Le positronium est un état lié entre un électron et son antiparticule, le positon. La production de nuages d’atomes de positronium dans le vide est une condition nécessaire pour réaliser de nouveaux types d’expériences en physique fondamentale sur la gravité et l’antimatière, mais offre aussi un intérêt certain comme sonde des matériaux poreux à l’échelle nanométrique. Une collaboration originale regroupant entre autres des physiciens de l’Irfu et de l’Iramis du CEA-Saclay a réussi à produire ce positronium à un taux record dans des conditions stables et contrôlées 1). Il s’agit d’une étape importante pour le programme visant à tester la gravitation de l’antimatière.
Le principe d’équivalence entre masse inertielle et masse gravitationnelle, qui est au cœur de la relativité générale, n’a jamais été vérifié directement avec de l’antimatière. Le principe d’équivalence faible dit que la trajectoire d’une particule test est indépendante de sa structure interne et de sa composition. Mais dans les théories quantiques, certains modèles contiennent des composantes gravitationnelles non classiques, entraînant une accélération différente de l’antimatière dans un champ gravitationnel comme celui de la Terre.
Les projets visant à mesurer la chute libre de particules chargées d’antimatière, comme le positon ou l’antiproton, nécessitent de blinder l’appareillage contre les champs électromagnétiques environnants à des niveaux qui n’ont pu être atteints. Aussi les projets actuels visent à utiliser des atomes neutres d’antimatière, mais on se heurte alors au problème de leur ralentissement, car ceux-ci doivent être produits à très basse vitesse afin de pouvoir mesure leur chute avec un appareillage de taille raisonnable.
Le projet de l’Irfu est d’utiliser le faisceau d’antiprotons lents du Cern en les faisant interagir avec des atomes de positronium (Ps), système lié électron-positon, pour produire de l’antihydrogène. Les atomes de positronium sont fabriqués en implantant des positons dans un matériau dans lequel ils s’attachent à des électrons du réseau. Une première étape consiste à optimiser le rendement de cette conversion : c’est l’objet d’une collaboration entre le DSM/Irfu/SPP, le DSM/IRAMIS/LSI ainsi que le CNRS/CEMHTI (Orléans), l’AIST (Tsukuba), l’ETHZ (Zurich) et le LCPME (Nancy).
Pour cette étude, un équipement original a été installé au Cern, sur un faisceau de positons émis par une source de sodium-22, ralentis puis amenés à une énergie de quelques keV sur une cible (Figure 1). Un dispositif de mesure de temps de vie du positronium a été monté autour de cette cible : un compteur-chronomètre démarre lors de la détection de l'électron émis lors de l'arrivée du positon sur la cible et s'arrête lors de la détection, par un détecteur de grande acceptance angulaire, d’un des rayons gamma produits lors de l’annihilation du Ps. Ceci permet aussi de mesurer directement le rendement de réémission d’atomes de positronium par des cibles solides. Cette mesure est dite en réflexion, car les atomes de Ps sont réémis dans le vide vers le faisceau incident de positons lents. La cible est faite d’un film mésoporeux (contenant des cavités nanométriques) de silice, un matériau dérivé des poudres de silice, dans lesquelles la réémission de Ps a été découverte dans les années 60 par un physicien de Saclay 2).
Figure 2. Distribution du temps de vie associé aux atomes de positronium réémis dans le vide pour deux films mésoporeux de fabrication différentes et déposés sur du verre. Les droites correspondent au temps de vie du o-Ps réémis dans le vide, avec une durée de vie de 142 ns. La réémission du Ps est d�autant plus grande que la droite est plus haute.
Le compteur enregistre le temps qui sépare l’entrée d’un positon dans la cible de celui de son annihilation. Chaque mesure est répétée sur plusieurs millions d’annihilations. Ce spectromètre est optimisé pour détecter le mode d’annihilation à trois photons de l’état ortho du positronium, o-Ps. Cet état a une durée de vie de 142 ns, et les temps de vie mesurés se répartissent selon une loi exponentielle, qui se traduit par une droite dans la distribution, en échelle logarithmique, des temps enregistrés (Figure 2).
Cet équipement a permis de montrer que le dépôt de films mésoporeux à base de silice sur des substrats de silice permet d’obtenir des rendements atteignant 40 % (Figure 3). C’est la première fois qu’un tel rendement avec ce matériau a été observé dans une mesure directe. Ce rendement varie fortement avec les conditions de fabrication du film qui conditionnent la distribution et l’interconnexion des pores dans le film et le volume vide qui leur est associé. Par ailleurs, ce rendement correspond à des atomes oPs qui sont réémis à basse énergie par le milieu poreux, ce qui est recherché pour la production ultérieure d’antihydrogène.
Grâce à cet équipement, il a été possible pour la première fois de quantifier la réémission du Ps et de comparer de manière tout à fait fiable les performances de différentes cibles. Cela permettra d’optimiser la fabrication des cibles pour obtenir de hauts rendements de réémission et de déterminer si d’autres matériaux de type mésoporeux ont de meilleurs rendements que ceux à base de silice. Il faudra aussi évaluer comment le vieillissement des cibles affecte leurs rendements, tant en l’absence qu’en présence d’irradiation comparable à celle résultant d'un fonctionnement dans des faisceaux intenses de positons.
Au-delà de l’intérêt initial de ce résultat pour la production d’antihydrogène, l’étude des films mésoporeux à base de silice a des applications potentielles dans l’industrie des semi-conducteurs, dans celle des capteurs chimiques ou des filtres à nanopores. Par exemple une des caractéristiques de ces films est d’avoir une petite constante diélectrique, ce qui leur confère une capacitance plus faible que ceux en silice habituellement utilisés, et en font un matériau de choix pour la conception de circuits plus rapides.
Contacts
1 L. Liszkay et al., Positronium reemission yield from mesostructured silica films, Appl. Phys. Lett. 92 (2008) 063114.
2 R. Paulin and G. Ambrosino, Annihilation libre de l'ortho-positonium formé dans certaines poudres de grande surface spécifique, J. Phys. France 29, 263-270 (1968).
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