Les chercheurs du CEA et de l’Université Paris-Diderot pensent avoir débusqué le phénomène à l’origine de l’isolation thermique exceptionnelle des petits corps glacés, situés au-delà de Jupiter : une sous-couche de glace d’eau amorphe, quelques centimètres en dessous de leur surface. Désormais, ils comprennent mieux pourquoi ces corps sont incapables d’emmagasiner la chaleur du Soleil. Ces travaux sont publiés dans le volume d’avril de la revue Astronomy & Astrophysics.
Une planète ou un satellite emmagasine moins bien la chaleur solaire si les échanges thermiques internes y sont peu efficaces. Dans ce cas, sa capacité à conduire ou à stocker le rayonnement solaire est faible et l’isolation thermique du corps sera importante. Or les petits corps glacés et sans atmosphère, situés au-delà de Jupiter dans notre système solaire, ont une isolation thermique importante et qui semble de plus croître avec la distance au Soleil. Ce comportement est difficile à comprendre pour la communauté scientifique : plus ces objets sont loin du Soleil (et donc froids), moins ils sont « réceptifs » à la chaleur reçue et capables de l’emmagasiner !
Deux chercheurs du Service d'Astrophysique-Laboratoire /AIM (CEA/Paris-Diderot/CNRS) expliquent ces observations en prenant en compte la structure de la surface (porosité, taille des grains, nature des contacts...) et surtout en examinant dans le détail comment le transfert thermique s'opère en profondeur. Ils montrent que cette isolation thermique croissante avec la distance au Soleil s’explique si les surfaces sont recouvertes de grains composés de glace d’eau amorphe, c’est-à-dire des molécules de glace d’eau arrangées de manière désordonnée (contrairement à la glace cristalline). La glace d’eau amorphe à ces températures conduit effectivement moins bien la chaleur que la glace cristalline, comme le ferait une bonne couverture isolante [1].
À gauche : Mimas observée par la caméra de la sonde Cassini ; Au centre : répartition attendue de la température ; À droite : température mesurée par le spectromètre CIRS-CASSINI [2]., où la face avant du satellite dans le sens de son mouvement orbital (coté droit de l'image) présente des températures plus faibles et donc une inertie thermique beaucoup plus importante que la face arrière, lui donnant un profil de "pac-man". Des différences de composition, notamment la présence variable de glace amorphe, permet d’expliquer ces différences de températures observées. © NASA/JPL/GSFC/SWRI/SSI.
Mais il y a un « hic ». Ces corps, situés aux confins du système solaire, sont soumis à des températures très basses et au bombardement de particules de haute énergie, qui devraient bien favoriser la formation de cette glace amorphe. Mais les chercheurs observent essentiellement de la glace d’eau cristalline sur les premiers micromètres de ces surfaces. Selon les astrophysiciens, cette apparente contradiction vient du fait que les mesures d’inertie thermique sondent les premiers centimètres de profondeur. En réalité, la couche de glace d’eau amorphe serait bien présente, mais juste sous la surface, dans les premiers centimètres de profondeur.
Observation de Mimas (face arrière) par la caméra de la sonde Cassini montrant au centre l'énorme cratère Herschel. Le long des versants du cratère, on observe des blocs d'affaissement massifs ainsi que des écoulements des débris, qui apparaissent comme des stries avec un pouvoir réfléchissant différent (agrandissement à droite). Les processus qui sculptent ces structures sont directement liés à la composition en glace. © NASA/JPL/SSI.
Ce nouveau modèle thermique va pouvoir être utilisé pour mieux caractériser la structure des surfaces planétaires glacées dans leurs premières couches et mieux comprendre leur évolution sous l’effet de la météorologie spatiale. L’étude se propose ainsi d'expliquer l'origine de la dichotomie thermique mesurée à la surface du satellite Mimas, un satellite en rotation synchrone dont la face avant, celle qui est de fait toujours orientée dans la direction du mouvement orbital, présente une inertie thermique beaucoup plus importante que la face arrière. Ces travaux ouvrent des perspectives fascinantes pour mieux comprendre aussi les morphologies et les processus qui sculptent les surfaces planétaires glacées, comme par exemple le long des versants du cratère Herschel au cœur de la gueule de Mimas « Pacman », où des blocs d'affaissement massifs ainsi que des écoulements des débris sont observés.
Contact : Antoine Lucas , Cécile Ferrari (LADP)
Publications :
" Low thermal inertias of icy planetary surfaces Evidence for amorphous ice ?"
Cécile Ferrari et Antoine Lucas, Astronomy & Astrophysics (1 avril 2016)
Pour une version électronique : PDF file
voir : le Fil Science CEA (2 avril 2016)
voir aussi : Des dunes du Niger à celles de Titan (29 octobre 2015)
Mers de sable sur Titan (3 octobre 2014)
L'extrême finesse des anneaux de Saturne (1 mars 2013)
Notes
[1] La glace amorphe est un isolant au moins 10 fois supérieur à la meilleure mousse de polyuréthane utilisée pour isoler les murs extérieurs des maisons. Pour cette raison, les igloos des Inuits, constitués de neige compactée, sont parfaitement isolés.
[2] A bord de la sonde CASSINI-HUYGENS, le spectromètre infrarouge CIRS a été mis en orbite autour de la planète Saturne le 1er Juillet 2004 après plus de six ans et demi de voyage interplanétaire. Ce spectromètre est le fruit d'une collaboration entre le CEA-Irfu de Saclay, le Centre Spatial Goddard (GSFC) de la NASA à Washington, l'Université d'Oxford, le Queen Mary's College de Londres et l'Observatoire de Paris-Meudon. Cet instrument est capable d'analyser la lumière infrarouge émise par la planète Saturne mais aussi par ses célèbres anneaux et ses satellites. Bien supérieur en résolution (finesse de détails) et en sensibilité (détection d'objets faibles) à son prédécesseur IRIS embarqué sur la sonde VOYAGER dans les années 80
Rédaction : A. Lucas, C.Ferrari, Jean-Marc Bonnet-Bidaud
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM