Une collaboration entre des chercheurs provenant de différentes disciplines (sciences planétaires, géophysique, et géographie) a permis de lever le voile sur les mécanismes de formation des dunes linéaires du désert du Ténéré au Niger, en plein cœur du Sahara. En observant sur plus d'un demi-siècle l’allongement de ces dunes – de quelques dizaines de mètres par an suivant une direction très précise –, cette étude démontre que l’évolution de la forme des dunes permet d'apporter de nouvelles indications climatiques dans des zones soumises à des régimes de vent complexes. Ce type de régimes venteux, observés sur Terre, se rencontrent également sur Mars et Titan, le plus grand satellite de Saturne. Ces travaux, publiés dans la revue américaine Geology, confirment une étude précédente menée par la même équipe sur les dunes de Titan.
Sur Terre, les dunes linéaires sont des dunes symétriques dont les crêtes rectilignes s’étirent sur des dizaines de kilomètres. Leur hauteur varie de quelques mètres à plusieurs centaines de mètres. Elles forment de vastes mers de sable susceptibles d'être observées à l'échelle continentale. Alors que les dunes linéaires sont les plus répandues, leur dynamique n’a été que peu étudiée, faute d’une bonne compréhension de leurs mécanismes de croissance. Ce n'est que très récemment qu'une équipe de chercheurs a démontré que ces dunes peuvent croître par extension à partir de transport du sable le long de la dune.
La simulation numérique (en gris-ombré sur la figure, à droite) permet d'analyser l'évolution de ces systèmes dunaires sous des conditions de vents rencontrées au Niger (photos sur la gauche, avec la rose des flux mesurés sur le terrain en vert, celle injectée dans le modèle en noir). Les étapes les plus importantes sont montrées : a. la nucléation, c'est-à-dire l'accumulation sédimentaire sous le vent de l'obstacle topographique et la naissance de la dune ; b. la croissance du système par élongation dans la direction résultante des flux ; c. lorsque le front de la dune est suffisamment éloigné de la zone d'accumulation, des barchanes (dunes en forme de croissant) s'éjectent de la structure linéaire ; d. la segmentation de la structure. La partie distale à la zone d'accumulation se détache. Tout en s'allongeant, elle peut désormais opérer une migration latérale sous l’action de vents secondaires. Chacune de ces étapes est à la fois observée dans la nature et reproduite dans la simulation numérique. Échelles : 100 mètres. Crédit: Antoine Lucas, Clément Narteau, Sébastien Rodriguez, Olivier Rozier, Yann Callot, Amandine Garcia, Sylvain Courrech du Pont
En exploitant plus d'un demi-siècle d’imagerie, aérienne et satellitaire, et des résultats de modèles numériques, les chercheurs ont réussi à montrer que les dunes sahariennes s'allongent de plusieurs dizaines de mètres par an sans migration latérale. Elles forment alors de longs « cordons » dunaires conservant la même orientation sur de très longues distances (parfois plus de 50 km). Ainsi, le corps des dunes reste stable au cours du temps. Ce mécanisme d’élongation si particulier n’est possible qu'en présence d’un régime de vent multidirectionnel et d'un faible apport sédimentaire. Le taux d'extension des dunes permet de remonter à l'intensité du transport sédimentaire le long de la crête. Ainsi, cette étude propose pour la première fois de remonter au flux sédimentaire à partir de la dynamique des dunes linéaires, dans le cas d’un régime de vent complexe (c’est-à-dire multidirectionnel).
L’orientation et la vitesse d’élongation des dunes linéaires peuvent en effet être directement reliées aux propriétés des vents (direction et intensité) qui les « sculptent ». Dans des zones où les vents sont mal connus, ce type d'observation peut donc apporter de nouvelles contraintes sur le climat et sur le transport sédimentaire. C'est typiquement le cas sur Mars ou sur Titan, le plus grand satellite de Saturne, sur lesquelles de nombreuses dunes linéaires ont été observées. Ces résultats sont publiés dans la revue Geology et viennent appuyer des travaux publiés en 2014 par la même équipe dans la revue Geophysical Research Letters sur les mers de sable de Titan.
Contact (CEA): Antoine Lucas
Publication: « Sediment flux from the morphodynamics of elongating linear dunes », Antoine Lucas, Clément Narteau, Sébastien Rodriguez, Olivier Rozier, Yann Callot, Amandine Garcia, and Sylvain Courrech du Pont – journal GEOLOGY, 2015, doi:10.1130/G37101.1
Voir : Le communiqué de presse du CEA
Voir aussi :
- Arpenter les dunes de la Terre, de Mars et de Titan
- Mers de sable sur Titan (octobre 2014)
Voir : Communication du Service d'Astrophysique
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
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