08 novembre 2018
Haute résolution pour le satellite Hitomi
Remarquable série de résultats scientifiques de cet observatoire spatial X japonais

Malgré une courte période d’avtivité, le satellite à rayons X Hitomi de l’agence spatiale japonaise Jaxa a montré tout son potentiel et livré aux scientifiques des informations de premier plan d’objets célestes très divers. Dans une série de travaux basés sur ces observations et réunis dans un numéro de la revue PASJ (Publications of the Astronomical Society of Japan), la collaboration Hitomi à laquelle est associée une équipe de chercheurs du Département d’Astrophysique du CEA-Irfu de Saclay expose une série de résultats mettant notamment à profit l’exceptionnel pouvoir de résolution spectrale du spectromètre SXS, l’un des instruments de la plateforme. Au cœur de ces travaux figurent notamment une étude détaillée de la dynamique du plasma au centre d’un noyau actif de galaxie, celle de l’éjecta de plusieurs restes de supernova, de la composition de matière dans un système binaire ou la recherche de  corrélations X et radio du pulsar du Crabe grâce à la haute résolution temporelle. Effectuées lors de la phase de vérification et d’étalonnage des instruments avant la défaillance du satellite, ces observations et la qualité des résultats obtenus confortent la communauté dans le choix des instruments et dans celui du fort potentiel de la haute résolution spectrale X. Cette démarche est au cœur du successeur de Hitomi, Xrism (X-Ray Imaging and Spectroscopy Mission) et du projet spatial majeur X de l’ESA Athena dans lequel le CEA est fortement impliqué.

 

Préambule

La satellite Astro-H, un projet spatial conduit par l’agence spatiale japonaise JAXA avec le support de la NASA et une contribution de l’ESA, a été lancé le 17 février 2016 et posé comme planifié sur son orbite basse. Comme il est d’usage, un nouveau nom lui a alors été attribué, Hitomi ou en japonais pupille de l’œil. Les résultats scientifiques présentés ci-après sont le fruit de données obtenues durant la phase de vérification des instruments menée par la collaboration Hitomi, ceci avant la perte malencontreuse de la plateforme et de sa charge utile le 26 mars 2016 suite à une série d’anomalies.

 

Etalonnages au sol, étalonnages en vol : des étapes indispensables

Afin d’optimiser le retour scientifique des données obtenues par les instruments du satellite, il convient de caractériser au plus près leur performance. Ceci conduit à des procédures d’étalonnages poussées, au sol comme dans l’espace. En effet, l’environnement hostile dans lequel évolue un observatoire spatial requiert de multiples et indispensables précautions et tests, non éventuellement planifiés, prévus ou même envisagés par les concepteurs des instruments. Ceci est d’autant plus indispensable lorsque les détecteurs sont issus de technologies nouvelles, peu ou pas éprouvées dans l’environnement spatial comme ici les matrices de microcalorimètres du spectromètre X. Durant la courte période de fonctionnement du satellite, les équipes de Hitomi ont pu ainsi vérifier le comportement des instruments et la qualité d’image des télescopes (PSF, point spread function ou fonction d’étalement du point), mesurer in-situ le bruit de fond induit dans l’espace et évaluer les performances des instruments en termes de pouvoir de résolution spectrale et de sensibilité. Les résultats de ces mesures, indispensables aux utilisateurs attentifs des instruments et décrits de manière détaillée dans plusieurs articles de cette publication ont prouvé la parfaite santé du parc instrumental à bord du satellite.

 

Radiographie fine au sein d’une galaxie active

La radio galaxie NGC 1275, située au centre de l’amas de Persée, est l’un des premiers objets observés par Hitomi. Relativement proche (250 millions d’années-lumière), cette galaxie active a été l’objet d’une observation très fine des vitesses de ses raies d’émission du Fer, signature d’un plasma à haute température. La capacité en haute résolution spectrale de l’instrument SXS (Soft X-ray Spectrometer) a permis de dresser une carte de vitesse du gaz qui selon les scientifiques exclue une forte contribution du disque d’accrétion comme suggérée jusqu‘alors et favorise un scénario avec un tore situé autour de l’objet central de cette galaxie.

 

 
Haute résolution pour le satellite Hitomi

Mosaïque de pointages de l’amas de Persée effectuée par le détecteur SXS durant cette phase de vérification des instruments : l’image de fond en bleu est le résultat d'une observation du télescope de la NASA Chandra dans la bande d’énergie 0.5–3.5?keV. Les données ont permis de déterminer avec précision le champ de vitesse du gaz chaud, excluant l’existence d’un plasma de fer situé dans un disque d’accrétion autour du centre de NGC1275.

