Une équipe dirigée par Philippe André du Service d'Astrophysique-Laboratoire AIM du CEA-Irfu vient de découvrir la toute première étape de la formation d'une naine brune, une de ces étoiles de très faible masse, à peine plus massive qu'une planète. Plusieurs centaines de ces naines brunes sont aujourd'hui connues mais jusqu'ici jamais il n'avait été possible d'observer le début de la formation de ces micro-étoiles. Grâce à l'interféromètre de l'IRAM observant en ondes millimétriques, les scientifiques ont pu localiser une condensation de gaz et de poussières dont la température est à peine 10 degrés au-dessus du zéro absolu et la masse seulement 2% de celle du Soleil. Ces caractéristiques sont exactement celles attendues pour que se forme une naine brune. La découverte de cette première pré naine brune est publiée dans la revue Science du 6 juillet 2012.
Normalement des astres de toute masse peuvent se former dans l'univers mais les astronomes ont pu déterminer une frontière entre étoiles et planètes. Lorsque la masse de l'astre est inférieure à 8% celle du Soleil (soit seulement 80 fois la masse de Jupiter), l'astre ne devient pas assez chaud en son centre pour déclencher la réaction de fusion de l'hydrogène qui est la source d'énergie des étoiles. En revanche, si la masse est supérieure à environ 13 fois la masse de Jupiter, l'astre peut néanmoins réaliser la fusion du deutérium, une variété plus lourde de l'hydrogène. Le domaine de masse entre 13 et 80 fois la masse de Jupiter définit ainsi les naines brunes, des astres ni vraiment étoiles, ni vraiment planètes.
Ces étoiles rayonnent tellement peu qu'il a fallu attendre 1995 pour que la première, baptisée Teide-1, soit détectée au coeur de l'amas des Pleiades par son émission infrarouge. Depuis plusieurs centaines ont été découvertes par de grands sondages infrarouges mais jusqu'ici un grand mystère régnait sur le mécanisme exact de leur formation.
Deux scénarios étaient opposés : soit les naines brunes pouvaient se former comme les étoiles par effondrement direct d'un fragment de nuage de petite masse, soit elles se formaient par fragmentation au sein d'un nuage déjà effondré ou à l'intérieur d'un disque dont elles pouvaient éventuellement être éjectées. La détection de naines brunes flottant librement dans l'espace pouvait sembler indirectement favoriser cette dernière hypothèse mais aucun consensus ne pouvait se dégager car personne n'avait pu encore observer directement le berceau de ces micro-étoiles.
Les naines brunes sont des astres intermédiaires entre les étoiles et les planètes. Le scénario de leur formation est encore mal connu. Elles pourraient se former soit comme les autres étoiles par effondrement direct d'un fragment de nuage de petite masse, soit par un mécanisme plus proche de celui des planètes, par fragmentation à l'intérieur d'un disque de matière (Crédit P. Huey/Science magazine)
C'est en utilisant le grand interféromètre de l'IRAM (Institut de Radioastronomie Millimétrique) au Plateau de Bure (Hautes-Alpes, France), constitué d'un ensemble de six antennes mobiles de 15 mètres de diamètre opérant dans le domaine des ondes millimétriques, que les chercheurs ont découvert une condensation de gaz et de poussières particulière au sein d'un vaste région de formation d'étoiles, le nuage sombre Rho-Ophiuchi, situé à environ 450 années lumière de la Terre.
"Nous avions choisi une zone particulière d'Ophiuchus, la région L1688, car il y règne une pression supplémentaire qui pouvait favoriser la formation d'une naine brune" rappelle Philippe André du Service d'Astrophysique-Laboratoire AIM en ajoutant "de plus une source non résolue en ondes sub-millimétriques y avait déjà été découverte qui nous paraissait un candidat intéressant".
Grâce à l'interféromètre de l'IRAM, les scientifiques ont pu obtenir une image à haute résolution de cette source nommée Oph B-11 dans la gamme des ondes millimétriques qui permettent de percer les nuages sombres. La taille qui a pu être mesurée correspond à environ 140 Unités Astronomiques (UA)[1], soit la taille approximative du Système solaire, et est dans tous les cas inférieure à 460 UA. Comme cette source n'est pas détectée dans l'infrarouge moyen et lointain notamment par le satellite européen Herschel, les astronomes en ont déduit que sa température n'excédait pas 10K (K pour degré Kelvin soit -263°C). Ces caractéristiques permettent de déduire que la masse du nuage ne dépasse pas 2 à 3% la masse du Soleil, exactement le domaine des naines brunes.
Image du fragment de nuage Oph B-11 dans la constellation Ophiuchus, obtenue par l'interféromètre IRAM à la longueur d'onde de 3,2mm. Les contours indiquent l'intensité et la dimension de la source. L'ellipse bleue, en haut à gauche, indique la résolution de l'instrument et la croix marque la coïncidence avec une source déjà détectée en ondes sub-millimétriques. Crédits P. André/CEA-SAP
"C'est la première fois que nous découvrons un fragment de nuage suffisamment compact et dense pour former une naine brune par effondrement exactement comme se forment les étoiles plus massives" souligne Philippe André. Cette découverte démontre que certaines naines brunes au moins se forment exactement comme les autres étoiles. Pourtant cette hypothèse n'était pas particulièrement favorisée car la gravité d'un fragment de nuage de très faible masse semblait insuffisante pour provoquer son effondrement. Les chercheurs imaginent aujourd'hui que d'autres forces que la gravité pourraient contribuer aux phases précoces de la formation des étoiles, notamment les mouvements turbulents de la matière au sein des nuages sombres. Cette turbulence pourrait être également responsable des filaments de matière découverts récemment dans ces nuages par le satellite Herschel.
Les naines brunes qui sont des astres très peu brillants commencent tout juste à être étudiées. On estime leur nombre dans la galaxie entre 50 à 100 milliards, soit de 20 à 40% des astres de la Galaxie, et il est possible qu'une de ces naines brunes encore non détectées soit plus près de la Terre que la plus proche étoile actuellement connue, Proxima du Centaure.
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Publication :
“Interferometric Identification of a Pre-Brown Dwarf”
Philippe André (1), Derek Ward-Thompson (2), Jane Greaves (3)
(1) Service d’Astrophysique- Laboratoire AIM, CEA-IRFU, France.
(2) University of Central Lancashire, UK
(3) Physics and Astronomy, University of St Andrews, St Andrews, UK
publié dans la revue Science, 6 Juillet 2012
pour une version électronique [1]: fichier PDF (3.5 Mo)
Voir l'article "Perspectives" de la revue Science
voir aussi : Le communiqué de presse CEA
voir : Le communiqué de presse CNRS-INSU
: le communiqué de l'Institut de Radioastronomie Millimétrique (6 juillet 2012)
Voir aussi :
- Bouleversement dans la compréhension des étoiles (Dossier presse 29 avril 2011) |
- Premier anniversaire pour le satellite Herschel (6 mai 2010) |
- Images d'étoiles avant leur naissance (17 décembre 2009) |
- Cascade de naissances dans les nuages sombres (30 septembre 2009) |
Notes :
[1] UA pour "Unité Astronomique" qui désigne la distance moyenne de la Terre au Soleil soit environ 150 millions de kilomètres
[2] This is the author's version of te work. It is posted here by permission of the AAAS for personal use, not for redistribution. The definitive version was published in Science (Vol 337, 6 July 2012), doi:10.1126/science.1222602."
Rédaction: J.M. Bonnet-Bidaud
• Structure et évolution de l'Univers › Planètes, formation et dynamique des étoiles, milieu interstellaire
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
• Formation des Etoiles et du Milieu Interstellaire
• HERSCHEL