Les magnétars sont des étoiles à neutrons connues pour leur grande variété d’émissions électromagnétiques provenant de la dissipation de leurs champs magnétiques extrêmes, lesquels sont les plus forts connus dans l’Univers et peuvent atteindre 1015 Gauss, soit 10 milliards de fois celui de l’aimant le plus fort créé par l’être humain.
Comment ces champs magnétiques ont-ils pu se former ? C’est là une des questions ouvertes à laquelle une équipe franco-allemande menée par l’équipe supernovae du Département d’Astrophysique (DAp) du CEA Paris-Saclay, a récemment essayé de répondre en proposant une modélisation numérique d’un nouveau scénario de formation des magnétars dans une étude publiée dans le journal scientifique « Astronomy and Astrophysics ».
Ce scénario soutient que la matière retombant sur l’étoile à neutrons quelques secondes après sa formation peut déclencher un effet dynamo dit de Tayler-Spruit qui amplifierait son champ magnétique, et ce indépendamment de sa vitesse de rotation initiale. La modélisation de ce scénario retrouve l’intensité mesurée des champs magnétiques des magnétars. Cette étude constitue donc un pas de plus vers la compréhension de ces objets atypiques.
Les étoiles naissent toutes de la même manière, dans un nuage moléculaire, mais ne finissent pas leur vie de la même façon. Cela dépend de leur masse. Durant leur existence, le cœur d’une étoile fusionne des éléments de plus en plus lourds produisant l’énergie suffisante pour contrebalancer le poids des couches externes qui compriment continuellement l’étoile.
Lorsqu’une étoile de masse moyenne comme le Soleil est à court d’hydrogène, son cœur se comprime pour tenter de fusionner des éléments chimiques plus lourds. Cette étape génère beaucoup d’énergie qui souffle les couches externes de l’étoile. Ces dernières s’étendent alors dans l’espace créant une nébuleuse planétaire, tandis que le cœur devient une naine blanche, qui doucement s’éteint en se refroidissant. La mort d’une étoile plus massive, au moins huit fois la masse du Soleil, est plus cataclysmique. Lorsque son cœur de fer issu de la fusion d’éléments plus légers atteint une masse critique, il s’effondre sur lui-même de manière brutale. La compression est si forte que les protons et les électrons se combinent pour former des neutrons. Cette contraction génère une onde de choc qui expulse les couches externes de l’étoile sous forme d’explosion que l’on appelle supernova1. L’astre résultant est une étoile à neutrons extrêmement dense. Dans un rayon d’une dizaine de kilomètres, sa masse est l’équivalent de celle du Soleil !
Parmi les différentes manifestation des étoiles à neutrons, les magnétars se distinguent par des émissions transitoires de rayons X et gamma. Ces bouffées de rayonnement intense puisent leur énergie de la dissipation de champs magnétiques anormalement élevés. La mesure du ralentissement de leur période de rotation – induit par un effet de freinage magnétique – confirme ce scénario. On estime ainsi que les magnétars ont un champ magnétique dipolaire de l’ordre de 1015 Gauss (G), jusqu’à 1000 fois plus fort que le champ magnétique typique des étoiles à neutrons. Si l’existence de ces champs magnétiques extrêmes est aujourd’hui bien établie, leur origine reste sujette à controverse.
1Plus d’information sur l’explosion d’une étoile en supernova via cette vidéo
Figure 2: Représentation schématique des trois étapes principales du scénario d’amplification du champ magnétique par la dynamo de Tayler-Spruit dans un proto-magnétar accéléré par fallback : 1. Accrétion du fallback (matière stellaire retombant sur l’étoile) ; 2. Développement de la dynamo dite de Tayler-Spruit ; 3. Saturation du champ magnétique. La proto-étoile à neutrons est représentée par les sphères bleues. La ligne pointillée représente la zone de fallback dont les flèches oranges représentent le mouvement. Les lignes rouges et blanches illustrent respectivement les lignes de champ magnétique et les mouvements du fluide.
Plusieurs scénarios tentent d’expliquer comment le champ magnétique peut s’amplifier à la mort des étoiles massives pour donner naissance aux champs magnétiques particulièrement élevés des étoiles à neutrons.
