L'observatoire National Americain Kitt Peak (KPNO), à côté de Tucson, Arizona. (Credit: Marilyn Chung/Berkeley Lab)
L'instrument spectroscopique pour l'énergie noire (DESI) a terminé ses sept premiers mois d’observations en battant tous les records de relevé 3D de galaxies, créant ainsi la carte de l'Univers la plus grande et la plus détaillée jamais réalisée. Pourtant, l’instrument n'a accompli qu'un peu plus de 10 % de son relevé de cinq ans. Au terme de sa mission, la carte 3D produite par DESI permettra de mieux comprendre l'énergie sombre et, par conséquent, le passé mais aussi l'avenir de l'Univers. Les scientifiques de DESI ont présenté les performances de l'instrument et leurs premiers résultats lors d'un webinaire du 13 janvier (lien de lenregistrement à venir).
"Il y a beaucoup de beauté dans cette première carte en 3D", déclare Julien Guy, scientifique au Berkeley Lab. "Dans la distribution des galaxies, on voit d'énormes amas, des filaments et des vides. Ce sont les plus grandes structures de l'Univers. Mais en leur sein, on trouve une empreinte de l'Univers très primitif, et l'histoire de son expansion depuis lors."
DESI a parcouru un long chemin pour en arriver là. Lancé il y a une dizaine d’années, le projet a débouché sur la construction de l'instrument à partir de 2015. DESI a été installé 4 ans plus tard au télescope de 4 mètres Nicholas U. Mayall à l'Observatoire national de Kitt Peak, près de Tucson, en Arizona. L'instrument a vu sa première lumière à la fin de 2019. Puis, pendant sa phase de validation, la pandémie de coronavirus a frappé, arrêtant le télescope pendant plusieurs mois, bien que certains travaux se soient poursuivis à distance. En décembre 2020, DESI a de nouveau tourné son regard vers le ciel, testant son matériel et ses logiciels, et en mai 2021, l’instrument était prêt à commencer son programme d’observations scientifiques.
Mais le travail sur DESI lui-même ne s'est pas arrêté après le début des observations. "Il s'agit d'un travail constant pour que cet instrument soit performant", explique le physicien Klaus Honscheid de l'université d'État de l'Ohio, scientifique en charge de l'instrumentation du projet. Honscheid et son équipe veillent à ce que l'instrument fonctionne de manière fluide et automatique, idéalement sans aucune intervention pendant une nuit d'observations. Mais ce fonctionnement sans heurt exige un contrôle incroyablement détaillé de chacun des 5000 robots de pointe qui positionnent les fibres optiques de l'instrument DESI, en veillant à ce que leurs positions soient précises à 10 microns près. "10 microns, c'est minuscule", dit Honscheid. "C'est moins que l'épaisseur d'un cheveu humain. Et nous devons positionner chaque robot pour recueillir la lumière de galaxies situées à des milliards d'années-lumière. Le succès de DESI en tant qu'instrument est quelque chose dont nous pouvons être très fiers."
