L’activité sporadique et intense des magnetars, des étoiles à neutrons en rotation, a pour origine selon le modèle couramment admis leur champ magnétique extrême. Effectivement calculé comme tel dans la plupart des sources, le magnetar SGR 0418+5729 a néanmoins récemment indiqué une valeur particulièrement modeste. Une équipe européenne incluant Diego Götz, chercheur au laboratoire AIM/Service d'Astrophysique du CEA-Irfu, vient de détecter dans cette source une faible raie d’absorption en rayons X qui varie régulièrement. Interprétée comme un effet de couplage entre un plasma de particules chargées et un flux de rayonnement provenant d’un point chaud de la surface de l’étoile en rotation, cette observation requiert un champ magnétique extrême, parmi les plus intenses de l’univers. Ce résultat, publié dans la revue Nature du 15 août 2013, prouve la présence dans ces objets de plusieurs composantes de champ magnétique, d’intensité différentes.
Mi-2009, le satellite Fermi détecte une forte activité provenant d’une source inconnue. Une série d’observations par des télescopes à rayons X classe ensuite cet objet, baptisé SGR 0418+5729, parmi les magnetars ou plus exactement dans une sous-famille des magnetars, les Soft Gamma-ray Repeater (SGR ou répéteurs de sursauts gamma mou). Les magnetars sont comme les pulsars des étoiles à neutrons en rotation, restes compacts de l’explosion d’une étoile massive. Ils se différencient des pulsars par une activité sporadique, une période de rotation plus lente et un champ magnétique plus puissant. Mais l’intensité du champ de SGR 0418+5729 ou plus exactement de sa composante dipolaire (en forme de dipôle à l’image du champ magnétique qui entoure la Terre), une mesure indirecte qui repose sur le ralentissement de la période de rotation de l’étoile, ne répond pas à ce dernier critère (lire ici pour en savoir plus).
Les résultats présentés par l’équipe s’appuient ici sur une analyse originale des données obtenues par le satellite de l’ESA XMM-Newton. La grande surface collectrice de ce télescope a en effet permis d’examiner en détail la répartition en énergie des photons X recueillis en fonction de la période de rotation de l’étoile. Une structure apparaît dans cette représentation (voir figure ci-dessous). Elle correspond à un déficit, périodique, à une énergie située autour de 2 keV. Cette raie est interprétée comme une raie dite de résonnance cyclotron, signature de l'interaction dans un champ magnétique entre des particules chargées (ici en l’occurrence des protons) et un flux de rayonnement X. Les raies cyclotron ont déjà été détectées dans plusieurs types d’étoiles à neutrons mais c’est la première fois qu’une variabilité aussi forte est observée. Le champ magnétique nécessaire pour rendre compte de cette observation indique une valeur remarquable.
Dans ce diagramme, l’axe horizontal reproduit la phase de la période de rotation de l’étoile (une rotation complète soit pour 9.1 secondes dans le cas de SGR 0418+5729 correspond à une phase passant de la valeur 0 à 1), l’axe vertical l’énergie des photons X détectés par XMM-Newton, regroupés ici par petits paquets d’énergie de 0.1 keV. Le niveau de gris correspond à l’intensité du signal dans chaque canal d’énergie. Par souci de lisibilité, deux cycles (ou phases) sont représentés. La structure observée dans l’intervalle de phase compris entre 0.1 et 0.3 (ou entre les phases 1.1 et 1.3) correspond à un déficit de photons dans une bande étroite d’énergie centrée autour de 2 keV. Elle est interprétée comme une raie d’absorption cyclotron, signature de l’interaction entre un plasma de protons et le champ de rayonnement X émis par un point chaud de la surface de l’étoile en rotation. L’énergie de cette raie implique dans le modèle proposé par les chercheurs (courbe en rouge) un champ magnétique d’intensité extrême.
Le champ magnétique déduit est de l’ordre de 10**15 Gauss (10**11 Tesla), 1000 fois plus intense que le champ des pulsars, ce qui le place parmi les plus intenses de l’univers. A titre de comparaison, le champ le plus puissant actuellement produit en laboratoire (comme dans les grands accélérateurs de particules tel le LHC) est de l’ordre de 100 000 Gauss (soit 10 Tesla), le bouclier magnétique terrestre de moins de 1 Gauss.
Ces travaux confirment la complexité de la structure du champ magnétique des magnetars, riche de plusieurs composantes. Dans le cas de SGR 0418+5729, un champ en forme de dipôle analogue à celui d’un pulsar et une seconde composante, d’intensité plus importante, sont présents autour de l’astre compact. La méthode utilisée ouvre également une piste pour sonder à petite échelle la structure du champ magnétique de l’étoile à neutrons.
Contact : (CEA)
« A variable absorption feature in the X-ray spectrum of a magnetar »
Andrea Tiengo, Paolo Esposito, Sandro Mereghetti, Roberto Turolla, Luciano Nobili, Fabio Gastaldello, Diego Götz, Gian Luca Israel, Nanda Rea, Luigi Stella, Silvia Zane & Giovanni F. Bignami
Revue Nature , 15 août 2013, version électronique : http://arxiv.org/abs/1308.4987
Voir : le communiqué de l'ESA (en anglais)
Voir également : - "Cousins proches", Octobre 2010
- "Gigantesques aimants dans la Galaxie" , Novembre 2008
Notes :
[1] Le terme magnetar est la contraction du terme anglais "magnetic star".
Rédaction : Diego Götz et Christian Gouiffès
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM