissent comme des « bouts » d'anneaux condensés en agrégats, il y a quelques millions ou dizaines de millions d'années seulement. En effet, les anneaux de Saturne, comme tout disque astrophysique, s'étalent sous l'effet de leur viscosité. Les intenses forces de marées -c'est-à-dire les interactions entre la planète et les anneaux- maintiennent les anneaux stables. Au-delà d'une certaine distance, ils deviennent instables et se condensent spontanément en agrégats. La zone de transition s'appelle « la limite de Roche »[1] et se trouve justement aux alentours de 138 000 km, là où les anneaux principaux s'arrêtent et où l'on commence à trouver des satellites. Quand les anneaux s'étalent et franchissent cette frontière, des agrégats de matière se détachent et se forment en petits satellites en quelques centaines d'heures. Ces petits agrégats se rencontrent et peuvent ensuite fusionner et former des corps plus gros (voir l'animation). Les chercheurs ont montré que ce processus rendait compte à la fois des masses, des tailles mais aussi de l'organisation orbitale des petits satellites de Saturne. Ce processus très lent, toujours à l'œuvre au bord externe des anneaux, explique également la faible densité et la composition chimique des satellites, proche de celle des anneaux.
La masse et la distribution en distance des différents petits satellites de Saturne, proches des anneaux. La position des bords externes des anneaux est marquée par les lignes pointillées verticales. Les plus petits satellites sont distribués en taille et en distance (ligne bleue) de façon très différente des plus gros satellites (ligne rouge). Crédits CEA-SAp
« Ce nouveau mécanisme de formation de satellites pourrait avoir d'autres applications ailleurs dans le Système solaire : notre Lune pourrait très bien avoir été formée de manière similaire par exemple, à partir du disque proto-lunaire», indique Sébastien Charnoz, du laboratoire AIM Paris-Saclay. « Ces travaux montrent que les processus de formation de nouveaux objets ne sont pas achevés dans le Système solaire, et qu'au bord des anneaux principaux de Saturne, en ce moment même, des corps sont en train de naitre.» Le même processus explique également l'origine de l'anneau F de Saturne. Riche en poussières et situé juste au-delà des anneau principaux (à 3000 km), il se trouve entre les orbites de Prométhée et Pandore, deux des petits satellites. Cet anneau très dynamique ne serait autre que la signature « poussiéreuse » de ce processus. Même si l'anneau F pourrait avoir toujours existé (car régulièrement réalimenté en petites lunes régulièrement formées), le matériau dont il est constitué ne doit pas avoir plus de dix millions d'années.
Contact : (CEA-AIM)
« Recent origin of Saturn’s moonlets and F-ring from rings viscous spreading»
Sébastien CHARNOZ, Julien SALMON, Aurélien CRID, Nature vol. 465, 10 juin 2010, pour une version électronique fichier PDF
(1) Equipe AIM, Université Paris Diderot /CEA/CNRS, (2) University of Cambridge (UK) et Laboratoire Cassiopée, Observatoire de la Côte d’Azur
Voir : le texte du communiqué de presse CEA-CNRS-Univ Paris-Diderot
Voir également : - "Soucoupes volantes autour de Saturne" (7 décembre 2007)
: - "Spirale dans les anneaux de Saturne" (24 novembre 2005)
Notes :
[1] Limite de Roche, du nom de l'astronome et mathématicien français Édouard Roche qui en a découvert l'existence en 1850. C'est la distance limite en deçà de laquelle l'attraction gravitationnelle d'une planète devient supérieure à la force de cohésion d'un satellite en orbite. En dessous de cette limite, aucun satellite ne peut subsister sans être détruit. Au delà, l'action gravitationnelle de la planète - appelée aussi effet de marée -diminue et le satellite peut se maintenir intact.
Rédaction : Sébastien Charnoz, Stéphane Laveissière, Jean-Marc Bonnet-Bidaud
• Structure et évolution de l'Univers › Planètes, formation et dynamique des étoiles, milieu interstellaire
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM