Le trou noir central de notre Galaxie

Le trou noir central de notre Galaxie

La découverte d’une source de haute énergie

INTEGRAL

Le centre exact de notre Galaxie, la Voie Lactée, constitue encore une énigme totale. La présence d’un trou noir hyper-massif, de plus de deux millions de fois la masse du Soleil, est fortement suggérée par l’existence d’une source d’onde radio compacte et d’une forte concentration de matière modifiant le mouvement des étoiles. Un trou noir aussi massif dans une région si dense devrait inévitablement produire une forte émission de photons de haute énergie, en particulier dans le domaine des rayons X et gamma. Jusqu’ici, seule une émission de rayons X de moyennes énergies avait pu être décelée grâce au satellite Chandra. Pour la première fois, le satellite INTEGRAL vient d’obtenir une image très précise à haute énergie de la région la plus centrale de la Galaxie. Cette carte montre clairement la présence d’une source faible, coïncidant avec la position du centre. La très basse luminosité de cette source, trois milliards de fois plus faible que la luminosité attendue, rend encore plus énigmatique le comportement du trou noir massif.

Un trou noir hyper-massif au centre dynamique de notre Galaxie

La seule émission clairement détectée au centre dynamique de la Galaxie a été longtemps une unique source compacte d’ondes radio, dénommée SgrA* (car située dans la constellation du Sagittaire). Une première étape a été franchie en 1999 par la découverte du satellite Chandra de la NASA d’une émission persistante de rayons X de moyenne énergie (0.5-8 keV) provenant également de SgrA*. Très récemment enfin, des mesures effectuées dans l’infrarouge ont révélé que les étoiles situées près de SgrA* décrivaient des orbites expliquées par la présence d’un objet compact super-massif, considéré comme un trou noir, et dont la masse est estimée à 2.6 millions de fois la masse du Soleil. La présence d’un trou noir massif au centre de la Galaxie avait été prédit dès 1971 par les astrophysiciens anglais Lynden-Bell et Rees. Dans ce scénario, un disque de matière ceinture le trou noir et dans ce disque se produisent de violents phénomènes de friction. Les échauffements considérables donnent alors lieu à une puissante source de rayonnement, non seulement dans le domaine radio mais également dans la gamme des rayons X et gamma. L’énigme du trou noir galactique était jusqu’ici sa luminosité observée, très nettement inférieure à celle attendue pour un trou noir de 3 millions masses solaires. Des observations effectuées en 2000 et 2001, toujours dans le domaine des rayons-X, par l’observatoire européen XMM-Newton de l’ESA (l’Agence Spatiale Européenne) et le satellite Chandra de la NASA ont apporté de nouvelles informations. A plusieurs reprises ont été observées des variations rapides de luminosité d’une durée de quelques minutes seulement, interprétées comme le résultat d’une soudaine augmentation de la quantité de matière tombant sur le trou noir. Mais l’efficacité de conversion de l’énergie de la matière en chute sur le trou noir restait très faible. L’essentiel de l’émission est-elle rayonnée à plus haute énergie ?

De SIGMA à INTEGRAL: la traque de la contrepartie gamma de SgrA*

La recherche de l’émission X et gamma en provenance du trou noir central de la Galaxie est un des objectifs prioritaires du télescope IBIS à bord de l’observatoire INTEGRAL. Avant cette mission, la caméra SIGMA, à bord du satellite franco-russe GRANAT, a procédé de 1990 à 1997 à une première cartographie des régions centrales de la Galaxie et a découvert de nombreuses sources. Cette densité d’objets autour de SgrA* est une richesse mais également un handicap pour les scientifiques, désireux d’identifier la contrepartie gamma du centre de la Galaxie. Il s’agit en effet de séparer les diverses composantes d’une image afin d’éviter tout type de confusion. Le télescope IBIS d’INTEGRAL a été conçu pour permettre de résoudre au mieux cette confusion de sources. Avec une sensibilité (capacité à détecter des sources faibles) plus de dix fois supérieure à SIGMA et une résolution (capacité à séparer deux sources proches) plus élevée, il permet une observation inégalée à ces énergies. Le bond en avant de l’imagerie gamma entre ces deux missions spatiales séparées de 20 ans est illustré par les images ci-dessous du centre galactique.

SgrA*

De SIGMA à INTEGRAL. A gauche, la région la plus centrale de la Galaxie (champ de 4ox4o), observée durant toute la durée de vie de la mission SIGMA pour une durée totale de plus de 100 jours . A droite, la même région autour de la source SgrA* telle que mesurée par la caméra ISGRI dans la bande d’énergie 20-40 KeV durant le printemps 2003, pour un temps d’observation équivalent à seulement 13 jours. Les images inférieures représentent le champ total de 19°x19°vus par les deux instruments. Le gain à la fois en sensibilité et en finesse d’image d’INTEGRAL est clairement visible. La position radio de SgrA*, emplacement du présumé trou noir massif, est indiquée par une flèche, dans l’image supérieure d’ISGRI. (cliquer sur l’image pour agrandir). Crédits CEA/SAp.

Un trou noir étouffé

Le centre galactique a été l’objet d’une campagne d’observations par INTEGRAL du 28 février au 1 mai 2003, pour une durée totale d’environ 2,5 millions de secondes. Sur l’image cumulée du télescope IBIS, apparaissent de nombreuses sources dont certaines déjà observées. La plus brillante est une source de type « microquasar« , le candidat trou noir 1E1740.7-2942, ainsi que plusieurs sources X binaires contenant probablement une étoile à neutrons (A1742-294 et KS1741-293) et plusieurs sources plus faibles. A l’emplacement du trou noir massif, marqué SgrA*, apparait une émission faible, visible dans les deux bandes d’énergie (20-40 keV) et (40-100 keV). Il s’agit de la première détection à ces énergies, d’une source à la position du centre galactique qui a été baptisée IGR J17456-2901 (d’après ses coordonnées).

ISGRI(20-40keV)
ISGRI(40-100keV)
Le centre de la Galaxie vue par l’instrument IBIS/ISGRI (champ de 2°x2°) dans deux bandes d’énergie différentes  :à gauche (20-40 keV); à droite (40-100keV). Les images sont une mosaïques d’expositions individuelles obtenues de février à mai 2003 pour une durée cumulée de 1,13 millions de secondes. Chaque pixel, visible sur l’image a une dimension sur le ciel d’environ 5 minutes d’arc (soit environ un sixième du diamètre du Soleil) et correspond à une région d’environ 40 années-lumière à la distance du centre de la Galaxie. Il s’agit de la meilleure résolution obtenue jusqu’ici à ces énergies. Une émission est visible à l’emplacement exact du trou noir massif, marqué SgrA* (flèche). Crédits CEA/SAp.

La véritable surprise est la très faible émission provenant du potentiel trou noir massif. Même à la distance du centre galactique (environ 25 000 années-lumière), la source émet à peine cent fois plus d’énergie que celle rayonnée par le Soleil, et trois milliards de fois moins que la luminosité attendue d’un trou noir massif. L’absence d’émission à haute énergie est une totale surprise pour les théoriciens. Elle semble suggérer que le trou noir du centre galactique, s’il existe, est actuellement presque totalement privé d’alimentation. Selon certains modèles, la matière environnante pourrait être en particulier éjectée avant même d’être aspirée.

Dans le cas de la recherche de l’émission X et gamma de SgrA*, il est d’autre part encore prématuré d’affirmer avoir découvert l’émission réelle du trou noir. Il est en effet possible que l’émission observée résulte de la superposition de différentes sources non résolues. Cette émission observée par INTEGRAL semble variable au cours du temps, un argument en faveur d’une analogie avec la source détectée en rayons X de plus basse énergie par XMM et Chandra. Mais a-t-on réellement affaire la la contrepartie gamma de SgrA*? Des campagnes d’observation coordonnées avec le satellite XMM-Newton sont maintenant planifiées. L’étude des variabilités simultanées des différentes sources permettra très prochainement de lever toute ambiguïté.

Notes
[1] Electron-volt. L’énergie des rayons X et gamma est souvent évaluée en « électron-volt (eV) ». Cette unité correspond à l’énergie communiquée à un électron de charge (e) soumis à une tension de 1 Volt. En unités du système international (SI), 1 eV correspond à 1.6 10-19 Joule. Les rayons (ou photons) de lumière visible ont une énergie d’environ 2 eV, les rayons X dits « mous » de 0.1 à 10 kilo-electronvolt (keV), ceux dits durs de 10 à environ 500 keV. Par convention, la limite entre rayons X et rayons gamma est située à 511keV, énergie à partir de laquelle deux photons peuvent se convertir en matière en produisant une paire électron-positon.


Publications :
« INTEGRAL detection of hard X-ray emission from the Galactic nuclear region »,
G. Belanger, A. Goldwurm, P. Goldoni, J. Paul, R. Terrier, M. Falanga et al., 2003, article soumis à Astrophysical Journal Letters. (astro-ph/0311147)

voir aussi « Sursaut au centre de la Galaxie » (10 janvier 2003)
« ISGRI en chiffres » (18 décembre 2002)
« ISGRI : une caméra pour l’invisible » (15 janvier 2001)
« Radiographie du coeur de la Voie lactée » (observations du satellite SIGMA)