La plupart des étoiles de notre Galaxie vivent en couple, c'est à dire qu'elles sont liées entre elles par la force de gravitation. On appelle système binaire-X, un couple constitué d'un objet compact (étoile à neutrons ou trou noir) et d'une étoile compagnon de type plus classique. Le trou noir (d'une masse de l'ordre de dix fois celle du Soleil) attire la matière de l'étoile compagnon pour former un disque d'accrétion. Les particules du gaz accrété tombent en spiralant vers l'objet central, entrent en collision et s'échauffent pour atteindre des températures très élevées (plusieurs millions de degrés). À ces températures, le gaz émet essentiellement dans le domaine des rayons X, d'où le nom de systèmes binaire X.
Au delà d'une certaine limite - appelée horizon des évènements - la matière accrétée est irrémédiablement absorbée par le trou noir. Néanmoins la matière s'approchant de l'horizon peut s'affranchir dans certains cas de l'attraction gravitationnelle du trou noir grâce aux effets du champ magnétique. Dans ce scénario elle est éjectée perpendiculairement au plan du disque d'accrétion. Des nodules de matière sont ainsi violemment éjectés de part et d'autre du disque d'accrétion et ceci à des vitesses considérables, voisines dans certains cas de celle de la lumière. |
De tels objets sont appelés microquasars, par analogie morphologique avec les quasars, centres de galaxies hyperlumineux, où de tels phénomènes sont également observés mais sur des échelles de distance et de masse différentes. Le premier microquasar (baptisé 1E1740.7-2942) a été découvert en 1992 par Félix Mirabel du SAP et ses collaborateurs.
La source SS 433 fut pendant très longtemps la seule source binaire-X à présenter de remarquables jets de matière (néanmoins à des vitesses bien inférieures à celle qui est observé dans la cas de XTE J1550-564) jusqu'à la découverte des microquasars. SS 433 est associé à une nébuleuse radio de grande dimension sur laquelle on peut observer des structures hélicoïdales, traduisant une interaction entre le gaz éjecté (très proche de l'objet compact) et le milieu interstellaire.
Image radio de la source SS433. L'apparence des structures est liée au mouvement de précession des jets. Ces zones d'interaction sont à l'origine d'un fort rayonnement X d'origine non-thermique. La dimension totale de ces éjections est ici de (~0.05 pc) soit 0,2 années-lumière (image:crédit NRAO) |
Néanmoins, la comparaison entre SS433 et XTE J1550-564 s'arrête à ce stade. Les éjections de gaz de SS 433 sont observées à proximité de la source (~0.05 pc) contrairement à celles de XTE J1550-564 qui sont détectées jusqu'à des distances de 0.75 pc (soit environ 3 années lumière, une distance similaire à celle qui sépare le Soleil de l'étoile la plus proche).
Le système XTE J1550-564, découvert par le satellite RXTE en septembre 1998, est composé d'un trou noir de l'ordre de dix fois la masse du Soleil et d'une étoile de faible masse.
Peu de temps après sa détection, cette source a été l'objet d'une intense phase éruptive pendant laquelle le système a symétriquement éjecté de grandes quantités de matière sous forme de jets. Les observations radio ont alors montré que ces éjections avaient lieu à des vitesses considérables, proches de celle de la lumière. L'émission radio décroissait ensuite rapidement en quelques jours pour devenir indétectable. XTE J1550-564 venait donc ainsi enrichir la classe des microquasars de notre Galaxie après notamment les découvertes de 1E1740-2942 et GRS1915+105 en 1992 et 1994, découvertes auxquelles les chercheurs du Service d'Astrophysique ont très activement participé. Signalons à ce propos les remarquables observations obtenues alors par les scientifiques de ce laboratoire grâce au télescope SIGMA à bord du satellite GRANAT. Nul doute que le très prochain lancement de la mission INTEGRAL (suivez les dernières informations, nouvelles et résultats scientifiques en consultant régulièrement notre site) apportera sa foison de découvertes et de surprises dans ce domaine de recherche.
Evolution de l'émission de rayons X de XTE J1550-564 au cours du temps de Juin 2000 à Juin 2002. <---- (cliquer sur l'image pour une version élargie) |
C'est en poursuivant l'étude de cette source, que Stéphane Corbel et ses collaborateurs ont alors découvert un phénomène remarquable. Les nodules de matière, émis lors de la phase éruptive de 1998, étaient de nouveau détectables en 2000 et 2002 mais à des positions dans le ciel très différentes. La matière avait ainsi voyagé sur de grandes distances en plusieurs années. Utilisant tout d'abord le radio-interféromètre ATCA (Australia Telescope Compact Array), un réseau de X antennes situé à Narrabri en Australie, puis le satellite de rayons X "Chandra" de la NASA, les chercheurs ont ainsi reconstitué l'histoire des jets émis par le système binaire XTE J1550-564 et suivi le déplacement sur la voûte céleste de la matière éjectée. Des observations complémentaires obtenues avec un des télescopes géants du VLT de l'Observatoire Européen Austral (ESO), situé au mont Paranal au Chili ont ensuite permis d'affiner l'interprétation physique de l'émission observée. L'énergie émise par les jets, couvrant le domaine radio jusqu'aux rayons X, est compatible avec un rayonnement de particules relativistes interagissant avec le champ magnétique du jet (rayonnement synchrotron). Cette première détection de ces jets dans le domaine des rayons X implique la présence de particules (des électrons) très énergétiques (10 TeV) à grande distance (0.75 parsec) de la source centrale. Le phénomène n'est donc pas simplement confiné au voisinage du système binaire, contrairement au cas de SS433 décrit précédemment. Il est ainsi démontré que de tels systèmes - les microquasars - sont des sources potentielles de particules énergétiques. Ils peuvent ainsi contribuer à la production du rayonnement cosmique, ce flux de particules baignant la Galaxie dont l'origine est actuellement très mal connue. Là réside une part de l'originalité des travaux présentés ici.
