La détection des antineutrinos utilise la réaction anti-neutrino_e + p --> e+ + n. Le ralentissement du positron, puis son annihilation, suivie quelques dizaines de µsec plus tard du signal de la capture du neutron, signent cette réaction. La cible est constituée d’un liquide scintillant (PXE, huile minérale) où l’on dissout environ 1 ‰ de Gadolinium, noyau possédant une très grande section efficace de capture des neutrons. Ce liquide est regardé par 390 photomultiplicateurs. L’expérience dite « Double Chooz » vise à installer deux détecteurs identiques, un à 400 mètres du réacteur pour normaliser le flux d’antineutrinos, l’autre à 1 km pour mesurer la fraction d’antineutrinos « disparus » en oscillant vers des antineutrinos d’une autre saveur. Les mesures récentes de plusieurs paramètres d’oscillation permettent à présent d’affirmer que les antineutrinos de réacteurs, émis avec une énergie moyenne de 3 MeV, n’ont pas le temps d’osciller sur une distance de 400 m. Le détecteur proche de Double Chooz offre donc un laboratoire unique d’observation à distance d’une installation nucléaire à travers son flux d’antineutrinos.
Les conclusions d’un colloque organisé à Vienne les 17 et 18 décembre 2003 par l’AIEA font clairement ressortir l’intérêt potentiel de cette nouvelle méthode de contrôle. En effet, le spectre des antineutrinos émis à l’issue de la fission d’un noyau de plutonium 239 est moins énergétique que celui associé à la fission d’un noyau d’uranium 235. Le nombre moyen d’antineutrinos est lui aussi différent. Il y aurait donc là un moyen permettant en principe de discriminer entre un fonctionnement fortement plutonigène et un autre qui ne le serait pas.
L’AIEA a fait l’inventaire des scénarios malveillants permettant la production « discrète » de plutonium dans une centrale nucléaire. À chacun correspond une signature bien précise en termes d’antineutrinos (flux, spectres énergétiques, évolution temporelle). Un détecteur efficace d’antineutrinos permettrait donc de repérer les situations litigieuses ou mensongères. Cette idée n’a a priori rien d’utopique : l’expérience KamLAND, construite au Japon en marge de SuperKamiokande à des fins de physique fondamentale (son but est d’observer les oscillations des antineutrinos), permet déjà de compter avec une très bonne précision les antineutrinos émis par les réacteurs nucléaires japonais situés à une distance moyenne de 180 km.
L’importante quantité d’information à gérer nécessite de mettre en place le plus de vérifications possibles à différentes étapes du calcul. Diverses mesures de spectres peuvent être utilisées à cette fin. La figure 1 illustre ainsi la comparaison entre nos simulations et les spectres intégraux issus de la fission de l’235U mesurés auprès du réacteur de recherche de l’ILL à Grenoble. Ces premiers résultats montrent que dans le domaine d’énergie accessible expérimentalement par réaction beta inverse (E<6 MeV), le spectre d’antineutrinos est dominé par des transitions bien connues ce qui permet d’espérer une bonne précision finale des simulations.
À terme le cahier des charges de l’AIEA est celui d’un détecteur compact et bas coût. Nous sommes actuellement en recherche de financement pour la réalisation d’un tel détecteur miniature d’antineutrino qui pourrait être testé auprès d’un réacteur de recherche tel que celui de l’ILL. Suite à l’intérêt manifesté par l’AIEA, un effort important a déjà démarré aux USA, conduit par des physiciens du Lawrence Livermore National Laboratory et de Sandia Laboratories. Un groupe de physiciens brésiliens, qui collaborent avec nous sur Double Chooz a également reçu de leurs gouvernement un financement destiné à construire un détecteur d’antineutrinos devant s’installer à proximité de la nouvelle tranche à Angra. Ceci constituerai le premier réacteur civil dans le monde qui soit équipé d’un dispositif automatisé et global de surveillance.