Patrice Bouchet - Octobre 2010
2000 jours après l’explosion de la supernova SN 1987A (le 23 février 1987), son rayonnement dans l’infrarouge thermique (à 10 et 20 micron) était devenu trop faible pour être détecté avec les instruments de l’époque (TIMMI2 au télescope de 3,60m de l’ESO et OSCIR au télescope de 4m de Cerro Tololo). En octobre 2004, après presque 9 ans d’interruption, les instruments T-ReCS au télescope de Gemini Sud, puis VISIR au VLT de l’ESO permettaient de reprendre ces mesures. Pour la première fois, des images montraient la présence de poussières, certaines formées avant l’explosion, et d’autres fraîchement condensées dans les débris.
La supernova SN 1987A a été depuis lors observée régulièrement dans l’infrarouge thermique par une équipe internationale conduite conjointement par un chercheur du SAp (P. Bouchet) et un chercheur du Goddard Space Flight Center de la NASA (E. Dwek). Réalisées en parallèle depuis 1999 avec le satellite Chandra, les observations dans le domaine des rayons-X se sont très vite révélées indispensables à l’interprétation des observations dans l'infrarouge. En août 2003, l’avènement du télescope spatial Spitzer permettait de combiner l’excellente résolution spatiale des instruments au sol VISIR et T-ReCS, aux capacités spectroscopiques offertes depuis l’espace. Ce projet a déjà fait l’objet de plusieurs publications (par ex. Bouchet et al., 2004 & 2006 ; Dwek et al., 2008).
Les 360 litres d’hélium liquide embarqués sur Spitzer étant épuisés, ce cycle d’observation est maintenant terminé, et l’heure est venue d’en faire le bilan. Celui-ci est présenté dans un article publié le 10 octobre 2010 dans la revue Astrophysical Journal (Dwek et al., Vol. 722, pp.425-434).
Dans cet article, les auteurs montrent que le rayonnement infrarouge de SN 1987A provient essentiellement de l’interaction de l’onde de choc produite par l’explosion avec l’anneau de gaz et de poussières qui entourait le progéniteur de la supernova. Le spectre infrarouge témoigne de la présence de grains de silicates dont la taille n’excède pas 0,2 micron, chauffés à 180 K par le gaz qui, lui, est à 5 millions de degrés et dont la densité est d’environ 30 000 cm-3. Les chercheurs estiment la masse de ces poussières à environ 1 millionième de masse solaire, et montrent que ce sont les collisions entre les grains et le gaz qui réchauffent les premiers et refroidissent le second. Un des résultats très importants de cette étude est que le rapport de l’émission infrarouge à l’émission dans les rayons-X est pratiquement constant, ce qui signifie que les poussières ne sont pas détruites par l’onde de choc.
Mais le résultat le plus spectaculaire est sans doute que ces chercheurs mettent en évidence la présence d’autres poussières, deux fois plus chaudes (350 K), qui sembleraient être formées de grains de carbone. Or, l’on croit savoir que les poussières qui se forment autour d’une étoile sont, soit des silicates soit des carbonées, suivant la valeur du rapport C/O dans l’atmosphère de cette étoile, et que la présence d’un type exclue celle de l’autre. Comment, alors, expliquer que les deux types de poussières coexistent ?
La découverte d’un système d’anneaux triple (dont le télescope spatial Hubble avait fourni les premières images en août 1990) a suscitée une violente controverse quant à la nature du progéniteur de SN 1987A. Certains scientifiques défendant la théorie classique de mécanismes successifs de perte de masse dans une étoile en rotation rapide, alors que d’autres invoquaient un système de deux étoiles dont les enveloppes auraient fusionné. Les résultats des observations dans l’infrarouge semblent indiquer que cette deuxième explication serait la bonne. Hélas la résolution spatiale de Spitzer ne permet pas d’affirmer que les deux types de poussières cohabitent, les poussières chaudes pouvant résider dans les débris. Il faudra donc attendre le lancement du JWST et son imageur MIRI (conçu et réalisé au SAp) pour lever cette inconnue.
- « Five years of mid-infrared evolution of the remnant of sn 1987a: the encounter between the blast wave and the dusty equatorial ring », Dwek et al., 2010, The Astrophysical Journal, Vol. 722, pp.425-434. (fichier pdf, 1 Mo)
- « Infrared and X-Ray Evidence for Circumstellar Grain Destruction by the Blast Wave of Supernova 1987A », Dwek, et al., 2008, The Astrophysical Journal, Volume 676, Issue 2, pp. 1029-1039. (fichier pdf, 900 Ko)
- « SN 1987A after 18 Years: Mid-Infrared Gemini and Spitzer Observations of the Remnant », Bouchet, et al., 2006, The Astrophysical Journal, Volume 650, Issue 1, pp. 212-227. (fichier pdf, 2.3 Mo)
- « High-Resolution Mid-infrared Imaging of SN 1987A », Bouchet et al., 2004, The Astrophysical Journal, Volume 611, Issue 1, pp. 394-398. (fichier pdf, 600 Ko)
Mosaïque d'images de la supernova SN 1987A et de son anneau équatorial interne vue à différentes longueurs d'onde (indiquées sur la carte postale). L'instrument NACO du VLT de l'ESO qui a permis d'obtenir les trois images dans l'infrarouge proche est équipé d'un système d'optique adaptative qui lui permet d'atteindre une résolution spatiale comparable à celle du télescope spatial Hubble. Ces différents clichés ont été obtenus entre novembre 2007 et janvier 2008.
Crédit : P. Bouchet (CEA), collaboration SAINTS (HST), ATNF (R.N. Manchester & L. Staveley-Smith) et NASA/Chandra (image aimablement fournie par Sangwook Park).
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