Le code FIFRELIN simule la fission nucléaire et la désexcitation des noyaux alors produits. STEREO est un détecteur compact de neutrinos qui cherche un hypothétique neutrino stérile. Deux thématiques a priori disjointes développées au CEA, la première à la DEN, la seconde à la DRF/Irfu, qui se sont pourtant récemment rencontrées pour atteindre une précision inédite sur un ingrédient crucial de la détection des neutrinos : la désexcitation d’un noyau de Gadolinium après la capture d’un neutron. Les résultats de cette rencontre viennent d’être publiés dans la revue The European Physical Journal A [1].
L’expérience STEREO vise à tester l’existence d’un neutrino stérile. Pour les physiciens, ce nouveau type de neutrino pourrait être la meilleure chance de passage vers l’au-delà (du modèle standard, il s’entend). Pas facile cependant de traquer cette particule exotique qui s’affranchit de toutes les interactions avec la matière. La clé de sa mise en évidence réside dans son mélange attendu avec les autres neutrinos, une propriété bien établie pour les trois neutrinos actifs déjà connus, dont la découverte a valu l’attribution du prix Nobel de physique en 2015. Pour cela STEREO s’est installé au plus près d’une source très intense de neutrinos : à 10 m du réacteur de recherche de l’ILL-Grenoble. A cette distance environ 4×1015 neutrinos, issus des désintégrations bêta des produits de fission, traversent chaque seconde les 2 m3 de liquide scintillant du détecteur (Figure 1) pour seulement un neutrino intercepté toutes les… 4 minutes. Si le neutrino stérile existe, il induira une oscillation dans le nombre de neutrinos actifs détectés, visible en comparant les spectres mesurés dans les 6 cellules de STEREO.
Figure 2 : Processus de détection des neutrinos dans STEREO. Le neutrino incident interagit avec un noyau d’hydrogène du liquide scintillant pour former un positron (e+) et un neutron (n) qui dans la majorité des cas se fera capturer par un noyau de gadolinium.
Avec un neutrino toutes les 4 minutes il faut cependant être capable de rejeter tous les autres signaux (rayonnements naturels, activité du réacteur) qui pourraient imiter le signal d’un neutrino. Heureusement, les physiciens disposent d’une signature assez originale de l’interaction d’un neutrino avec un proton du détecteur : la détection d’un positroni suivie de la capture d’un neutron (Figure 2). Pour rendre ce processus plus efficace, des atomes de gadolinium (Gd) sont mis en suspension dans le liquide scintillant. Cet élément détient le record d’appétit pour les neutrons. En quelques microsecondes seulement, il va capturer le neutron produit par un neutrino et émettre une cascade de rayons gamma pour signer son forfait avec une énergie totale de 8 MeV, nettement au-dessus de la plupart des signaux parasites.
Oui mais voilà, les oscillations recherchées par STEREO se développent à l’échelle du mètre. Le détecteur est donc compact et une partie non négligeable des gammas de la cascade va s’échapper à l’extérieur du liquide scintillant. Le joli signal attendu à 8 MeV va ainsi se parer d’une large traînée à basse énergie, remplie de tous ces dépôts partiels d’énergie de la cascade. Traînée dans laquelle une coupure de détection est appliquée pour rester au-dessus des bruits de fond (typiquement les énergies supérieures à 4.5 MeV sont sélectionnées). Or STEREO souhaite contrôler son efficacité de détection au % près, il va donc falloir décrire très précisément les cascades gamma du Gd.
Les physiciens du neutrino se trouvèrent forts dépourvus quand ce défi fut venu…. Pas un seul petit morceau des codes standards de GEANT4 qui ne donnât satisfaction. Ils allèrent quêter expertise auprès de FIFRELIN, habitué à évoluer sur ces terrains complexes.
FIFRELIN est un code Monte Carlo développé au CEA/DEN de Cadarache qui simule la production et la désexcitation des fragments de fission afin de répondre à des besoins en données nucléaires pour la physique des réacteurs [2]. Il est a fortiori capable de modéliser la cascade d’émission de gammas et d’électrons issus de la désexcitation d’un noyau crée par capture d’un neutron. Pour ce faire FIFRELIN utilise toutes les données disponibles de structure nucléaire qui décrivent les premiers niveaux excités. Mais après absorption d’un neutron, l’énergie d’excitation du noyau de Gd atteint un continuum de niveaux (Figure 3). FIFRELIN se base alors sur des modèles de densités de niveaux pour compléter les schémas de niveaux. Après calcul de toutes les probabilités de transitions partielles inter-niveaux, le code échantillonne des millions de cascades électromagnétiques, avec une maîtrise simultanée du nombre et de l’énergie des rayons gamma. Ces cascades sont ensuite utilisées dans la simulation de la réponse du détecteur STEREO.
Figure 3 : Illustration de la distribution des niveaux excités d’un noyau, dont la densité augmente très vite avec l’énergie d’excitation. Dans cet exemple, l’état initial, dont l’énergie Sn (énergie de séparation du neutron) est de l’ordre de 8 MeV, se désexcite en émettant 3 rayons gamma jusqu’au niveau fondamental G.S. (Ground State).
Figure 4 : Comparaison entre les distributions en énergie expérimentale (points) et simulée (histogramme) des rayons γ détectés dans STEREO après une capture neutron. Les neutrons sont ici générés par une source radioactive placée à mi-hauteur d’une cellule. La ligne pointillée indique la coupure de l’analyse STEREO : seuls les énergies supérieures à 4.5 MeV sont sélectionnées.
La figure 4 illustre l’amélioration obtenue, grâce à FIFRELIN, dans la description de l’énergie mesurée après les captures de neutrons. Les pics de capture sur le Gd (8 MeV) et dans une moindre mesure sur l’hydrogène (2,2 MeV) sont bien visibles. L’accord initial obtenu avec les simulations GEANT4, illustré par le graphe du haut, semble satisfaisant mais les distorsions résiduelles suffisaient pourtant à générer 4.5% d’écart entre les efficacités de détection simulées et mesurées pour une source de neutrons au centre d’une cellule. Grâce aux simulations FIFRELIN (graphe du bas), l’accord devient quasi parfait, aussi bien sur l’alignement des pics que sur la distribution des énergies intermédiaires, très sensible à la description des cascades. L’accord entre simulation et données passe alors à 0.5% seulement, avec une incertitude associée inférieure au % [1].
Une rencontre fructueuse qui arrive à point nommé pour la poursuite de STEREO vers la haute précision ! La technologie des scintillateurs dopés au Gd est largement employée pour la détection des neutrinos, cette avancée vers la haute précision sera profitable à plusieurs autres projets en cours. En parallèle de la publication de ces résultats, 10 millions de cascades du Gd ont donc été mises à disposition de la communauté scientifique [3].
1 L’antiparticule de l’électron
[1] H. Almazán et al., “Improved STEREO simulation with a new gamma ray spectrum of excited gadolinium isotopes using FIFRELIN”, Eur. Phys. J. A (2019) 55:183.
[2] O. Litaize et al., “Fission modelling with FIFRELIN”, Eur. Phys. J. A (2015) 51:177.
[3] Data from: Improved STEREO simulation with a new gamma ray spectrum of excited gadolinium isotopes using FIFRELIN
Aurélie Bonhomme
Olivier Litaize
David Lhuillier
• Constituants élémentaires et symétries fondamentales › Physique des neutrinos Structure de la matière nucléaire › Dynamique des réactions nucléaires
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département de Physique Nucléaire (DPhN)
• Laboratoire d'études et d'applications des réactions nucléaires (LEARN)
• STEREO