A gauche de la porte le côté patient avec le lit motorisé; à droite l'accès à l'aimant. © F. Rhodes/CEA
Depuis que l’aimant principal de l’appareil IRM du projet Iseult a pris place dans son arche de Neuropsin en 2017, 4 ans ont été nécessaires pour le transformer en l’aimant le plus puissant, le plus autonome reposant sur un système de haute disponibilité lui permettant de fonctionner pendant 10 ans !
En 2018, pour son 1er refroidissement, il a fallu 14 semaines pour passer de la température ambiante à sa température nominale de 1,8K. Depuis mars 2019, l’aimant est à 1,8K sans interruption de service. L’autre record est sa montée en courant pour atteindre le champ magnétique nominal de 11,7 T : il ne faut plus que 5h comparé à plusieurs jours pour des aimants IRM des hôpitaux.
Ses records sont les fruits du travail de plusieurs années des équipes de l’Irfu en charge de l’aimant, de l’usine cryogénique et de la surveillance de tous les équipements nécessaires à son fonctionnement.
En juillet 2021, les experts de Siemens ont mis en service l’IRM et un premier signal a été obtenu prouvant la fonctionnalité de l’appareil IRM (aimant principal avec sa bobine de gradient). Il reste encore du travail pour les équipes de Siemens accompagnées de celles de l’Irfu et de Joliot pour obtenir la qualité d’image attendue, mais l’aimant principal au cœur de l’appareil IRM, avec une homogénéité spatiale (11,72 ± 0,00000293 teslas) et temporelle (24h/24h) est pleinement opérationnel.
La construction de l'aimant du projet Iseult: une prouesse technologique et une extraordinaire aventure humaine
© Francis Rhodes
Coupe de l'aimant Iseult de 11,7 T. En orange les bobinages supraconducteurs, en bleu la structure à 1,8 K et en gris le cryostat.
Historique du projet
Au début des années 2000, le CEA décide de créer un institut de recherche en neuro-imagerie, Neurospin, sur le site de Saclay. Pour équiper ce centre de recherche unique au monde, une poignée de visionnaires proposent de construire un IRM à très haute résolution pour l’homme afin d’explorer le cerveau à une échelle jusque-là inaccessible. Un appel d’offre international est lancé pour une étude de faisabilité technique de l’aimant, la partie centrale de l’appareil. L’Irfu (Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers, anciennement DAPNIA (Département d’Astrophysique, Physique Nucléaire et d’Instrumentation Associée), est le seul à répondre positivement à cet appel et présente un design préliminaire après plusieurs mois d’études. Le projet Iseult est lancé le 30 avril 2004 par la signature d’un accord franco-allemand par le président Chirac et le chancelier Schröder sur le développement de l’imagerie moléculaire par IRM à très haut champ magnétique.
Statut des scanners IRM en 2004
Alors que les scanners IRM médicaux atteignent maintenant un champ magnétique de 3 teslas, c’est encore très loin d’être le cas à l’époque. Seuls une centaine d’IRM 3 teslas, deux IRM de recherche à 7 teslas et un seul IRM de recherche à 8 teslas sont alors en fonctionnement dans le monde. Iseult, avec ses 11,7 teslas (soit 223 000 fois le champ magnétique terrestre), est destiné à devenir le plus puissant IRM corps entier au monde dédié à la recherche médicale.
Historique de l'expertise de l'Irfu
L’Irfu a une très grande longue histoire et son expertise dans la construction des aimants supraconducteurs est reconnue mondialement et il a eu une contribution majeure aux aimants du LHC au CERN. Après une longue phase d’études, de nombreux prototypes sont construits et testés pour développer et valider les développements technologiques nécessaires pour réaliser cet objet exceptionnel. En 2010, le design imaginé par les physiciens de l’Irfu, en collaboration avec une poignée d’industriels et de partenaires académiques, est validé par un comité d’experts internationaux.
A gauche: l'aimant, un mastodonte et son trajet entre Belfort et Saclay
A droite: l'empilage des 170 bobines
L'aimant 11,7T
L’aimant Iseult est un mastodonte de 132 tonnes, de 5 m de long et 5 m de diamètre, avec une ouverture centrale de 90 cm pour permettre les études sur un corps entier. Pour atteindre son champ magnétique nominal, l’aimant est alimenté par un courant de 1 500 ampères et refroidi en permanence de l’hélium superfluide à 1,8 kelvin (soit -271,35°C). A cette température, le conducteur de l’aimant, réalisé à base d’un alliage en niobium-titane, peut alors fonctionner à l’état supraconducteur et transporter sans échauffement un courant aussi important. L’aimant est constitué d’un ensemble de 170 bobines qui créent le champ magnétique principal, et deux bobines de blindage qui vont permettre de minimiser le champ magnétique à l’extérieur de l’aimant. Au total, l’aimant comporte 182 km de fil supraconducteur.
Une collaboration Alstom/Irfu pour la fabrication aimant
La fabrication de l’aimant a lieu à partir de 2010 chez Alstom (acquis par General Electric en décembre 2015) à Belfort. Elle est faite en collaboration étroite entre les équipes techniques d’Alstom et du CEA, avec des visites hebdomadaires des membres de l’équipe projet Irfu, et la présence sur le site de Belfort d’un agent Irfu en permanence, pendant près de six ans. L’aimant est livré sur le site de Neurospin en 2017, après un transport exceptionnel de près de 5 semaines entre Belfort et Saclay.