Au cœur de restes de supernova

Parmi les premiers objets observés par Hitomi figurent des restes de supernova notamment N 132 D, un jeune reste de supernova riche en Oxygène et situé dans le Petit Nuage de Magellan. Malgré une pause courte (moins de 4000 secondes), les données obtenues par le spectromètre SXS ont mis en évidence une forte asymétrie du gaz de Fer présent dans l’éjecta de la supernova, une information importante pour mieux caractériser les mécanismes d’explosion du progéniteur.

 
Haute résolution pour le satellite Hitomi

A gauche une image obtenue par le satellite Chandra du reste de supernova N132D situé à 160 000 années-lumière dans le Petit Nuage de Magellan. Le code de couleur décrit l’énergie des photons X, du moins (rouge) au plus (bleu) énergétique. La série des trois clichés suivants décrit à différentes énergies la position où a été extrait le signal à haute résolution spectrale par l’instrument SXS. L'image/spectre la plus à droite correspond à la raie du Fer. Si la résolution spatiale ou finesse d'image ne peut être comparée avec celle fournie par Chandra, les informations Hitomi en termes de vitesse des éléments chimiques présents dans l’éjecta sont uniques.

Une seconde étude de restes de supernova a porté sur l’observation de la nébuleuse du Crabe, emblématique source de l’astrophysique de haute énergie en particulier. Néanmoins cette source iconique a une masse éjectée anormalement faible pour le type d’explosion censé lui avoir donné naissance. De même, l’énergie mise en jeu et la vitesse de l’éjecta paraissent anormalement faibles dans le cadre standard d’une supernova à effondrement gravitationnel. La présence d’un plasma thermique de faible intensité pourrait être une piste pour expliquer la singularité de la nébuleuse du Crabe mais son observation est rendue particulièrement ardue par l’existence au centre de l’objet d’une nébuleuse compacte (PWN) très brillante. Cette difficulté a pu être relevée par Hitomi car le concept de son spectromètre SXS permet des observations à fort contraste qui en synergie avec une imagerie fine autorise la séparation de plusieurs composantes dans le signal détecté. Les résultats présentés dans ces travaux n’indiquent pas, à la sensibilité limite de l’instrument, la présence du plasma thermique recherché. Si cette limite ne permet pas de conclure sur la nature de l’explosion ayant donné naissance à la nébuleuse, elle reste une piste prometteuse et sans doute unique, piste que la défaillance soudaine du satellite n’a pas permis d'être mieux explorée. Au cours de cette observation, le pulsar du Crabe situé au cœur de la nébuleuse a fait l’objet d’une attention particulière grâce cette fois à la haute résolution temporelle fournie par l’ensemble des instruments situés à bord du satellite. Ces observations, effectuées simultanément avec le radiotélescope japonais Kashima NCT, avaient pour objectif de surveiller l’émission X lors des pulses géants radio émis sporadiquement par le pulsar. L’émission radio lors de ces sursauts est extrêmement courte (nanoseconde), d’une intensité jusqu’à 1000 fois plus intense que le flux moyen.  L’origine de cette émission radio est mal connue et aucune corrélation avec les données de Hitomi n’a pu être établie.

 

Préparation du futur

Si la mission Hitomi a été écourtée par la perte du satellite, elle n’en a pas moins permis de valider le concept des matrices de bolomètres X et par là-même du fort potentiel scientifique de la haute résolution spectrale, les quelques résultats brièvement décrits ici l’attestant. Dans ce cadre, les équipes japonaises en collaboration avec les scientifiques de la NASA et avec une participation de l’ESA préparent le successeur de Hitomi, XRISM pour X-Ray Imaging and Spectroscopy Mission. Cette mission, prévue pour être lancée en 2020-2021, associe deux télescopes X, un spectromètre et un imageur de même facture que ceux utilisés sur Hitomi. Partant d’une approche technique similaire, le DAp du CEA-Saclay poursuit avec le soutien du Cnes un programme de R&D (Recherche et Développement) pour réaliser des matrices de très grand format (4 matrices de 32x32 pixels contre 6x6 pour Xrism) tenant compte des très fortes limitations de budget thermique liées à la puissance dissipée sur la chaine de mesure froide (le plan de détection est refroidi à 50 milliKelvin). L’Europe quant à elle prépare la mission L2 du programme Cosmic Vision avec l’observatoire à rayons X Athena de surface efficace un à deux ordres de grandeur supérieur que XRISM et doté d’un spectromètre à haute résolution et d’une caméra grand champ. Le lancement de cette mission majeure de l’ESA dans laquelle le CEA est fortement impliqué est prévu pour la fin de la prochaine décennie.

 

Contact : Philippe Laurent

Publications : Ces travaux sont publiés dans la revue Publications of the Astronomical Society of Japan (PASJ)


  

Voir également : Calme au sein de l’amas de Persée  (7 juillet 2016)
                           - Exploration de l'Univers chaud (17 février 2016)
                           - ASTRO-H (31 juillet 2014)

Voir : Communication du Service d'Astrophysique

 

Rédaction : C. Gouiffès

 
#4509 - Màj : 19/11/2018

 

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