Ce succès est aussi celui des spectrographes de DESI, construits en France par l’entreprise Winlight Optics, et des enceintes cryogéniques conçues et réalisées au CEA pour abriter les capteurs CCD des spectrographes. ”Les capteurs CCD sont le cœur de l’instrument. Notre système cryo-mécanique les maintient à la température requise à 0.1 degré près. Ce fonctionnement sans accroc ni intervention majeure depuis l’installation à Kitt Peak il y a deux ans participe de la belle réussite du projet.” déclare Pierre-Henri Carton, chef de projet pour les cryostats de DESI au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Vue partielle des 5000 "yeux" à fibre optique de DESI au travail. On peut voir les positionneurs de fibres robotisés se déplacer dans leur zone de "patrouille". Les fibres elles-mêmes sont rétro-éclairées par une lumière bleue afin que leur position puisse être mesurée par la caméra de visualisation des fibres afin d'affiner leur positionnement. (Credit: Claire Poppett/DESI Collaboration)
"scanner" 3D de l'Univers mesuré par le relevé DESI. La terre se trouve dans le coin en bas à gauche et chaque point de l'image représente une galaxie, qui elle même peut contenir plusieurs centaines de milliards d'étoiles, jusqu'à des distances de 5 milliards d'années lumière (1 parsec=3,26 années-lumière). Les images qui défilent représentent les coupes successives (sur environ 20 degrés) depuis la direction des constellations de la Vierge et d'Hercule jusqu'à celles du Bouvier et de la Couronne Boréale. Sous l'action de la gravité, les galaxies s'agglomèrent en une "toile cosmique" composée d'amas, de filaments et de vides cosmiques. (Credit: D. Schlegel/Berkeley Lab, données DESI)
Voir les vraies couleurs de l’énergie sombre
Ces niveaux de précision et de stabilité sont nécessaires pour accomplir la tâche principale de l’instrument : enregistrer le spectre des couleurs de millions de galaxies sur plus d'un tiers du ciel entier. En décomposant la lumière de chaque galaxie suivant les couleurs de l’arc-en-ciel, DESI peut déterminer dans quelle mesure la lumière a été décalée vers le rouge, c'est-à-dire étirée vers l'extrémité rouge du spectre par l'expansion de l'Univers pendant les milliards d'années qu'elle a mis à atteindre la Terre. Ce sont ces décalages vers le rouge qui permettent à DESI de voir la profondeur du ciel. En général, plus le spectre d'une galaxie est décalé vers le rouge, plus elle est éloignée. Avec une carte 3D du cosmos en main, les physiciens peuvent cartographier les amas et superamas de galaxies. Ces structures portent les échos de leur formation initiale, lorsqu'elles n'étaient que des ondulations dans le cosmos naissant. En extrayant ces échos, les physiciens peuvent utiliser les données de DESI pour déterminer l'histoire de l'expansion de l'Univers.
“Notre objectif scientifique est de mesurer l’empreinte laissée par les ondes acoustiques qui parcouraient le plasma primordial”, dit Julien Guy. “C’est fantastique qu’on puisse les détecter des milliards d’années plus tard”.
Comprendre l'histoire de l'expansion est crucial, car c'est le destin de l'Univers tout entier qui est en jeu. Aujourd'hui, environ 70 % du contenu de l'Univers est constitué d'énergie sombre, une forme d'énergie d’origine encore incomprise qui accélère l'expansion de l'Univers depuis quelques 6 milliards d’années. Au fur et à mesure de l'expansion de l'Univers, davantage d'énergie sombre apparaît, ce qui accélère encore l'expansion, dans un cycle qui fait grimper la proportion d'énergie sombre dans l'Univers. L'énergie sombre déterminera en fin de compte le destin de l'Univers : s'étendra-t-il à jamais ? S'effondrera-t-il à nouveau sur lui-même, dans un Big Bang à l'envers ? Ou bien se déchirera-t-il ? Pour répondre à ces questions, il faut en savoir plus sur la façon dont l'énergie sombre s'est comportée dans le passé - et c'est exactement ce pourquoi DESI est conçu. En comparant l'histoire de l'expansion à celle de la croissance des grandes structures de l’Univers, les cosmologistes peuvent vérifier si la relativité générale d'Einstein tient bon sur ces immenses étendues d'espace et de temps.
Une mine d’informations
Mais, pour comprendre le destin de l’Univers, il faudra attendre la fin du relevé entrepris par DESI. Pour lors, “il nous faut nous assurer de la qualité de nos données. Avant de démarrer notre programme d’observations, nous avons mené une intense campagne de tests pour valider les algorithmes de sélection des différentes classes d’objets à observer”, dit Christophe Yèche, cosmologiste au CEA et responsable de cette étape cruciale de validation.”Grâce à ces tests, la stratégie d’observation a été affinée et optimisée pour chaque classe d’objets.”
En effet, DESI observe diffe?rents types de cibles, galaxies tre?s brillantes, galaxies rouges lumineuses, galaxies a? raies d’e?mission et quasars, permettant de couvrir optimalement une gamme en décalage vers le rouge de 0.02 à 4.5 correspondant environ aux 12 derniers milliards d’années de l’évolution de l’Univers.
“Les conditions d’observation varient d’un pointé du télescope à un autre et nous devons mettre au point les méthodes pour prendre cela en compte” dit Edmond Chaussidon, doctorant en cosmologie au CEA. “Les techniques d’Intelligence artificielle sont de plus en plus utilisées dans notre domaine et permettent de corriger efficacement les effets systématiques qui affectent chaque classe d’objets. Ce sont aussi ces techniques qui sont mises à profit pour déterminer automatiquement les redshifts à partir des spectres de quasars.”
Les quasars - une variété de galaxies particulièrement lumineuses - comptent parmi les objets les plus brillants et les plus éloignés que l'on connaisse. "J'aime à les considérer comme des phares qui regardent en arrière dans l'histoire de l'Univers", explique Edmond Chaussidon. Les quasars sont d'excellentes sondes de l'Univers primitif en raison de leur luminosité extrême; les données de DESI remonteront à 12 milliards d'années.
DESI est en train de révolutionner ce domaine, en trouvant plus de quasars que n'importe quel relevé précédent, avec une estimation d'au moins 2,4 millions de quasars attendus à la fin du relevé.
"DESI est vraiment formidable parce qu'il détecte des objets beaucoup moins lumineux", explique Edmond Chaussidon, qui a participé à la mise au point de l’algorithme de sélection des quasars à l’aide d'algorithmes d’apprentissage supervisé, une des facettes de l’intelligence artificielle. “Ces données sont une mine d’information pour tester des idées sur l'évolution des quasars qui ne pouvaient l’être auparavant.“
DESI n'a pas fini de tenir le devant de la scène. L'instrument a déjà observé plus de 7,5 millions de galaxies et quasars, et en observe d'autres à un rythme de plus d'un million par mois. Rien qu'en novembre 2021, DESI a mesuré les décalages vers le rouge de 2,5 millions de galaxies et quasars. D'ici à la fin de sa mission en 2026, DESI devrait avoir au moins 35 millions de galaxies et quasars dans son catalogue, ce qui permettra une énorme variété de recherches en cosmologie et en astrophysique. Comme le Sloan Digital Sky Survey (SDSS), qui a donné lieu à environ 6000 publications, DESI devrait enrichir significativement ces deux domaines dans les années à venir.
Contacts Irfu : Christophe Yèche, Vanina RUHLMANN-KLEIDER, Etienne Burtin.
Coupe de la carte 3D de l'Univers réalisée par le Sloan Digital Sky Survey (gauche) et lors des premiers mois de "l'instrument spectroscopique pour l'énergie noire"(DESI; droite). La terre se trouve dans le coin en bas à gauche et chaque point de l'image représente une galaxie jusqu'à des distances de 10 milliards d'années lumière. Cette carte très préliminaire montre seulement 400,000 des 35 millions de galaxies qui entreront dans la carte finale de DESI. (Credit: D. Schlegel/Berkeley Lab, données DESI)
Vue du ciel en pose longue au dessus du télescope Nicholas U. Mayall de 4 mètres à l'observatoire National Americain Kitt Peak (KPNO), à côté de Tucson, Arizona. (Credit: KPNO/NOIRLab/NSF/AURA/P. Marenfeld)
DESI est une collaboration scientifique internationale gérée par le Lawrence Berkeley National Laboratory (Berkeley Lab) et financée principalement par l'Office of Science du ministère américain de l'énergie (DOE). DESI est soutenu par l'Office of Science du ministère américain de l'énergie des États-Unis et par le National Energy Research Scientific Computing Center, centre de calcul de l’Office of Science. Un soutien supplémentaire à DESI est fourni par la National Science Foundation des États-Unis; le Science and Technologies Facilities Council du Royaume-Uni ; la Gordon and Betty Moore Foundation ; la Heising-Simons Foundation ; le CEA, le CNRS et ses partenaires universitaires en France ; le Conseil national des sciences et technologies du Mexique ; le ministère espagnol de l'économie ; les institutions membres. Les scientifiques de DESI sont honorés d'être autorisés à mener des recherches astronomiques sur Iolkam Du'ag (Kitt Peak), une montagne qui revêt une importance particulière pour la nation Tohono O'odham. |
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• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)
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