Les équipements nécessaires au fonctionnement de l’aimant
Depuis de nombreuses années, dans l’ombre des activités et des faits marquants de Belfort, un intense travail avait lieu à Neurospin pour installer l’usine cryogénique et l’ensemble des équipements auxiliaires nécessaires au fonctionnement de l’aimant. Les systèmes de contrôle-commande, les automates, les alimentations électriques, et tous les équipements cryogéniques avaient déjà installés et testés individuellement. Après l’installation de l’aimant dans son arche, les équipes ont œuvré pendant près de deux ans pour connecter l’aimant à tous ses équipements auxiliaires et préparer sa mise en service. A chaque nouvelle étape, une batterie de tests sur les circuits de refroidissement, les circuits électriques et l’instrumentation devait être réalisée.
Première descente à 1,8K
Le refroidissement de l’aimant débute fin 2018, et il faudra 14 semaines pour passer de la température ambiante à la température nominale. La mise en froid aura demandé 250 000 litres d’azote liquide et 18 500 litres d’hélium liquide. Des tests électriques et magnétiques ont été réalisé en permanence pour vérifier l’intégrité de l’aimant et suivre le comportement du cœur de l’aimant.
Première montée de courant
La montée en champ a lieu ensuite en plusieurs paliers avec de nombreux essais électriques et magnétiques, et les tests des procédures d’arrêt d’urgence. Au total, 1300 procédures prévues pour détecter l’apparition de défauts potentiels ont été testées et validées. L’aimant atteint pour la première fois son champ magnétique nominal en juillet 2019. Cette première montée au courant nominal prend 24 heures, et l’aimant reste une quinzaine d’heures à 11.7 teslas, avec la présence sur site toute la nuit de l’équipe projet pour tout surveiller et guetter le moindre problème.
Habiller l’aimant pour en faire un appareil IRM
Une nouvelle phase débute alors, avec les derniers travaux pour aménager l’arche, et l’installation des équipements nécessaires pour faire l’image (en particulier le montage des bobines de gradient, autre équipement critique du projet fourni par Siemens dans le cadre de la collaboration Iseult). En parallèle, les tests de l’aimant se poursuivent pour régler l’homogénéité spatiale (11,72 ± 0,00000293 teslas ) et temporelle, deux paramètres clés pour la qualité de l’image.
Pour la première fois, l’Irfu a développé un système de haute disponibilité. Si les procédés sont connus et maitrisés dans le secteur nucléaire au CEA, c’est la première fois que ce type de fonctionnement est mis en œuvre pour un aimant supraconducteur d’IRM. Tous les équipements critiques ont été doublés afin de permettre de fonctionner en cas de problème ou de maintenance. L’aimant est équipé contre les coupures électriques, les pannes du réseau informatique, et bénéficie d’une autonomie de son refroidissement de 7 jours même en cas de problème majeur sur l’usine cryogénique. La protection de l’aimant est assurée par un automate qui se base sur un système de vote entre les différentes acquisitions pour prendre une décision.
Un IRM 24h/24h
Pendant plusieurs mois, les équipes continuent de tester et d’éprouver la fiabilité des installations cryogénique et électrique destinées à garantir la disponibilité de l’aimant 24h/24h. Une équipe d’astreinte est formée à la future exploitation pour intervenir en cas de problème urgent.
Le 7 mars 2021, l’aimant fête ses deux ans à 1.8K, sans interruption de service, ce qui représente un exploit majeur pour une installation aussi complexe, et la performance est reconnue mondialement par plusieurs citations dans différentes revues scientifiques.
Interférence aimant et autres systèmes
Une fois tous les équipements auxiliaires mis en place autour et dans le trou central de l’aimant, le fonctionnement de l’aimant a été testé pour étudier l’influence de ces autres équipements et leurs interactions, même en cas d’arrêt d’urgence ou de panne. Les systèmes de protection électrique, les systèmes d’acquisition et d’instrumentation et le refroidissement de l’aimant sont scrutés attentivement, en particulier pour évaluer l’impact des bobines de gradient qui gérèrent par leur fonctionnement des pertes cryogéniques et des tensions électriques au cœur des bobinages. Le risque est de provoquer une décharge rapide de l’aimant, qui permet de protéger l’aimant en baissant le courant en quelques minutes sans aucun risque pour le patient, mais avec des conséquences importantes sur la cryogénie et un arrêt potentiel de plusieurs mois pour remettre en service l’installation.
L’effet de la circulation routière à proximité du bâtiment et l’effet des ondes électromagnétiques extérieures ont également été étudiés pour valider l’efficacité des systèmes de filtrage développés spécifiquement dans l’aimant. Après 8 montées à 11.7T, et une période de 3 semaines au courant nominal 24h/24h sans surveillance spécifique, l’aimant est maintenant pleinement opérationnel, et il est dorénavant possible de monter le courant pour atteindre le champ magnétique nominal en moins de 5 heures, alors qu’il faut parfois plusieurs jours pour que les aimants d’IRM des hôpitaux atteignent leur champ magnétique nominal. Le 26 juillet 2021, le relai est passé aux experts de Siemens pour mettre en service l’IRM et préparer l’obtention de la première image.
• Détection des rayonnements › Réalisations en réponse aux enjeux sociétaux Physique et technologie des aimants supraconducteurs
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Ingénierie des Systèmes (DIS) • Le Département des accélérateurs, de cryogénie et de magnétisme (DACM)
• ISEULT