Dans le domaine de l'imagerie médicale, une équipe de l'Irfu s'est lancé un défi : imager l'activité du cerveau avec une précision d'1 mm3. Son nom : CaLIPSO. Une technologie innovante à double-détection : à la fois la lumière et les électrons. Pour cela, une série de verrous technologiques doit être levée. Et l'une de ces étapes cruciales vient d'être franchie. Il s'agit de mettre en œuvre la chaîne entière d'ultra-purification du liquide de détection.
La neuro-imagerie, ou comment voir le cerveau sans le regarder
L'imagerie cérébrale permet d'étudier les maladies neurologiques en permettant aux chercheurs d’associer les symptômes cliniques d’une maladie avec la visualisation du cerveau lui-même. Elle se révèle ainsi une alliée précieuse pour prononcer un diagnostic ou évaluer l'efficacité un traitement, mais aussi pour étudier le fonctionnement du cerveau à des fins de recherche fondamentale. L'Imagerie par Résonance Magnétique (IRM), technique favorite de neuro-imagerie en routine clinique, permet d'étudier l'anatomie du cerveau avec une résolution spatiale remarquable de l'ordre du mm3.
Une autre technique, la Tomographie par Émission Positons (TEP), ne permet pas d'observer le cerveau lui-même, mais son fonctionnement. En permettant d'imager l'activité cérébrale avec une résolution spatiale certes plus modeste, la TEP représente non pas une concurrence, mais une approche complémentaire à l'IRM. La TEP consiste à injecter dans la circulation sanguine du patient un traceur radioactif émetteur β+, qui se fixe sur l’organe qui le consomme. Le traceur libère un positon (un anti-électron) qui, en rencontrant sa particule sœur l'électron, s’annihile et produit deux photons, tous deux de 511 keV, qui se propagent dans des directions opposées. L’injection de traceur dans le corps du patient produit un grand nombre de paires de photons de 511 keV (des millions par seconde) et la détection de ces photons permet de reconstruire la carte de la concentration du traceur au sein des organes.
Principe du détecteur CaLIPSO. Le Tri Méthyl Bismuth liquide permet de concevoir un détecteur à double détection : optique par le biais de l’effet Tcherenkov, et ionisation grâce à la dérive de charge.
La double-détection CaLIPSO
C'est dans ce contexte qu'une équipe de physiciens du DPhP et d'ingénieurs et techniciens du DEDIP ont eu une idée audacieuse qu'ils portent depuis maintenant sept ans. Il s'agit de quantifier l'activité des cellules cérébrales au moyen d'un scanner TEP doté d'une résolution spatiale de 1 mm3, jusqu’à maintenant domaine réservé à l’IRM, ceci combiné à une excellente efficacité de détection. En effet, la TEP étant une technique irradiante, plus le détecteur est efficace, plus la dose de traceur injectée pourra être réduite. Pour cela, un détecteur innovant aux performances prometteuses a été imaginé : CaLIPSO. Il s'agit d'une chambre d'ionisation contenant un milieu de détection bien particulier, le Tri Méthyl Bismuth liquide (TMBi). L’interaction des photons de 511 keV dans ce liquide libère un unique photo-électron primaire qui engendre à son tour un flash quasi-instantané de quelques dizaines de photons lumineux par effet Tcherenkov, et ionise le liquide, libérant des milliers de paires de charges. La lumière produite par effet Tcherenkov est détectée par un photodétecteur rapide, tandis que les charges libérées dérivent le long d'un fort champ électrique, et sont collectées par un détecteur de charge densément pixelisé.
La détection simultanée des signaux lumineux et des charges est la clé du projet CaLIPSO. Elle conduit à des performances très prometteuses : une résolution en énergie de 10 % qui permet de rejeter efficacement tous les photons n'ayant pas une énergie de 511 keV ; une résolution temporelle de 100 pico-secondes (10-10 s) qui permet de détecter avec précision les photons en coïncidence ; et un positionnement 3D de l'interaction dans le détecteur avec une résolution spatiale de 1 mm³.
Ultra-purifier : une étape décisive
La détection des photons lumineux avec une excellente efficacité de 35 % a été démontrée auparavant. Dans le cas de la détection des électrons d'ionisation, une étape cruciale doit être d'abord franchie : l'ultra-purification. En effet, si des impuretés électronégatives existent dans le liquide, les électrons libérés par le photon de 511 keV pourront être piégés par ces impuretés lors de leur dérive. Une fois capturés, ils formeront des ions négatifs trop lourds et trop lents pour participer au signal électronique, et la charge collectée sera réduite. Le TMBi a donc besoin d’être extrêmement pur, c'est-à-dire libre de tous contaminants électronégatifs. Mais ce liquide est chimiquement très réactif et très peu documenté dans la littérature. C'est donc avec un cousin du TMBi, le Tétra Méthyl Silane (TMSi), beaucoup mieux connu des physiciens des détecteurs, que l'équipe CaLIPSO développe son savoir-faire.
En 2017, un banc de purification a été conçu dans son intégralité, assemblé suivant un protocole rigoureux et minutieux de propreté standard ultra-vide et manipulé en salle propre entièrement aménagée pour les besoins de CaLIPSO. Le processus de purification est assuré par des tamis moléculaires. Ces molécules poreuses sont capables d'adsorber préférentiellement les molécules polaires à l'intérieur de leurs pores. Grâce à ce banc et à la maîtrise de techniques d'ultra-vide et ultra-propreté, une première phase de purification du TMSi a été mise en œuvre. Une analyse par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse a été effectuée par des collègues chimistes de la Direction de l'énergie nucléaire (CEA/DEN), avant et après purification. Les résultats de cette analyse ont révélé la présence d'un contaminant appelé Tétra Hydro Furane (THF) avant purification. Il s'agit d'un résidu de solvant de synthèse du TMSi. L'analyse du liquide purifié a mis en évidence l'absence de THF après purification, confirmant ainsi l'efficacité d'adsorption des tamis moléculaires et la maîtrise des techniques d'ultra-purification par l'équipe CaLIPSO.
Spectres d'analyse par chromatographie en phase gazeuse du Tétra Méthyl Silane avant (en haut) et après (en bas) purification, via deux colonnes de chromatographie différentes. Après purification, le pic du contaminant Tétra Hydro Furane (THF) n'est plus détectable. Le pic de l'air correspond à une contamination lors du prélèvement de l'échantillon avant analyse.
Et maintenant…
Le TMSi a ainsi été purifié et reconnu comme chimiquement pur. A présent, l'équipe CaLIPSO travaille à effectuer une mesure du « temps de vie » des électrons dans le TMSi, directement proportionnel à la concentration en impuretés dans le liquide, grâce à une cellule de détection de charge. L'étape suivante sera d'adapter le protocole afin de le mettre en œuvre sur le TMBi pour mesurer ses paramètres d'ionisation, encore jamais étudiés.
Le développement du détecteur CaLIPSO connait donc des progrès majeurs, levant pas à pas chaque verrou technologique qui se présente, grâce à un travail d'équipe intégrant des compétences variées et une motivation commune.
Contacts : Morgane Farradèche, Dominique Yvon
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• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)