22 juin 2015
Palpitations de naines blanches aimantées
L’énigme des oscillations quasi-périodiques des naines blanches magnétiques

Une équipe de chercheurs du CEA (Service d'Astrophysique-Laboratoire AIM et CEA-DAM) et du laboratoire Univers et Théories (LUTH) de l’Observatoire de Paris vient de publier une étude complète d’un phénomène énigmatique d’oscillations quasi-périodiques à la surface d’étoiles naines blanches fortement magnétiques, encore appelées « Polars ». Ces étoiles très denses sont en orbite autour d’un compagnon et capturent sa matière qui tombe en chute libre vers les pôles de la naine blanche. Fortement chauffé jusqu’à des millions de degrés, ce gaz chaud ou plasma émet alors principalement des rayons X.  Grâce à des simulations numériques du comportement du plasma, les chercheurs ont pu reconstituer l’existence de fortes instabilités conduisant à des oscillations rapides de la luminosité en seulement quelques secondes. Pourtant, en utilisant la base de données du satellite XMM-Newton, ces oscillations ont été recherchées sans succès dans l’émission de rayons X de plus de 20 Polars.

Cette contradiction conduit aujourd’hui les chercheurs  à proposer d’étudier le phénomène en laboratoire. En effet, des conditions physiques analogues peuvent être actuellement reproduites grâce aux lasers de grande puissance comme le LMJ (Laser Mégajoule) [1]. La maitrise des instabilités de plasma est un élément clé pour la fusion nucléaire par confinement magnétique (expérience ITER) ou inertiel (laser Mégajoule) et les instabilités de naines blanches pourraient contribuer à une meilleure compréhension de ce  phénomène général. Ces résultats font l’objet de deux articles publiés dans la revue Astronomy & Astrophysics de juillet 2015.

 

voir la vidéo de la simulation numérique
 

Ondes de chocs sur naines blanches

A la fin de sa vie le Soleil deviendra une naine blanche. Ayant épuisé ses ressources nucléaires, le cœur de l’étoile s’effondrera alors sous l’action de la gravité en un astre très dense ayant une masse proche de celle du Soleil mais dans un  volume équivalent à celui d’une planète comme la Terre.  Sa densité atteint alors plus d’une tonne par cm3. On estime que près de 10% des étoiles de la Galaxie se sont ainsi déjà transformées en « naine blanches ». Certaines d’entre elles sont très fortement magnétiques avec un  champ magnétique plus de dix millions de fois celui du Soleil.

Lorsqu’elles sont en orbite autour d’une autre étoile et suffisamment proches pour lui arracher de la matière, ces naines blanches magnétiques sont appelées « polars » car la matière capturée émet alors un rayonnement dit « polarisé » c’est à dire ayant une orientation privilégiée liée au champ magnétique.

Le champ magnétique intense canalise la matière qui tombe en chute libre jusqu’aux pôles de la naine blanche dans une « colonne d’accrétion » cylindrique de seulement quelques centaines de kilomètres de rayon. Dans cette colonne, la matière atteint des vitesses supersoniques de l’ordre de 1000 km/s créant un phénomène d’onde de choc, analogue au « bang » des avions supersoniques.  Cette onde de compression ralentit brutalement la matière qui s’échauffe et peut rayonner alors dans ce petit volume autant d’énergie qu’une étoile, principalement sous forme de rayons X, ultraviolets et lumière visible.

 
Palpitations de naines blanches aimantées

Vue d’artiste de la capture de matière du compagnon vers les pôles de la naine blanche magnétique. Crédit CEA/Animea-F Durillon

Fluctuations quasi-périodiques

Entre 1982 et 1997, des variations de luminosité rapides ont été découvertes dans  la lumière visible de cinq de ces « polars » suggérant l’existence d’instabilités.

En complément de travaux antérieurs les chercheurs du CEA et de l’Observatoire de Paris ont cherché à reproduire sur ordinateur les conditions régnant dans la colonne d’accrétion. A l’aide du code de calcul HADES,  ils ont produit des simulations numériques très précises, avec une résolution temporelle élevée, du processus physique complexe du choc. Dans la grande majorité des cas, ces simulations ont montré l’existence de fortes instabilités se traduisant par une oscillation importante de la hauteur du choc au dessus de la naine blanche et donc de la luminosité en rayons X pour une grande variété de conditions. Seulement dans le cas d’un fort champ magnétique, joint à un faible flux de matière, ces fluctuations peuvent être fortement amorties.

Pour la première fois, les chercheurs ont pu aussi clairement mettre en évidence un choc « secondaire » qui est « réfléchi » par la surface de la naine blanche lorsque la matière percute l’étoile dense.

 
Palpitations de naines blanches aimantées

A gauche : Vision d’artiste et structure d’une colonne d’accrétion au dessus d’une naine blanche fortement magnétique. A droite : évolution de la densité (en haut) et de la température (en bas) dans la hauteur de la colonne en fonction du temps pour 4 instants consécutifs marqués par différents symboles (encart). Les discontinuités verticales marquent la présence de chocs dont les mouvements sont indiqués par des flèches (la surface de la naine blanche est à la position P=0). Pour t=6.4s et t=6.43s, un choc secondaire est nettement visible dirigé de la surface de la naine vers l’extérieur. Crédits CEA.