Une autre conséquence des travaux de cette équipe consiste dans la découverte de la décélération des jets. En effet, les observations effectuées entre début 2000 et aujourd'hui (elles se poursuivent en fait actuellement) montrent que la matière constituant le jet est freinée dans sa trajectoire. Une explication naturelle à ce ralentissement fait intervenir l'interaction des nodules de matière avec une composante plus dense du milieu interstellaire. Le choc frontal entre les jets et ce milieu dense peut aussi expliquer la soudaine réapparition des jets durant l'année 2000 après une période d'accalmie de deux ans. Le choc est à l'origine de la production de particules extrêmement énergétiques rayonnant, contre toute attente, jusqu'au domaine des rayons X.
Le scénario qui semble émerger de l'ensemble de ces observations est le suivant : en septembre 1998, suite à un afflux de matière accrétée sur le trou noir, le système binaire XTE J1550-564 entre dans une phase éruptive et éjecte perpendiculairement au plan du disque d'accrétion, à grande vitesse, des bulles de matière . Ces bulles forment des jets de part et d'autre du disque, détectés dans le domaine des ondes radio. Ces nodules entrent en expansion et leur émission décroit pour devenir rapidement indétectable. Ils continuent néanmoins à se propager incognito dans l'espace interstellaire. La rencontre avec un milieu beaucoup plus dense provoque leur ré-allumage, induit alors par des mécanismes d'accélération où des particules très énergétiques couplées au champ magnétique produisent un rayonnement important détecté jusqu'au domaine des rayons-X.
Les jets collimatés de gaz chaud se rencontrent de manière assez fréquente en astrophysique, que ce soit autour des étoiles jeunes en formation, des trous noirs de masse stellaire, des noyaux actifs de galaxie, voire dans des phénomènes très énergétiques comme les sursauts gamma. Bien que dans ces différentes classes d'objets les jets aient des caractéristiques différentes, la nature des phénomènes physiques (propagation de chocs, mécanisme de rayonnement, ...) s'y déroulant présente de nombreuses similitudes. En particulier, les jets produits par l'accrétion dans les microquasars sont probablement une version miniature des jets relativistes des noyaux actifs de galaxie.
La similarité entre un "microquasar" et un quasar malgré des dimensions très différentes.
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Les noyaux actifs de galaxie (ou quasars) sont constitués d'un trou noir supermassif (d'une masse de plusieurs millions à plusieurs milliards de fois celle du soleil) situé au centre d'une galaxie. On observe régulièrement de part et d'autre de tels systèmes de puissants jets de matière relativiste, qui, grâce à la nouvelle génération de satellites X, "Chandra" ou "XMM", se sont aussi récemment révélés être le siège d'une intense émission de rayons X. L'émission des jets est probablement dûe au rayonnement des particules chargées du gaz qui spiralent autour des lignes du champ magnétique. La quantité énorme d'énergie transportée dans les jets peut éventuellement être transférée à l'environnement de la source. Dans le cas des noyaux actifs de galaxies on observe alors la présence de très larges lobes.
En raison des énormes dimensions des galaxies, il est en général impossible à l'échelle humaine d'observer l'évolution de ces mouvements qui se déroulent sur des durées proches du million d'années. Pourtant leur manifestation et leur rayonnement sont profondément analogues à ceux des microquasars. L'intérêt de la découverte sur la source XTE J1550-564 est de montrer que ces jets évoluent rapidement (en semaine ou année, échelle de temps beaucoup plus accessibles aux astrophysiciens de ce siècle!). Leur étude devient alors possible et des microquasars comme XTE J1550-564 vont donc permettre dans un futur proche une meilleure connaissance des mécanismes d'accélération de particules, de leur propagation dans les jets et de l'énergie dissipée lors des phases de décélération.
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Bibliographie
(*) Large-scale, Decelerating, Relativistic X-ray Jets from the Microquasar XTE J1550-564
S. Corbel, R.P. Fender, A.K. Tzioumis, J.A. Tomsick, J.A. Orosz, J.M. Miller, R. Wijnands, P. Kaaret, 2002, Science, October 4.
Informations Complémentaires:
" Microquasars in our Galaxy", I.F Mirabel et L.F Rodriguez", 1998, Nature, Vol. 392, 673 (en anglais)
" Microquasars in our Milky Way", I.F Mirabel et L.F Rodriguez, 2002, Sky and Telescope, May 2002, p. 33 (en anglais)