D’un côté, des théories proposent que le champ magnétique des magnétars est entièrement
déterminé par celui du cœur de fer de l’étoile progénitrice. Le champ magnétique s’amplifierait par conservation du flux magnétique lors de l’effondrement du cœur, dont la magnétisation initiale reste cependant incertaine.
D’un autre côté, certains scénarios penchent plutôt pour une amplification durant les toutes
premières secondes de la vie de l’étoile à neutrons. Deux mécanismes prometteurs de dynamo ont été étudiés via des simulations numériques par l’équipe supernovae du Département d’Astrophysique du CEA Paris-Saclay. Un premier fait appel aux mouvements convectifs à l’intérieur de la proto-étoile à neutrons et le second invoque une instabilité d’un fluide en rotation différentielle en présence d’un champ magnétique. Toutefois, ces deux théories supposent une rotation du cœur de fer de l’étoile progénitrice assez rapide. Or, les dernières observations astérosismiques ont montré que le cœur d’une étoile en fin de vie a tendance à tourner plus lentement que prédit par les modèles d’évolution stellaire.
Ces nouveaux résultats suggèrent qu’une rotation suffisamment rapide est probablement trop rare pour expliquer la formation de tous les magnétars et justifie la recherche de nouveaux scénarios.
Dans ce nouveau scénario, les chercheurs de l’équipe supernovae du DAp et du Max Planck Institut suggèrent que l’amplification du champ magnétique des magnétars serait due à la matière éjectée lors de l’explosion de l’étoile. Une partie de cette matière reste liée gravitationnellement à la proto-étoile à neutrons, et finit donc par retomber à sa surface. Ce phénomène est connu sous le nom de « fallback ».
Comme l’accrétion de cette matière est asymétrique, celle-ci va accélérer la rotation de la surface de la proto-étoile à neutrons qui sera donc plus rapide que la rotation des couches internes. Selon ces chercheurs, cette rotation différentielle favorise le développement d’une dynamo qui n’avait jamais encore été étudiée dans le cadre des étoiles à neutrons : la dynamo de Tayler-Spruit (cf. Figure 2).
Pour vérifier si ce scénario de formation est pertinent pour les magnétars, les auteurs de cette
étude ont développé un modèle numérique de ce processus physique en faisant évoluer avec le temps un champ magnétique faible et pour différentes vitesses de rotation d’une proto-étoile à neutrons nouvellement formée.
Et les résultats sont au rendez-vous : les chercheurs retrouvent l’intensité et la structure du champ magnétique attendue dans les magnétars et ce, même avec une rotation lente, contrairement aux précédents scénarios qui devait utiliser une rotation trois fois plus rapide. Ce nouveau scénario est prometteur et complémentaire des deux autres pour expliquer la formation de la majorité des magnétars, nés dans des supernovae standards.
L’équipe de recherche travaille actuellement pour étudier la dynamo de Tayler-Spruit via des simulations numériques 3D. Celles-ci seront nécessaires pour avoir une description précise du mécanisme dynamo en trois dimensions et ainsi vérifier la validité du modèle proposé.
Figure 3: Intensité du champs magnétique à la fin de l’amplification par la dynamo de Tayler-Spruit en fonction de la période de rotation finale de la proto-étoile, qui est liée à la masse de fallback accrétée. Les couleurs bleues et vertes représentent, respectivement, les composantes toroïdale et poloïdale du champ magnétique. Les croix indiquent les intensités de champ magnétique trouvées par la résolution des équations de notre modèle pour des périodes de rotations fixées. Les courbes à
trait plein sont une approximation de la relation entre le champ magnétique et la période de rotation déduite à partir du modèle analytique. Les zones grise représentent l’intervalle d’intensités du dipôle magnétique déduites des observations de magnétars (gris foncé) et des magnétars à faible dipôle (gris
clair). L’intensité prédite pour le champ poloïdal (courbe verte), qui est supposée du même ordre que le dipôle, se trouvent dans l’intervalle des magnétars pour une période de rotation supérieure à 28 ms.
Contacts : Paul Barrère, Jérôme Guilet, Raphaël Raynaud
• Structure et évolution de l'Univers › Planètes, formation et dynamique des étoiles, milieu interstellaire
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
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