Les scientifiques ont recherché la présence de ces oscillations rapides, dont les périodes peuvent varier de 0.1 à 10 s, dans un ensemble de « polars » observées en rayons X par le satellite européen XMM-Newton. Dans la base de données très complète du satellite, sur les 65 polars observés, seuls 24 ont été trouvés suffisamment brillants pour pouvoir fournir une indication fiable mais aucun n’a pu révéler les oscillations rapides attendues. 

L’étude détaillée a montré que certaines de ces sources pouvaient avoir un champ magnétique suffisant pour amortir les oscillations et les rendre indétectables. Mais, malgré l’incertitude sur certains paramètres (masse de la naine blanche, section de la colonne d’accrétion,…), une partie au moins aurait du montrer des variations rapides dues à l’oscillation du choc. L’absence de ces oscillations est une énigme qui semble mettre en doute la validité des modèles standards de colonne d’accrétion dont la physique est pourtant considérée comme bien maitrisée.

 

Les lasers au secours de l’astrophysique

Pour résoudre ce problème, les chercheurs souhaitent se tourner vers une approche expérimentale encore étonnante pour l’astrophysique. En effet, les progrès de la physique des lasers et l’avènement des lasers à haute densité d’énergie rendent désormais possible la production en laboratoire des conditions similaires à celles rencontrées dans les colonnes d’accrétion  à la surface des naines blanches.

Pour cela, les scientifiques utilisent le concept de « loi d’échelle » qui stipule qu’un processus physique sera équivalent à une échelle différente si certains paramètres sont dans des rapports identiques. Ce concept est en particulier celui utilisé par exemple dans les souffleries où une maquette d’avion de petite taille permet de tester le comportement d’un avion géant comme l'Airbus 380. Les scientifiques du CEA ont ainsi pu montrer que pour reproduire les vitesses de 1000km/s et les variations de quelques secondes d’une colonne d’accrétion de 100 km de dimension, il suffisait de se ramener à l’étude d’un plasma produit par un laser avec une vitesse de 300 km/s dans une dimension de l’ordre du millimètre, pendant cent milliardièmes de seconde. Or ces conditions extrêmes sont devenues réalisables sur des installations puissantes comme le laser Mégajoule (LMJ).

 
Palpitations de naines blanches aimantées

Chambre d’expérience du Laser Mégajoule (LMJ). Au centre de cette sphère de dix mètres de diamètre maintenue sous vide est focalisé un ensemble de 176 faisceaux lasers. En concentrant toute l’énergie laser sur une cible aux dimensions millimétriques, on peut créer ainsi pendant quelques nanosecondes des conditions semblables à celles rencontrées à la surface des naines blanches. Crédits CEA

Dans le cadre d’un projet d’expérimentation astrophysique baptisé « POLAR », les premières expériences ont été menées sur l’installation laser kilojoule LULI2000 du Laboratoire pour l’Utilisation des Lasers Intenses (LULI) de l’Ecole Polytechnique. Ils ont permis le choix des matériaux des cibles laser, la mise au point des méthodes d’expériences et de reproduire, pour la première fois au monde en laboratoire, les chocs que l’on rencontre autour des naines blanches. L’utilisation future possible de lasers de plus grande puissance, tels que le NIF (National Ignition Facility) aux Etats-Unis ou le LMJ (Laser Mégajoule) récemment mis en service, devrait à terme permettre de créer notamment dans le cadre des expériences d’ouverture avec LMJ-PETAL, une véritable maquette de colonne d’accrétion, ouvrant ainsi la voie à une véritable étude en laboratoire des instabilités de chocs.

 

Contacts : J.M. Bonnet-Bidaud

Publications :

"Quasi-periodic oscillations in accreting magnetic white dwarfs I. Observational constraints in X-rays and optical ", J.M. Bonnet-Bidaud, M. Mouchet, C. Busschaert, E. Falize, C. Michaut, publié dans Astronomy & Astrophysics de juillet 2015, A&A, 2015, 579, A24. Pour une version électronique et arxiv.org/abs/1506.05891 
« Quasi-periodic oscillations in accreting magnetic white dwarfs. II. The asset of numerical modelling to interpret observations », C. Busschaert, E. Falize, C. Michaut, J.-M. Bonnet-Bidaud, M. Mouchet, publié dans Astronomy & Astrophysics de juillet 2015, A&A, 2015, 579, A25. Pour une version électronique et arxiv.org/abs/1506.05892 

Voir          - Le communiqué de presse du CEA (22 juin 2015)
                - Le communiqué de presse du CNRS (22 juin 2015)
                - Astronomy and Astrophysics Highlights (22 juin 2015)

Voir          - la vidéo "Instabilités thermiques de colonne d’accrétion" (version longue)

 

Voir aussi:  Surabondance d'azote dans des couples cataclysmiques (1 mars 2003)

Notes :

[1]    LMJ (Laser Mégajoule) installation laser de 1,4 Megajoules en cours de déploiement à Barp (Gironde, France) - NIF (National Ignition Facility), installation laser de type megajoule du Lawrence Livermore National Laboratory (California, USA).


Rédaction : J.M. Bonnet-Bidaud

 
#3574 - Màj : 18/11/2015

 

Retour en haut